Inspirés par le délicieux parfum de la contestation, les «bobo» s'encanaillent. Témoignages. Si vous croyez que les doléances de la jeunesse du 20 février ne concernent que les classes défavorisées, c'est le moment d'aller vous rhabiller. Dimanche, dix heures du matin, place Ennasr (la vicoire) aux abords de Derb Omar, Khadija, la cinquantaine pimpante, casquette Gap vissée sur la tête et tenue de sport Sergio Tacchini dont on devine que l'étiquette vient juste d'être arrachée, s'apprête à battre le pavé. Elle n'est pas venue seule. Rim 17 ans et Majid 13 ans, ses deux enfants, l'accompagnent. De derrière ses Ray Ban Wayfarer, elle entame un petit tour d'horizon visuel. «Hé ben, dis donc, Il y a pas mal de monde, remarque-t-elle. J'avais peur qu'on soit peu nombreux, mais là c'est bon.» Effectivement, la place est noire de monde. De la nuée de mégaphones qui pullulent sur la place, sortent des instructions : comment se positionner, comment respecter la cadence de marche, comment répéter les slogans à l'unisson, etc. Khadija ouvre un sac Hèrmes : «C'est une excellente imitation chinoise, souligne-t-elle, je ne cours pas le risque de sortir le vrai, surtout aujourd'hui, on ne sait jamais». L'ambiance est bon enfant. Une poignée de jeunes s'approchent de l'OVNI Khadija, certains lui disent: «Tbarkallah Lalla l'hajja». Elle hoche la tête visiblement crispée à l'idée qu'on s'adresse à elle de la sorte. N'empêche, l'épisode ne gâche pas sa bonne humeur. Tous concernés Dans le patchwork humain de jeunes en jean/basket, d'islamistes d'Al Adl Wa Al Ihsane et de gauchos radicaux, la présence d'une aristocrate BCBG, fille d'un richissime notable, récemment divorcée et fashion victim assumée, ne fait-elle pas désordre? «Absolument pas, intervient-elle, agitant un poignet alourdi d'une montre Jaeger-le-Coultre assez grossièrement bling-bling. Ça n'a rien à voir avec le statut social. Mon pays c'est mon pays, j'estime qu'il faut changer certaines choses. Il est de mon devoir de citoyenne de soutenir nos jeunes.» Dont acte. Petite vérification tout de même, est-elle au fait des revendications de la jeunesse ? Sait-elle que la marche s'adosse sur une série de réclamations : dissolution du Parlement, démission du gouvernement et monarchie parlementaire ? «Oui, je suis au courant, riposte-elle un tantinet gênée. Vous savez, personnellement, je ne fait pas partie du mouvement du 20 février, mais dans ma vie quotidienne, je remarque des choses qui doivent changer, la corruption, la mendicité, la nullité des parlementaires, etc.» Interrompant abruptement l‘inventaire de sa mère, Rim décoche dans un accent délicieusement parisien : «Oui, mais ça va plus loin. En fait, la Constitution est vachement floue, il faudrait expliquer la séparation des pouvoirs, permettre la liberté d'expression, donner la priorité à l'enseignement, aux soins gratuits pour tous et aussi, revoir certains articles de la constitution». Majid, lui, a les yeux braqués sur son Blackberry. Il échange des BBM avec un ami vivant à Marrakech. «Chez-eux nous informe-t-il, la manif' démarre cet aprèm». Peu après, le cortège débute sa procession et les slogans se font de plus en plus audibles. Avant d'emboîter le pas aux manifestants, Khadija oblige ses enfants à avaler de grosses lampées de Sidi Harazem. Ils obtempèrent, mais font la moue. «Faut bien, dit-elle avant de se fondre dans la foule. Avec ce soleil, on a vite fait de se déshydrater» A chacun sa révolution. R.D