Encore une fois, la Caisse de compensation fait parler d'elle. Elle est à sec paraît-il. A la fin juin, le montant dédié à la compensation était dépensé à hauteur de 91,8%, soit 12,8 milliards de dirhams des 14 consentis à cette politique. Cette situation dure depuis longtemps et elle est appelée à durer tant que l'économie nationale restera soumise aux aléas des prix de matière première et aux fluctuations du dollar et tant que personne n'ose trancher. C'est un véritable serpent de mer. A chaque fois que les prévisions sont démenties par la conjoncture économique, il faut procéder à des ajustements. C'est le cas aujourd'hui. Alors que la Loi de finances a tablé sur un baril de pétrole à 75 dollars, celui-ci a atteint 77,5 dollars en moyenne au premier trimestre avec un pic à 85 dollars en avril. C'est le même impact pour le gaz butane dont l'estimation est faite sur 580 dollars/t. Sur la même période, le prix moyen de la tonne a atteint 680 dollars et un pic de 763 dollars la tonne. Le prix du sucre s'affiche à 420 dollars la tonne contre 330 prévus, et pour un pic à 660dollars. L'impact s'élève à 500 millions de dirhams. Par ailleurs, plus de 50% de l'impact sur la compensation viennent du taux de change du dollar qui est passé de 7,8DH pour un dollar à 9 DH en moyenne. Soit un impact de 6 milliards de dirhams. Ces données montrent à l'évidence que ce système ne peut continuer indéfiniment. Pour un pays qui ne dispose pas d'une rente exceptionnelle c'est une anomalie, surtout que les finances publiques traversent aujourd'hui une zone de légères turbulences, qui suppose une certaine rigueur dans la gestion. S'il veut atteindre ses objectifs en matière des finances publiques, le gouvernement va devoir agir vigoureusement, et avec persévérance. Quelle qu'en soit la nature des décisions prises, réduction des subventions ou suppression des aides, recours à un système de rationalisation ou mise en place d'aide ciblée, les inévitables mesures de redressement qui s'annoncent auront un effet négatif sur la compétitivité de certains secteurs ou sur le pouvoir d'achat de certaines catégories sociales. Beaucoup dépendra de la compréhension dont ceux-ci feront preuve. Dans ces conditions, mieux vaudrait ne pas trop agiter le chiffon rouge de la réforme de la Caisse de Compensation. L'équation est simple : une telle réforme est politiquement invendable si l'on ne dispose pas d'une solution opérationnelle et d'une alternative qui repose sur quelques avantages en nature ou monnaie nécessaire pour que l'impact des réductions de soutien l'emporte sur celui des avantages remis en cause. Un immobilisme déconcertant Certes, le mot réforme sonne agréablement aux oreilles des Marocains mais pas au point de leur faire croire que celle-ci sera bénéfique pour tout le monde : chacun sait que les cadeaux faits aux uns sont financés par les sacrifices des autres. S'avancer sur ce terrain miné risque de créer un climat de méfiance et réactiver les antagonismes sociaux peu propices à l'effort collectif. Ce qui, en revanche, pourrait être compris de tous si on prenait le temps de l'expliquer, c'est qu'aucune réforme ne dispensera de gérer plus rigoureusement les dépenses publiques. Et que les bénéficiaires de la Caisse doivent contribuer à cet effort en renonçant à une partie de cette rente. Tous ne sont pas des privilégiés, mais le problème ne se pose pas en ces termes. Dire cela ne signifie pas que l'on se range dans le camp du libéralisme sauvage, ni dans la logique de l'Etat minimum. Dans bien des domaines nous avons besoin de l'Etat (lutte contre la pauvreté, soutien des secteurs-clés de l'économie, etc.), mais d'un Etat performant. L'immobilisme qui prévaut aujourd'hui n'est bénéfique pour personne, surtout pas l'Etat qui continue d'engloutir une grande partie de ses ressources financières pour colmater les brèches et acheter la paix sociale. Une telle politique ne peut mener qu'à l'impasse et à l'appauvrissement économique. Il s'agit de prendre le taureau par les cornes et d'entreprendre les mesures qui s'imposent sans quoi le Maroc risque de revivre des périodes d'ajustement aussi difficiles que les années 80 et 90. N'oublions pas cette histoire car «celui qui oublie son passé se condamne à le revivre», comme a dit le grand Goethe . Par Driss Benali (Le Temps)