De Fouad Ali El Himma à l'UC en passant par le PJD, l'opposition parlementaire offre le visage d'une mosaique héteroclite. La vraie opposition, elle est dans la rue. Qui fait de l'opposition aujourd'hui au Maroc à part le nouvel opposant royal El Himma ? “Pour parler d'opposition, il faut d'abord qu'il y ait un gouvernement fort, ironise, comme pour éluder la question, Mohammed Ouzzine, membre du Bureau politique du Mouvement populaire, troisième parti politique de l'opposition. Et comme notre gouvernement est faible, il n'a pas réellement besoin d'opposition”. La lecture de Younès Berrada, professeur de sciences politiques, est tout autre. Pour lui, s'il n'y a pas de véritable opposition, “c'est parce qu'il n'y a pas d'enjeux politiques. Ce que nous avons comme opposition parlementaire n'a ni programme ni contre-programme”. Le seul parti à trouver modérément grâce aux yeux de Berrada est le PJD, qui “tente de tenir un discours assez cohérent. Les autres composantes de l'opposition parlementaire restent incapables de se constituer en force de proposition”. En effet, hormis certaines sorties, souvent en réaction à une actualité précise, la majorité est rarement malmenée au Parlement. “Détrompez-vous, le Parlement, ce n'est pas seulement la session des questions orales, soutient ce cadre du MP. Le débat au sein des commissions est souvent virulent. Et cela, le simple citoyen ne le perçoit pas”. Il faut dire également qu'en dehors du PAM, l'opposition parlementaire est pour le moins hétérogène. Si le PJD se retrouve logiquement dans l'opposition, certains partis comme le MP et, dans une moindre mesure, l'UC (26 sièges), l'ont rejointe sans l'avoir choisie. Résultat, ces trois formations avancent en rangs dispersés. “Chacun a ses propres priorités et visions politiques. Ainsi, l'UC comme le MP évitent de s'associer au discours moralisateur du PJD”, jutifie cet observateur. Il arrive cependant que les trois formations s'unissent le temps d'une opération ponctuelle. Ce fut le cas lorsque elles ont décidé de saisir le Conseil constitutionnel contre l'entrée en fonction des radars, voulue par Karim Ghellab, ministre du Transport et de l'Equipement. Mais cela reste de l'ordre de l'exception. Et depuis l'avènement du gouvernement El Fassi, “il est devenu quasi impossible de figer la composition politique du Parlement. Nous sommes dans une situation où l'opposition est aussi malléable et changeante”, insiste Berrada. Le changement de camp que vient d'opérer le PAM y changera-t-il quelque chose ? C'est du moins ce qu'essaie de “vendre” ce membre du Bureau national du PAM : “Nous ne voulons plus laisser le terrain libre aux seuls islamistes. Nous avons décidé de faire de l'opposition, mais autrement. Surtout que rester dans la majorité ne nous avance à rien”. Voici pour les partis se déclarant ouvertement de l'opposition. À la gauche de l'échiquier politique, la situation est encore plus floue. Le chef de file, l'USFP, s'est fendu d'un concept fourre-tout : le “soutien critique” au gouvernement, une manière de ménager la chèvre et le chou. Le FFD et le PPS (18 sièges à eux deux) poussent le paradoxe encore plus loin : ces deux partis forment un groupe parlementaire, le Groupe des forces démocratiques, dont une moitié est au gouvernement… et l'autre dans l'opposition ! En revanche, les deux autres formations de gauche, l'Alliance de la gauche démocratique et le Parti travailliste, ont clairement choisi leur camp. Mais leur faible représentation parlementaire (4 sièges chacun) ne leur permet guère de peser dans les débats. La rue au pouvoir ! Conséquence : ce n'est plus sous la coupole de l'hémicycle, mais plutôt dans la rue, qu'il faut chercher un discours d'opposition audible. La dernière polémique sur le nouveau Code de la route en fut un exemple édifiant. C'est la rue, et plus exactement une corporation professionnelle, qui a contraint le gouvernement et à se rétracter et à suspendre l'examen de la loi par la Chambre des conseillers. C'est aussi dans la rue qu'ont eu lieu les plus grandes manifestations contestataires contre la cherté de la vie, la dégradation des services publics et la marginalisation de plusieurs régions du pays. “Là, il s'agit d'une réelle opposition politique, au sens large du terme, explique Younès Berrada. Elle est conduite par la gauche radicale, avec un certain appui des islamistes, notamment Al Adl Wal Ihsane. Mais c'est une opposition qui s'exerce en dehors des institutions. Et, du coup, elle ne sert à rien”. Pourtant, c'est cette opposition qui gagne de plus en plus en crédibilité et, passant, en ampleur. “Ce qui est plutôt inquiétant, poursuit le politologue. Car, si ce relais qu'est l'opposition institutionnelle disparaît, le gouvernement se retrouvera confronté au diktat de la rue”. Ce dernier, en bloquant certains mécanismes de l'opposition parlementaire, a sa part de responsabilité dans cette situation. Les deux grands partis de l'opposition, le MP et le PJD, en ont fait les frais lors des débats sur la loi de finances 2009. Après avoir présenté des dizaines d'amendements au texte, les deux formations se sont vues opposer à maintes reprises l'article 51 de la Constitution, permettant le passage en force de la loi. “S'il est un article à amender dans la Constitution, ce ne serait pas l'article 19 (concernant les prérogatives du roi), mais l'article 51”, commente cet homme politique de gauche. Ce dernier impute aussi à la prédominance des technocrates dans l'équipe gouvernementale la portée de l'action parlementaire. Sans oublier le phénomène du nomadisme des députés. “Ce va et vient entre les différentes formations politiques fausse totalement les rôles au sein du Parlement”, fait noter cet observateur. Et sur ce point, le débat est loin d'être fermé. Tahar Abou El Farah