Le rapprochement diplomatique entre le Maroc et Israël le jeudi 10 décembre a suscité de nombreuses réactions des deux côtés. Dans l'Etat hébreu, les artistes Israéliens d'origine marocaine se réjouissent de la normalisation de ces relations, impatients de retourner voir le pays de leurs aïeux. Une première dans le monde arabe. Après avoir annoncé la réforme scolaire incluant l'histoire et la culture juive au programme scolaire marocain, le Maroc est devenu le quatrième pays du monde arabe à reconnaitre l'état d'Israël, après le Soudan, Bahreïn et les Emirats arabes unis. A Jérusalem comme ailleurs dans le pays, l'annonce a enchanté les Juifs marocains, qui représentent quelque 800 000 personnes, soit près d'un dixième de la population israélienne. Une communauté qui a gardé des liens indéfectibles avec le royaume chérifien, et qui a transmis l'amour du pays à sa descendance. Les artistes Juifs d'origine marocaine voient en ce rapprochement les prémices d'une paix dans l'ensemble de la région.
Andalucious, Festival des Andalousies Atlantiques, Essaouira 2018
« Je suis très content de cet accord de paix, et malgré les discordes politiques, le peuple juif et les touristes israéliens se sont toujours sentis très bien accueillis et à l'aise au Maroc pendant des années, nous confie le violoniste virtuose Elad Lévi (Orchestre Andalucious) qui a joué à distance le morceau « Ghitana » en ouverture de la 17e édition du festival des Andalousies à Essaouira, interprété par le grand rabbin Haim Louk, Yohai Cohen et Anass Belhachemi. Le musicien israélien dont le père est originaire de Tiznit, grand amoureux de Mogador, nous avoue se sentir « chez lui » au Maroc : « Maintenant, nous avons le cachet officiel de cette relation unique, et j'espère que les deux pays apprendront les uns des autres les bonnes choses, et que les gens du Maroc visiteraient Jérusalem et les gens d'Israël -pas nécessairement d'origine marocaine- apprendront à connaître la belle terre du Maroc ».
Hay Korkos et Anass Belhachemi à Bayt Addakira, Festival Andalousies Essaouira 2018
Même sentiment de joie partagé par le cantor Hay korkos dont les ancêtres sont originaires de Marrakech et Essaouira : « On est très heureux de cette paix avec les pays arabes, c'est comme cela que les choses devraient être : vivre en paix, en toute amitié. Pour le Maroc, cette paix existait depuis longtemps sauf que ce n'était pas officiel, ...C'est très important car, dorénavant, les Juifs pourront visiter plus facilement le Maroc et vice versa, une très bonne nouvelle pour les artistes et les touristes ». Ravi de cette reconnaissance, le chanteur et musicien Yohai Cohen (Orchestre Andalucious) dont les parents sont originaires du Maroc, affirme que c'était prévisible : « Pour moi, le Maroc a toujours reconnu Israël, il y avait juste cette peur de la réaction des autres pays arabes et ça me semble naturel parce que mes parents sont d'origine marocaine. Il est primordial pour nous de garder notre identité et conserver notre héritage, et on aura toujours besoin de garder cette relation avec le Maroc, parce que ça fait partie de nous, et ce, au-delà de la politique. Le fait que les Juifs marocains ont quitté le Maroc, ça ne veut pas dire qu'ils ont tout laissé derrière, on vit toujours la culture, la musique, la langue de nos aïeux...c'est dans notre sang, il y a des endroits ici en Israël qui ressemblent au Maroc, quand vous parlez à certaines personnes, vous voyez qu'ils se comportent à 100% comme des Marocains ».
Pour ce qui est de l'enseignement de l'histoire et de la culture juive dans les écoles publiques marocaines prévu en 2021, les artistes israéliens d'origine marocaine estiment que cette mise en avant de la « diversité identitaire » marocaine jouera un rôle fondamental dans la lutte contre l'antisémitisme. André Azoulay avait déclaré auparavant que l'enseignement de la culture juive dans l'école marocaine, permet de montrer « à nos enfants la profondeur et la place du Judaïsme marocain dans l'histoire longue de notre pays ». Elad Lévi pense que « le Maroc est une lumière pour le monde. Aux côtés des réalisations et des progrès technologiques et modernes, le Maroc met en lumière son passé et son multiculturalisme. L'enseignement de la culture juive dans les écoles publiques ouvrira le cœur et l'esprit des jeunes marocains à leur passé et à leurs anciens voisins et les incitera également à accepter différentes cultures, religions et races. Je pense que les instituts israéliens doivent adopter la même idée, et c'est urgent ! Israël se trouve au Moyen-Orient, tous ses voisins parlent arabe et sont pour la plupart de culture arabe. Si la jeunesse israélienne apprend la langue, la culture, la musique, cela changera tout pour les générations futures ».
Elad Levi
Pour Hay Korkos « l'enseignement de la culture juive à l'école marocaine montre à quel point le Maroc est bon et spécial. Il ne faut pas oublier non plus les Juifs qui y ont vécu et leur grande histoire qu'ils ont eue, c'est vraiment magnifique et super excitant. » Le musicien Yohai Cohen pense lui aussi que « c'est une excellente chose que d'enseigner la culture juive dans les écoles marocaines parce que les enfants marocains pourront mieux connaitre le peuple juif, ...il ne faut pas, dit-il, s'arrêter à ce qui se passe en Palestine ! Les juifs marocains ont vécu au Maroc depuis très longtemps, leur culture, on la retrouve dans les mellahs, chaque mellah a sa propre culture, ses synagogues, ses cimetières, ce sont des endroits où juifs et arabes cohabitaient et vivaient en paix tout au long de l'histoire ». Et d'ajouter : « Je crois néanmoins que ça doit se faire dans les deux sens ; c'est triste que beaucoup de Juifs marocains n'aient pas gardé leur langue, la plupart des Juifs marocains ici ne connaissent pas un mot d'arabe, ni de darija ! Ces dernières années, il y a beaucoup de jeunes chez nous qui s'intéressent à la culture de leurs origines. On est béni que notre culture soit enseignée au Maroc », conclut le musicien. LIRE AUSSI : Interview – Elad Levi : « La musique andalouse, c'est toute ma vie ! »