Si Londres, Paris et Rome s'apprêtent à dépêcher des conseillers militaires en Libye, le camp du colonel Mouammar Kadhafi comme celui des insurgés de l'Est libyen, à court de fournitures militaires de base, semblent se préparer à un conflit prolongé. Le président français Nicolas Sarkozy a promis mercredi une intensification des raids aériens contre les forces kadhafistes au président du Conseil national de transition libyen (CNT), Moustafa Abdeldjeïl, reçu en grande pompe à l'Elysée. "Nous allons effectivement intensifier les frappes et répondre à cette demande du CNT", a-t-on précisé dans l'entourage du chef de l'Etat français après cette entrevue - sans précédent - avec l'ex-ministre de la Justice de Kadhafi, l'une des premières personnalités à avoir fait défection au "guide" libyen. Priée de dire si l'on pouvait imaginer que le chef de l'Etat français avait obtenu une réponse positive de l'Alliance atlantique à cette demande avant de faire son annonce, cette même source a répondu: "Oui." Mais peu nombreux sont ceux qui pensent que ces nouvelles frappes vont changer un conflit qui pourrait durer des mois, voire des années. Non seulement ils pensent que l'arrivée de l'été va rendre ces raids plus difficiles, mais, en outre, ils estiment que, si Kadhafi n'est pas écarté par un coup d'Etat interne, les insurgés auront du mal à tenir faute de fonds, de carburant, d'armes et de savoir-faire. KADHAFI, UN MORCEAU PLUS CORIACE "Si les rebelles formaient une force de combat sérieuse et cohérente, la puissance aérienne serait suffisante, mais ce n'est pas le cas et tout le monde le sait. Le problème est qu'il y a un décalage entre l'objectif de base - un changement de régime - et les forces qui s'y consacrent", estime l'analyste Marko Papic, du centre de réflexion Stratfor. Dépêcher des conseillers militaires occidentaux pour coordonner les frappes pourrait se révéler une erreur, estiment certains de ces officiers des forces spéciales, mais ils jugent que, comme en Afghanistan, il n'y a d'autres choix que de poursuivre sur la voie engagée. Sans raids aériens, le "bastion rebelle" de Benghazi, capitale de la Cyrénaïque, tomberait en quelques jours et ni le Premier ministre britannique, David Cameron, ni le président américain, Barack Obama, n'envisagent pareille issue. Pas plus qu'ils ne considèrent pourtant une solution aux termes de laquelle Kadhafi resterait à la tête d'un pouvoir qu'il occupe depuis plus de 41 ans. Après les chutes, relativement rapides, des autocrates tunisien Zine ben Ali en janvier et égyptien Hosni Moubarak en février, les Occidentaux ont pensé que la chute de Kadhafi ne serait qu'une formalité. Mais le dictateur libyen s'est avéré un morceau plus coriace. Les alliés ont suivi des stratégies différentes, même s'ils sont intervenus sous le parapluie commun de l'Otan. Parallèlement, la Russie et la Chine, qui ont renoncé à leur droit de veto au Conseil de sécurité pour s'opposer à un recours à la force, se sont opposées à une intervention terrestre. "CELA POURRAIT DURER UN BON MOMENT" "Former des gens à un plus grand niveau de compétence militaire prendra des mois", souligne un haut responsable de l'Otan, sous le sceau de l'anonymat. "Aucun sous-traitant privé ne serait en mesure de faire ce qui leur a pris des années à obtenir en Irak ou en Afghanistan." "La meilleure solution est de faire pencher la balance du pouvoir hors de portée de Kadhafi et d'obtenir un cessez-le-feu", explique le même expert. La reconnaissance internationale des rebelles du CNT comme le gouvernement légitime de la Libye par un nombre croissant de pays est une des solutions envisagées pour prêter main forte à l'opposition mais, jusqu'à présent, seuls la France, le Qatar et l'Italie ont franchi le pas. Washington et Londres y rechignent. Les pénuries de carburant, dans ce pays pourtant producteur de pétrole mais dont les exportations sont soumises à un embargo international, sont un autre problème auquel les belligérants vont devoir faire face pour poursuivre la guerre. "Kadhafi est un stratège, comme on a pu le voir tout au long de ce conflit. Notre indécision lui fournit des munitions", explique Hayat Alvi, spécialiste du Proche-Orient au Naval War College des Etats-Unis. "A moins que les choses ne se modifient fondamentalement, il est difficile d'échapper à la conclusion que cela pourrait durer un bon moment", déclare-t-il en soulignant qu'il exprime là une opinion personnelle. (Reuters)