Principal artisan de la saison de Strasbourg, champion de Ligue 2, Khalid Boutaïb va jouer sa deuxième saison dans l'élite. À 30 ans, l'attaquant, jamais passé par un centre de formation, vient de décrocher la 5ème promotion de sa carrière et semble plus que jamais en mesure de s'imposer au plus haut niveau. « Khalid n'allait pas ‘chercher la gloire », estime Jérémy Struffaldi, qui a évolué avec Boutaïb pendant 4 saisons discontinues, de la CFA2 au National. « Il savait que, même dans le foot, sa vie était tracée ». C'est l'impression que laissait, à 25 ans, le deuxième meilleur buteur de Ligue 2 2016-2017 à ses coéquipiers de l'ES Pays d'Uzès, en revenant en prêt d'Istres. Son passage manqué dans le club de Ligue 2, qui l'avait engagé sans jamais lui donner sa chance, n'est qu'un des accrocs qui aurait pu décourager le joueur au cours de son incroyable ascension. Footballistiquement, l'attaquant montre des qualités, mais il apparaît vite aux yeux de ses coéquipiers que, n'ayant jamais intégré de centre de formation, il lui manque certaines « bases » du football de haut niveau. Avec le surplus de motivation dont il fait déjà preuve, cela ne l'empêche pas de « répondre présent » quel que soit le poste où on l'aligne et de « progresser d'année en année à une vitesse folle », dixit Jérémy Struffaldi. En devenant peu à peu l'homme providentiel d'Uzès, Khalid Boutaïb entame son ascension par une promotion en CFA, lors de sa troisième saison au club. Il le quitte pourtant, retournant à Bagnols-Pont, son club d'enfance. D'après Struffaldi, ce retour aux sources répondait ainsi à une proposition sur laquelle ne pouvait s'aligner Uzès. Toutefois, la saison auprès du pensionnaire de CFA2 est une déception, et revoilà Boutaïb à l'ESPU. La saison est au-delà des attentes du joueur, habitué à « marquer entre 6 et 10 buts par saison mais très souvent passeur décisif ou impliqués dans nos actions ». Jérémy Struffaldi est rejoint sur ce point par Mickaël Diakota, qui le côtoiera plus tard et dépeint Khalid comme « un joueur capable, alors que le but est ouvert, d'attendre un coéquipier pour lui offrir la balle de but ». L'apport collectif du Gardois permet à son équipe de connaître une nouvelle promotion, ouvrant les portes du National. Mais, comme après la première promotion, Boutaïb est séduit par une opportunité externe, et quitte le navire. « Avec la saison qu'il venait de faire, plusieurs clubs s'intéressaient à lui, croit savoir Struffaldi. Il n'était vraiment pas passé inaperçu ». C'est Istres, alors en Ligue 2, qui attire la star du promu pour le mener au professionnalisme. Bien que sans vraiment s'éloigner géographiquement, et même s'il réalise un rêve en signant professionnel, Boutaïb affiche du regret de ne pas connaître le National avec Uzès, d'après Struffaldi. Mais la vie d'un footballeur – et encore plus d'un footballeur débarquant du football amateur – peu réserver des surprises. Boutaïb l'apprendra une première fois à son plus grand désarroi, puisque le staff qui l'accueille à Istres ne croit pas en lui. L'expérience tourne vite au vinaigre. Heureusement, il peux compter sur son ancien club et surtout ses anciens coéquipiers, qui « font tout pour qu'il revienne ». Quatre mois et une apparition en Coupe de la Ligue plus tard, Khalid fait donc le chemin inverse et découvre, après la CFA2 et la CFA, le championnat de National. En disputant 24 matchs, Boutaïb contribue au maintien de son équipe, 16e mais repêchée suite à de nombreuses relégations administratives. Laissant derrière lui ses frustrations, mettant entre parenthèses ses rêves de professionnalisme, Khalid s'amuse, « prend du plaisir et c'est ce qui compte le plus ». Lors du deuxième tour, il impressionne, notamment à l'occasion de la réception du Luzenac Ariège Pyrénées. « Il avait été très performant et avait tapé dans l'œil de nos dirigeants » se souvient Mickaël Diakota, joueur du LAP à cette époque. À la fin de la saison, Boutaïb quitte donc le Gard et rejoint l'Ariège. Diakota ne cache pas son admiration quant à la faculté d'intégration du joueur de 26 ans : « Il s'est tout de suite adapté à l'équipe, que ce soit sur ou en dehors du terrain. Il faisait partie des cadres du vestiaire. Il était toujours de bonne humeur, toujours content d'être avec ses coéquipiers, il a fini par nous transmettre sa joie de vivre ». Un apport non négligeable lorsque l'on voit la saison du LAP, dont les résultats reflètent l'ambiance et l'état d'esprit d'un groupe qui vit très bien. L'un des plus petits budgets de National, déjouant tous les pronostics, occupe le podium de la deuxième à l'ultime journée. L'apport de Boutaïb ne se limite pas au vestiaire : il forme un duo de choc avec Andé Dona Ndoye. « Khalid aurait pu finir à 20 buts, assure Diakota, mais il a préféré régaler les autres ! ». L'attaquant marque certes moins que son compère d'attaque, auteur de 22 buts, mais il signe tout de même 8 réalisations et fait trembler les défenseurs. « C'est lui qui alimentait Ndoh, il faisait des efforts incroyables pour l'équipe » analyse Cyriaque Rivieyran, alors défenseur du Gazélec Ajaccio. Le latéral n'est pas le seul membre du club à se montrer convaincu par les qualités du Franco-Marocain. En juillet, alors que le LAP connaît son triste destin administratif, le Gaz – qui a obtenu la troisième place et donc son ticket pour la Ligue 2 – offre une porte de sortie à Boutaïb, qui pensait bien voir le professionnalisme lui filer une deuxième fois sous le nez. « Je pense que si ce n'était pas le Gaz, un autre club aurait sauté sur l'occasion » relativise Diakota. Toujours est-il que le Bagnolais atterrit à Ajaccio dans un cadre parfait. « Lorsqu'il est arrivé dans le vestiaire, je me suis dit qu'il était fait pour jouer au Gaz, assure Rivieyran. Il venait du monde amateur et il apportait sa fraîcheur ». Rapidement, il se révèle auprès de ses nouveaux coéquipiers comme un « vrai déconneur ». Même s'il se montre touché par l'aventure du LAP, dont les membres, dispersés à tous les étages du football, restent soudés et en contact, il fait vite l'impasse et s'intègre très vite dans un club où les valeurs familiales s'allient parfaitement avec le football professionnel. « Il était très apprécié, et ensuite il est devenu indispensable sur le terrain et dans le vestiaire » explique Rivieyran. S'il est une personne dans les murs de Mezzavia qui apprécie Boutaïb, c'est avant tout l'entraîneur Thierry Laurey. « Lui et Khalid, ça a toujours été une relation particulière, avance le défenseur. Le coach a toujours cru en lui et le lui faisait savoir. De même que Khalid a toujours sûr que Laurey le ferait progresser ». Le tandem, pour reprendre les mots de Cyriaque, fait le bonheur du GFCA, à mesure que l'attaquant montre l'étendue de ses ressources. « Il savait peser sur les défenses, son sens du sacrifice nous aidait. Le coach se montrait très exigeant avec lui, quand il a su l'accepté il a énormément progressé ». Le résultat est incontestable, puisque le Gazélec crée la surprise et termine à nouveau sur le podium. Cette deuxième montée consécutive, qui ouvre aux Corses les portes de la Ligue 1, est la quatrième promotion de Khalid Boutaïb. Cependant, pour la première fois, le Franco-Marocain ne quitte pas le club qu'il a fait monter. En août 2015, sur la pelouse du Stade de l'Aube à Troyes, il goûte pour la première fois de sa carrière à la Ligue 1. Les débuts du Gaz dans l'élite sont poussifs, et la première victoire ne tombe qu'à la 11e journée, face à Nice. Boutaïb est alors remplaçant et n'entre pas en jeu. Il subit le même destin la semaine suivante, face à Bordeaux, mais inscrit son premier but à Reims, où son équipe signe sa troisième victoire, puis à Bastia, où elle en enchaîne une quatrième. Nous sommes en novembre, et le Gazélec semble se relancer. LE MAROC, DE LA PLAQUE DE VOITURE À LA SELECTION En janvier, il ouvre le score très tôt face à Monaco et Reims (2-2 à chaque fois), avant de signer un resplendissant triplé pour éliminer Guingamp à lui tout seul en Coupe de France. Si le Gazélec semble encore fonctionner sur courant alternatif en Ligue 1, Boutaïb a visiblement pris ses marques au plus haut niveau. Si bien qu'il est appelé en mars par Hervé Renard, sélectionneur du Maroc. Une fierté pour celui qui, dès Uzès, affichait fièrement son origine. « Sur la plaque d'immatriculation de sa voiture, il avait fait inscrire le nom de sa ville d'origine au Maroc, rigole Benjamin Struffaldi. On ne voyait que ça ». Après avoir fait ses débuts en entrant en jeu face au Cap-Vert, Boutaïb rentre sur l'Île de Beauté avec le devoir de maintenir le Gazélec, 18ème. Malgré ses buts décisifs face à Caen (1-0) et Bastia (3-2), le plus petit club de Ligue 1 est relégué lors de la dernière journée. Peu avant, interrogé sur son contrat qui arrivait à terme, le joueur de 29 ans déclarait qu'il désirait rester en Ligue 1 et qu'un club de l'élite lui offrirait probablement sa chance. Il n'en est rien et, pour la première fois de sa carrière, Boutaïb redescend d'un échelon. UN NOUVEAU RÔLE ASSUME De retour en Ligue 2, il n'évolue pas avec le Gazélec, dont la relégation engendre plusieurs départs. Non, l'attaquant part dans les baguages de Thierry Laurey, qui pose ses valises sur le banc du néo-promu Strasbourg. Il retrouve donc la Meinau, dont il avait pu admirer la ferveur lorsqu'il affrontait le Racing en National. Celui qui avouait apprécier les matchs à l'extérieur pour profiter des ambiances peut désormais compter sur un des plus beaux publics de France derrière lui. D'autant plus qu'avec son sourire, le cœur qu'il montre sur le terrain et une efficacité dont il n'avait encore jamais fait preuve, il ne lui faut que quelques semaines pour entrer dans le cœur des supporters. Dès la troisième journée, il inscrit un triplé sur la pelouse de Tours (1-3), le début d'une série. La semaine suivante, il inscrit son premier but à la Meinau, face à Nîmes. 16 autres buts suivront en Ligue 2. Ceux-ci mèneront Khalid à la deuxième place du classement des buteurs, et le RCSA à une place de leader. Cyriaque Rivieyran, aujourd'hui joueur de Clermont, ne peut s'empêcher d'être à nouveau surpris par la marge de progression de celui qui garde la hargne et la détermination d'un amateur : « Je crois que ce qui a changé cette année, c'est que l'équipe joue pour lui. C'est toujours le même travailleur, mais il est devenu tueur devant le but. Il ne lui faut plus qu'une seule occasion pour marquer. C'est l'attaquant que n'importe quelle équipe de Ligue 2 aimerait avoir ». Certes, mais après avoir inscrit pas moins de 20 buts et avoir décroché sa cinquième promotion depuis 2010, il est devenu une évidence pour tout le monde que la place de Boutaïb est en Ligue 1. Reste à savoir si ce sera du côté du RCSA, qui doit étoffer son effectif cet été, ou dans un nouvel environnement.