Avec la nouvelle Constitution, les contours d'un nouveau Maroc se dessinent. Depuis le discours royal du 9 mars, la question est sur toutes les lèvres. De quoi et comment sera fait le Maroc de demain ? «En visitant l'Espagne, les Marocains n'auront plus de complexes», se félicite un responsable du PJD (parti d'opposition). «Le Maroc sera pays leader dans la région du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord», renchérit un dirigeant à l'USFP (parti au pouvoir). Un politologue estime que «le Maroc est déjà en avance» et qu'«il suffirait de maintenir le cap». Or, pour reprendre un proverbe zoulou en vogue, «qui n'avance pas recule». Le nouveau «cap», puisqu'il en est vraiment un, est d'autant plus déterminant qu'il promet de faire passer le pays du stade de la démocratie en demi-teinte, -«transition démocratique», à celui de démocratie. Faut-il dès lors crier victoire? La classe politique est-elle suffisamment mûre pour assurer sa «mue» démocratique ? La réforme constitutionnelle ne devrait-elle pas être accompagnée d'une réforme des mentalités chez ceux qui nous gouvernent ? Les discours de nos partis politiques ne cachent-ils pas des pratiques anti-démocratiques ? Sont-ils, aujourd'hui, prêts à s'inscrire en rupture avec l'unilatéralisme dans la prise de décision ? Pourront-ils, désormais, arguer de cette légendaire dichotomie dans l'exercice du pouvoir (gouvernement de l'ombre ?) Un Premier ministre, élu à partir des urnes, pourrait-il invoquer des «instructions royales» pour se justifier ? Qu'en est-il des ministres, des commis de l'Etat et autres hauts fonctionnaires qui seront désignés, ou démis, par le Premier ministre ? Et l'opposition dans tout cela ? Va-t-elle continuer à se complaire dans le confort de son fauteuil de spectateur ? Qu'en est-il, maintenant, de mesdames et messieurs les parlementaires ? Vont-ils continuer à invoquer, à leur décharge, le manque de «prérogatives» qui pénaliserait le rendement législatif et le contrôle responsable et efficace de l'appareil exécutif ? Autant de questions angoissées se profilent… à l'horizon. Or, avec son discours du 9 Mars, le Roi n'y a-t-il pas apporté les vraies réponses ? La balle est dans le camp de la classe politique. Espérons, donc, que nos partis remettront leurs pendules à l'heure du changement qui s'annonce. Tour d'horizon sur les grandes lignes de la réforme constitutionnelle. Institution monarchique • Commanderie des croyants Avec la nouvelle Constitution, le Roi, au-delà de son rôle dans l'arbitrage de l'exercice du pouvoir, gardera son titre d'Amir Al Mouminine (Commandeur des croyants). Un attribut que personne, d'ailleurs, ne conteste, d'autant moins que le Roi se veut garant du sacro-saint principe constitutionnel «l'Islam est la religion du Royaume». Du coup, le souverain se réservera le droit d'intenter un recours contre toute atteinte à la religion du Royaume. Explication : si, demain, un parti politique présente au Parlement un projet de loi stipulant l'abolition, par exemple, de la peine de mort, le Roi aura, en tant qu'Amir Al Mouminine, toutes les possibilités de recours contre ce projet. S'agissant de la présidence du Conseil supérieur des Oulémas, cette prérogative continuera à être un apanage royal. Objectif : mettre l'édiction de fatwas (avis religieux), par exemple, soient à l'abri des caprices politiques. Dans le même registre, le seul changement susceptible d'être opéré concerne la gestion des Habous. A cet égard, nombre d'observateurs sont d'accord pour dire que ce département pourrait être transféré au Premier ministre, puisqu'il ne s'agit là que d'un aspect financier/foncier à gérer. • Chef d'état-major des Forces armées royales Pas de changement à enregistrer à ce niveau, puisque, à l'instar de tous les pays, un chef d'Etat est toujours le chef d'état-major des armées. Aussi le Roi continuera-t-il à assurer son rôle en tant que garant de l'intégrité territoriale du pays. Le souverain sera, ainsi que par le passé, le seul habilité à décider de la guerre contre un pays hostile ou de l'état d'urgence en cas de catastrophe naturelle. Ce genre de décisions ne pourra pas non plus obéir aux aléas de la politique, d'autant moins qu'il s'agit de l'intégrité et de l'unité du pays. • Le Conseil des ministres va-t-il être maintenu ? En insistant, dans son discours du 9 mars, sur «la constitutionnalisation de l'institution du Conseil de Gouvernement, la définition et la clarification de ses compétences», le Roi a fait l'impasse sur le Conseil des ministres présidé par lui-même. C'est ce qui a porté nombre d'analystes à y percevoir une volonté du Roi à renoncer à cette attribution, en voulant responsabiliser complètement le Premier ministre, «en tant que chef d'un pouvoir exécutif effectif, et pleinement responsable du gouvernement, de l'administration publique, et de la conduite et de la mise en œuvre du programme gouvernemental». PRIMATURE • Chef d'un Exécutif fort L'un des changements majeurs attendus, est le renforcement de l'institution du Premier ministre. Considéré souvent comme un «simple agent exécutant» des «instructions royales», le Premier ministre va devoir, désormais, assumer pleinement et entièrement sa responsabilité de chef de l'exécutif. Contrairement au passé, ce sera au Premier ministre élu de nommer, ou de démettre, les membres de son gouvernement. Et ce n'est pas tout … Il jouira, en plus, de la nomination, ou du remerciement, des fonctionnaires de l'Administration publique, entre autres les secrétaires généraux des ministères, les directeurs des institutions publiques … Le prochain Premier ministre sera ainsi «pleinement responsable de la conduite et de la mise en œuvre de son programme gouvernemental». Il sera dans l'obligation des rendre des comptes, en cas de tout manquement aux engagements qu'il prendrait auprès des ses électeurs. • Premier ministre élu Souvenez-vous bien : Après le départ de Me Abderrahmane Youssoufi, en 2002, et l'organisation d'élections législatives, le Roi avait nommé un Premier ministre en dehors des partis politiques. Il était question de Driss Jettou. Plusieurs voix s'étaient, alors, élevées pour contester la nomination d'un Premier ministre technocrate, appelant à la réhabilitation de la «méthodologie démocratique». Le discours royal du 9 mars donne pleine satisfaction à cette revendication, en consacrant «le principe de la nomination du Premier ministre au sein du parti politique arrivé en tête des élections de la Chambre des représentants et sur la base des résultats du scrutin». D'où il ressort que le prochain Premier ministre se dégagera des urnes, autant que le gouvernement qui émanera «de la volonté populaire exprimée à travers les urnes, et jouissant de la confiance de la majorité à la Chambre des représentants». • Le Conseil de gouvernement constitutionnalisé La constitutionnalisation de l'institution du Conseil de gouvernement, est l'un des acquis majeurs de la nouvelle Constitution. En vertu de cet acte, les membres du gouvernement n'auront plus à attendre la tenue d'un Conseil des ministres pour statuer ou valider des projets de loi. Cela dit, d'après des observateurs, le roi pourrait demander une deuxième lecture de n'importe quelle loi votée au Parlement. PARLEMENT • Représentation, législation et contrôle D'une législature à l'autre, le Parlement a «réussi» à se forger l'image de «cirque». Et pas vraiment à tort. Constitué majoritairement de «faux députés», qui s'autoreprésentent plutôt que de représenter leurs électeurs, le Parlement a brillé par «un faible rendement législatif». Le nombre insignifiant des propositions de loi présentées par les «honorables» députés, n'excède en règle générale pas une dizaine par an, ce qui reste très négligeable au regard des projets de loi soumis par le gouvernement. Au-delà du législatif, il était rare que le Parlement assume pleinement son rôle dans le contrôle de l'action gouvernementale. Avec la nouvelle Constitution, quel changement s'opérera-t-il? De nouvelles compétences seront conférées à cette institution, afin qu'elle remplisse «pleinement ses missions de représentation, de législation et de contrôle». Sur ce dernier point, des sources informées indiquent au «Temps» que de nouvelles prérogatives seront attribuées au Parlement pour renforcer son rôle dans le contrôle de l'action de l'appareil exécutif. D'après les mêmes sources, il suffirait désormais de moins d'un tiers de parlementaires pour présenter une motion de censure. Dire combien sera ardue la tâche du prochain Premier ministre, qui sera «le plus malheureux» de tous ses prédécesseurs. • Légitimité électorale Le manque de transparence qui a jusqu'ici présidé aux élections a valu au Maroc d'avoir de «faux représentants de la nation». La transhumance a fait le reste, au point de donner le vertige à un électorat qui ne sait plus à quel saint se vouer. La nouvelle Constitution arrivera-elle à faire reprendre aux citoyens confiance en cette institution ? Le cadrage royal du 9 mars est à cet égard prometteur. Dans ce cadrage, le souverain a promis un «Parlement issu d'élections libres et sincères (…) avec de nouvelles compétences lui permettant de remplir pleinement ses missions de représentation, de législation et de contrôle». JUSTICE • Indépendance Eriger la Justice au rang de pouvoir indépendant. Cette indépendance, appelée des vœux et hautes luttes du peuple marocain, sera-t-elle finalement réalisée. C'est la nouveauté majeure qui sera apportée par la nouvelle Constitution, le but étant, comme l'a si bien souligné le souverain dans son discours du 9 mars, de conforter «la prééminence de la Constitution» et de «consolider le principe de séparation et d'équilibre des pouvoirs». La consécration du principe de la séparation des pouvoirs va permettre de mettre fin à toute sorte d'interférence de la part du gouvernement dans les affaires de la justice. • Fini, les interférences ? A cet égard, il faut s'attendre à un changement de poids : le vice-président du Conseil supérieur de la magistrature ne sera plus le ministre de la Justice. Des sources juridiques indiquent qu'il sera «élu». «Le cordon ombilical entre le gouvernement et la justice sera coupé», assurent nos sources en ajoutant que «notre justice épousera, finalement, les standards internationaux». Et ce n'est pas fini... Consolidation de l'Etat de droit et des institutions, élargissement du champ des libertés individuelles et collectives, renforcement du système des droits de l'homme dans toutes leurs dimensions, politique, économique, sociale, culturelle, environnementale et de développement… Autant de nouveaux acquis seront apportés par la nouvelle Constitution, à la faveur d'un Maroc libre et respectueux de la dignité humaine. Reste à s'interroger sur les garanties offertes pour préserver et développer ces acquis. Cela devrait se faire notamment à travers la constitutionnalisation des recommandations judicieuses de l'Instance Equité et Réconciliation (IER), ainsi que des engagements internationaux du Maroc en la matière. M'Hamed Hamrouch Mohamed Darif, politologue «Crédibiliser les partis politiques» «La nouvelle Constitution a pour objectif affiché de créer les conditions sine qua non pour le passage à une démocratie pleine et entière. Et quand je parle de conditions sine qua non, j'entends, d'abord, la crédibilisation des partis politiques, et ensuite, la responsabilisation du comportement du corps électoral». Salah El Ouadie, PAM «Nous restons confiants» «Nous restons confiants dans la qualité et la teneur du projet à soumettre. Le Maroc sera ce que les Marocains voudront, à tous les niveaux de la décision politique. Les acteurs politiques et partisans seront devant leur miroir qu'ils ont espéré et craint». Nabil Benabdellah, SG du PPS «Un Maroc plus démocratique» «Notre souhait au Parti du progrès et du socialisme est que le Maroc soit plus démocratique, plus crédible, et que les partis puissent jouer un rôle plus important, sachant que tout cela doit être mis au service du développement économique et de la justice sociale». Abdelkrim Benatiq, SG du parti travailliste «Pour une vraie démocratie» «La nouvelle Constitution sera meilleure que celle d'aujourd'hui. Le discours du 9 mars a élevé le débat et appelé toutes les forces vives de la Nation à y adhérer pour mettre en place une vraie démocratie. Le problème, à mon sens, est de savoir si nous avons les compétences partisanes aptes à mener ce chantier de réformes avec le roi.» L'amazighité réhabilitée Il va sans dire que la constitutionnalisation de l'amazigh en tant que langue sera un acquis national majeur, tant et si bien que cette initiative porte en soi une reconnaissance d'une part vivante de notre patrimoine culturel. Simplement, c'est l'officialisation de cette langue qui est sujette à discussion. Les opposants allèguent que les conditions ne sont pas encore réunies pour cette officialisation, invoquant, à l'appui de leur thèse, le fait que nombre de citoyens ne sont pas en mesure de parler ni d'écrire en amazigh. Inscrit depuis peu dans les programmes scolaires, l'amazigh aura besoin de temps pour s'imposer en tant que langue officielle aux côtés de la langue arabe. D'où la nécessité de temporiser… Cela dit, depuis la création de l'Ircam, la diffusion de l'amazigh a franchi des étapes importantes. Au-delà des écoles, la création d'une télé amazighe a donné à ce patrimoine un véritable élan.