Partageant l'initiative des lois avec le gouvernement, le Parlement aura un pouvoir de contrôle encore plus fort. La mention de «monarchie parlementaire» dans le nouveau texte constitutionnel n'est pas un simple effet d'annonce. C'est, du moins, ce qui ressort du chapitre réservé au pouvoir législatif. A preuve, l'initiative des lois ne sera plus un monopole gouvernemental comme c'était le cas auparavant. «L'initiative des lois appartient concurremment au chef de gouvernement et aux membres du Parlement» (article 78). Remarquez l'utilisation du terme «concurremment» et figurez-vous bien que le travail législatif ne sera plus une partie de plaisir pour le commun des parlementaires. Les locataires du Parlement, en particulier ceux de la Chambre des représentants, sont appelés à faire preuve d'esprit d'émulation, voire de créativité, afin d'optimiser leur rendement législatif, à travers davantage de propositions de lois. L'usage voulait qu'il y ait plus de projets de lois (gouvernement) et peu, voire trop peu, de propositions de loi (Parlement). Le nouveau texte promet de surmonter cet handicap, en mettant en compétition et l'appareil exécutif (gouvernement) et l'appareil législatif (Parlement). Mais il y a plus, car le pouvoir législatif est élargi à d'autres domaines que ceux fixés par l'ancien texte. En vertu de la nouvelle Constitution, le Parlement aura la possibilité d'«empiéter» un tant soit peu sur une platebande royale, notamment pour ce qui relève de l'amnistie. En termes législatifs, le travail relèvera pleinement du Parlement. Aucune loi ne pourra être adoptée ou votée en dehors du circuit parlementaire. Poids et contre-poids Au-delà du législatif, le rôle du Parlement dans le contrôle du gouvernement sera encore plus déterminant. Si le chef du gouvernement peut dissoudre la Chambre des représentants, eh bien cette même Chambre peut également «censurer» un gouvernement. «La Chambre des représentants peut mettre en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d'une motion de censure» (article 105). Pour ce faire, il suffit de recueillir les signatures du cinquième des membres composant la Chambre. Le prochain chef de gouvernement n'a qu'à bien se tenir. «Le vote de censure entraîne la démission collective du gouvernement», certifie l'article 105. Et comme chaque médaille a un avers et un revers, les députés n'ont également qu'à bien se tenir. Parlons clair, les députés, en tout cas la majorité d'entre eux, ont fait un très mauvais usage de «l'immunité» parlementaire. Le parlementaire qui commettra des crimes sera poursuivi devant la justice, au même titre que les autres citoyens. Mais ils ne saura l'être, «à l'occasion d'une opinion ou d'un vote émis par lui dans l'exercice de ses fonctions» (article 64). «Hormis le cas où l'opinion exprimée met en cause la forme monarchique de l'Etat, la religion musulmane ou constitue une atteinte au respect dû au roi» (article 64). En dehors de l'usage fait de « l'immunité », il y a également ce phénomène désolant de la transhumance qui a fait autant de déshonneur à l'action parlementaire. La nouvelle Constitution est à cet effet très ferme. «Tout membre de l'une des deux Chambres qui renonce à son appartenance politique au nom de laquelle il s'est porté candidat aux élections ou le groupe ou groupement parlementaire auquel il appartient, est déchu de son mandat» (article 61). Autant de nouvelles dispositions venant donc encadrer le fonctionnement de l'appareil législatif, à la faveur d'une représentation digne et effective des intérêts du peuple marocain. M'Hamed Hamrouch Pour le politologue Nadir Moumni, la nouvelle Constitution trace la route vers une monarchie parlementaire. «Les prémisses d'une démocratie» Quels sont, selon-vous, les points clés de la nouvelle Constitution ? Il existe, à mon sens, trois grands axes qui constituent les principales nouveautés. D'abord le deuxième paragraphe de l'article 1 stipule clairement que la monarchie au Maroc est constitutionnelle, solidaire et consacre le principe de la séparation des pouvoirs entre le roi, les pouvoirs législatif et exécutif. Le deuxième point est que l'article 19 qui faisait l'objet d'un grand débat, a été fractionné en deux articles dans lesquels les pouvoirs religieux et d'arbitrage ne sont plus confus et sont clairement stipulés dans les articles 41 et 42. La Constitution stipule clairement que le Maroc est une monarchie constitutionnelle, parlementaire, démocratique et citoyenne. Peut-on faire coexister ces trois modes de gouvernance ? Cet article est en fin de compte la résultante des propositions des partis politiques qui ont participé au dialogue au sein de la commission de Abdeltif Menouni. Depuis le début, on nous disait que la nouvelle Constitution consacrerait une monarchie parlementaire purement marocaine qui respecte les spécificités de notre pays. Peut-être que ce système monarchique est une passerelle vers une vraie monarchie parlementaire. Le système monarchique stipulé dans la nouvelle constitution se rapproche plus du système républicain français, plutôt que des monarchies à travers le monde. Nombreux sont ceux qui estiment que dans la nouvelle Constitution, le roi concentre beaucoup de pouvoirs, malgré une grande marge de manœuvre accordée au chef du gouvernement. Comment voyez-vous cela ? Si on se réfère à l'annonce faite lors de la préparation de la copie de la Constitution qui a été présentée au roi, nous constatons que le modèle marocain n'est pas un modèle de monarchie purement parlementaire. Je pense que ce qui se passe aujourd'hui n'est qu'une prémisse de ce qui devrait se passer à l'avenir. En clair, la nouvelle Constitution devra mettre le Maroc sur la voie d'une monarchie parlementaire comme c'est le cas des autres monarchies à travers le monde. Quid de la transhumance politique ? Estimez-vous que la nouvelle Constitution apporte des réponses claires à ce sujet ? A ce stade, nous ne pouvons que donner une vue d'ensemble et une lecture globale de ce fléau qui gangrène le champ politique national et les partis politiques. La nouvelle Constitution stipule clairement que le phénomène de la transhumance ne pourra plus être toléré. Aussi, le fait de rester fidèle à son appartenance politique et partisane sera désormais une condition sine qua non pour garder son fauteuil au Parlement et être vraiment représentatif des électeurs marocains. La volonté de combattre la transhumance politique dans notre pays rejoint les efforts fournis par plusieurs pays dans ce sens, à l'instar de Bélize, ce pays d'Amérique centrale ou encore l'article 49 de la Constitution de Namibie, article 68 du Nigeria, l'article 77 du Sierra Léone et l'article 46 de Singapour. Propos recueillis par Mohcine Lourhzal