La contribution sociale de solidarité prévue dans le cadre du PLF2021 fait couler beaucoup d'encre. Les avis divergent. Certains estiment que cette mesure est nécessaire en ces temps de crise. D'autres pensent que l'instauration d'un impôt sur la fortune même pour une année serait plus judicieux. Mounia Kabiri Kettani Le ministère de l'économie et des finances veut que les Marocains contribuent dans la relance économique et sociale de leur pays. Sociétés et personnes physiques sont appelés à mettre la main dans poche via une contribution sociale de solidarité. Cette mesure va permettre, selon les estimations de l'Etat, de récolter quelques 5MMDH qui seront injectés dans le fonds d'appui à la cohésion sociale. Un contexte particulier Dans le détail, pour les entreprises réalisant un bénéfice net compris entre 5 et 40 MDH, le taux de contribution est fixé à 2,5%. Celles dont le bénéfice net dépasse les 40MDH, elles doivent verser à l'Etat l'équivalent de 3,5% du total, tous secteurs confondus. L'instauration de cette mesure a été source de polémique sur les réseaux sociaux. Même les avis des économistes ne sont pas unanimes. «Je ne suis pas contre le principe, sous réserve que cette mesure soit réaménagée en fonction des possibilités réelles de tous les acteurs qu'elles soient personnes morales ou physiques », tranche le fiscaliste Mohamed Rahj. Concrètement, pour l'enseignant à l'Institut supérieur de commerce et d'administration des entreprises (ISCAE), il est anormal qu'une société qui réalise un bénéfice inférieur à 5MDH ne paie pas et il est anormal aussi que ces sociétés soient protégées par l'Etat. L'analyste économique, Mohamed Jadri pense qu'il faut tenir compte du contexte particulier de la préparation de ce projet de loi de finances. «En 2020, il y a une chute drastique des recettes de l'Etat. En contrepartie, les dépenses sont conséquentes. Donc, l'Etat est dans l'urgence et se trouve face à divers enjeux notamment, la préservation à la fois du pourvoir d'achat des Marocains, de l'employabilité, de la compétitivité des entreprises.... », explique Mohamed Jadri qui ajoute que «les sociétés qui réalisent un bénéfice supérieur à 5MDH en 2020 sont celles qui n'ont pas été impactées par la crise actuelle tels les banques, les assurances, les opérateurs télécoms... et celles qui ont engrangé des bénéfices grâce au covid à l'instar de l'agroalimentaire, le textile...). Aussi, il tient à préciser que ces mêmes sociétés qui vont payer cette contribution, seront exonérées de l'IR si elles recrutent des jeunes en CDI pour une durée de 24 mois. Une mesure qui pour lui, compensera ce qui a été versé. Une pression fiscale qui s'alourdit Pour les personnes physiques, le plf2021 prévoit une contribution de 1,5% sur tous revenus dépassant les 120.000 DH annuellement. C'est-à-dire fonctionnaires et salariés qui perçoivent un salaire minimum de 10.000 DH par mois, devront payer 150DH à l'Etat à titre de contribution sociale de solidarité. Contrairement à Mohamed Jadri qui estime que cette « taxe » est justifiée en ces temps de crise et que l'urgence empêche le recours à d'autres formes de mesures tels que l'intégration du secteur informel dans le formel...qui nécessite 4 ou 5 ans de travail, Mohamed Rahj, lui a un autre avis. «L'essentiel des impôts sur les revenus est déjà supporté à 76% par les salariés. Cette catégorie représente une minorité. Dans le privé le total avoisine les 250.000 qui paient 34% à 38% de l'IR, soit 7% de la population totale. Dans la fonction publique, près de 30% paient l'impôt soit l'équivalent de 500.000 personnes. Finalement, on parle de la classe moyenne qui paient qui subit une forte pression fiscale et paie deux types d'impôts : le premier est prélevé à la source et le second est relatif à tout ce qui relève de sa consommation », explique Rahj. « Et comme l'Etat est défaillant dans certains secteurs, c'est cette même classe moyenne qui à partir de ses revenus, réservent une partie pour la scolarité de ses enfants et pour l'accès aux services de soins dans le privé », ajoute celui qui évoque le principe de la justice fiscale. «Cela va appauvrir encore de la classe moyenne et aura un impact sur son pouvoir d'achat. Il va pousser aussi beaucoup de professionnels à frauder et donc par là, on va encourager indirectement l'évasion fiscale », note Rahj qui appelle à l'adoption d'un barème plutôt progressif. Une taxe pour préserver l'emploi Mohamed Jadri relativise «la contribution sera valable pour seulement une année. Et l'Etat était face à un dilemme : instaurer cette contribution et continuer à investir massivement et préserver les emplois ou adopter une politique d'austérité ce qui aura un impact très négatif sur le pays que ce soit en matière d'employabilité ou de compétitivité ». Et pour compléter il ajoute « en tant que cadre, cela ne me dérange pas de payer cette contribution, si elle va permettre de maintenir des emplois, de généraliser la couverture sociale,verser des indemnités du chômage... à condition que l'Etat ne continue pas à dépenser à tour et à travers dans des réceptions, des voyages.... » Quid de l'impôt sur la fortune Le sujet divise les économistes. Pour Rahj, cette crise est une occasion d'or pour mettre en place un début d'impôt sur la fortune quitte à l'instaurer à titre exceptionnel pour la durée de la pandémie. «La pandémie concerne tout le monde et le virus ne fait pas de différence entre le riche et le pauvre. Donc tout le monde devrait contribuer selon ses propres moyens pour une justice fiscale », insiste Rahj qui préconise aussi la révision à la baisse des barèmes de l'IR. «Dans ce cas, le salaire brut ne pas changer pour les employeurs mais le salaire net va augmenter. Le surplus de revenu va être transformé en consommation et donc cela va agir positivement dur la demande et on fera tourner la machine », détaille t-il. Néanmoins, Mohamed Jadri, souligne que «nous sommes dans une situation où il faut encourager les investisseurs à investir au Maroc ». Or, «l'instauration d'une taxe sur la fortune, aura un impact très négatif sur l'économie et va donc décourager les gens à passer à l'acte et garder l'agent chez eux plutôt que de l'injecter dans le circuit productif... », prévient il.