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Benkirane, l'omniprésent
Publié dans Le temps le 22 - 03 - 2011

Le boulevard médiatique étant vierge, Benkirane se fait un plaisir de l'occuper en permanence. Est-il devenu incontournable ?
C'est un homme pour qui vraisemblablement les mâtines de la responsabilité gouvernementale ont sonné. En tout cas, il semblerait qu'en l'espace d'une quinzaine de jours, il ait acquis une prestance ministérielle. Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, est sur tous les fronts. L'histoire commence avec un refus quasi-historique. La semaine précédant le 20 février, les partis bruissent de doutes, une certaine panique se propage sur les états-majors des partis politiques. Il faudra se positionner par rapport au formidable soulèvement numérique commandé par la jeunesse. Abass El Fassi réunit les partis politiques. Officiellement, le conclave est sensé consolider les visions réformatrices des uns et des autres. Le credo est le suivant : se tenir les coudes, avancer ensemble, donner une impulsion supplémentaire au projet de renaissance économique du pays. Officieusement, il est question du 20 février. La primature joue-là un épisode risqué de sa mandature. Il est nécessaire pour les partis de ne pas emboîter le pas à un groupe de facebookers sans voix officielle. A l'enseigne des leaders de partis, on oppose une doctrine apocalyptique autour du déroulement de la marche. Et si ça dégénérait leur dit-on ? Et si des âmes venaient à tomber ? Qui incriminerait-on ?
Un «zaïm» esseulé
La primature est claire à ce sujet : les partis. Car, ces jeunes, aussi animés de bonne volonté soient-ils, ne représentent rien, ils n'ont aucun vêtement légal. N'étant ni association, ni coopérative, ni syndicat, ni partis véhiculant une charte claire, si trouble publique il se produit, ceux sur qui les doigts accusateurs se pointeront, ne seront autres que les partis établis participant à la marche. Le message passe. Abdelillah Benkirane, de retour au siège du parti, annonce la chose. C'est le coup de semonce. On crie aux orfraies.
De l'intérieur du parti de la Lampe, c'est une ola de mécontentement qui se déclenche. On entend les uns se formaliser quant à un bouleversement du logiciel islamiste. Un militant sexagénaire enrage «Comment peut-on lâcher des jeunes sur des revendications qu'ici au parti, nous poussons depuis 20 ans, depuis l'époque du Docteur Khatib ?». La confusion est grande et l‘unité en péril… Dégât collatéral. Pilier du PJD et président du groupe parlementaire Mustapha Ramid, flanqué de deux autres cadres, tire sa révérence. Il ira en solo crier son soutien aux doléances des adolescents marcheurs. Au bureau politique, les esprits s'échauffent. La Chabiba islamiste, galvanisée par le mouvement libertaire, clame son envie de s'unir aux vingt fébristes. Que nenni, éructe Benkirane. L'unité avant tout. Le son de cloche est limpide : «Si participation il y a, elle se fera à titre strictement personnel». Dont acte. Les jeunes pousses islamistes participent par petites mottes au raout. Surprise, le fils du secrétaire général y fera une apparition remarquée.
Face à la débandade générale, Benkirane est esseulé. Il est taxé d'excès de zèle souverainiste. Aurait-il, sous cape, négocié un contrat faustien avec le pouvoir ? La question brûle les lèvres du landerneau politique. D'autant que Jamaâ Moatassim, une sorte de Roman Polanski islamiste, accusé de prévarication à la mairie de Salé et écroué sans procès, quitte soudainement sa maison d'arrêt. On hurle au deal fumeux avec le makhzen. Branle-bas-de-combat, à peine relaxé, Moattassim est nommé au Conseil économique et social fraîchement installé par le roi. Pis, la photo de groupe sanctifiant la création du conseil est éloquente. On y voit Moattassim, ex-repris de justice, posant à quelques mètres du monarque. La théorie du deal grignote du terrain, relayée par une presse web pas toujours soucieuse de la véracité de ses infos. C'est le délire au sein du PJD. Heureusement, les autres formations politiques sont gangrenées par leurs lots de sédition interne. C'est le cas de l'USFP dont les militants, et c'est une première, appellent à l'éclatement de la Koutla, à un retrait du Parlement et, granules d'amandes sur le sundae, une défection collective du gouvernement. La férocité des exigences des Ittihadis calme la pression médiatique qui pèse sur les épaules de Benkirane. Il en profite pour se refaire une santé cathodique. Ça sera assurément l'événement de la semaine.
Benkirane incontournable ?
Le secrétaire général participe sur 2M à l'émission de Hamid Berrada, «Mais encore». Le buzz est lancé. Dès l'émission annoncée, Facebook explose. «Répétez pour voir, un PJDiste s'exprimera en français». Benkirane ou comment un proche des laissés-pour-compte utilise la langue de l'élite pour parler à…ce même peuple. L'oxymore est de taille. On sent la lobotomie, une propagande de bas étage. Un jeune de la Chabiba se moque : «Je ne l'ai jamais entendu parler français, je sens le four». Ce militant ravalera sa langue lorsque, s'armant d'une diction chancelante, certes, mais résolument solide, Benkirane crève l'écran. Il lui faudra moins de 55 minutes pour réécrire l'histoire de son parti. L'escogriffe parle bien, il est rationnel, expose une pensée moderne. Tout y passe, bière, Elton John à Mawazine, la monarchie… C'est avec un ministrable potentiel que Berrada croise le fer de la question-réponse. En fin de programme, Benkirane, ne résiste pas. Il lance cette petite phrase synonyme d'une louche d'huile sur le feu des qu'en dira-t-on. Son quant-à-soi maîtrisé, il lâche «Et même si nous obtenons la majorité à la sortie des urnes en 2012, et que le roi désigne un premier ministre non PJDiste, nous n'en prendrons pas ombrage car, cela relève de ses prérogatives constitutionnelles». La prophétie auto-réalisante prend forme. Benkirane, au terme de l'entretien, quittera le siège d'Ain Sebaâ auréolé d'une nouvelle vista, celle d'un maroquin ambulant. Le lendemain, l'opinion publique est sous le charme. La vidéo de «Mais encore» est vite reprise par Hespress et compagnie. Le nombre de vues crève le plafond. Benkirane se frotte les mains. Sa bonne humeur est corroborée par la détresse de son rival de toujours : le PAM. D'intervention en intervention, il ne cesse de mettre en exergue ce constat : Les villes ayant connu le maximum de dégâts humains et matériels en marge du 20 février, sont celles détenues par le parti du Tracteur. La délectation est totale, elle frise l‘ivresse. D'autant que, ni Illyas Omari, tout-puissant féodaliste du Rif, ni Fouad Ali El Himma, fondateur du PAM,ne parlent. Le boulevard médiatique est vierge, Benkirane se fait un plaisir de l'occuper en permanence. Finalement, loin de miner sa popularité, le 20 février aura dopé la légitimité du SG. Il lui est de ce fait permis de rêver. Que l'on se prépare car, au lendemain des législatives de 2012, cet homme au charisme certain, pourrait devenir plus qu'incontournable.
Réda Dalil


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