Décryptage d'une guerre commerciale sans merci entre RAM, Air Arabia et Jet4you. Les compagnies basées au Maroc vont-elles bénéficier de la crise qui frappe le secteur aérien sur le plan international ? Les indices ne manquent pas. Profitant des difficultés auxquelles font face les compagnies mondiales, RAM et Air Arabia veulent en effet consolider leur position sur le marché local à partir du hub de Casablanca. En clair, chacune des deux compagnies veut faire de Casablanca un hub à sa manière. Point de liaison incontournable entre l'Europe et l'Afrique de l'Ouest, Casablanca est aujourd'hui un hub de référence pour la région. Les facilités de transit apportées par son aéroport et les services de logistique et de maintenance offertes par les zones industrielles environnantes font de Casablanca une plate-forme aérienne de choix. Malgré ces avantages stratégiques, le hub reste peu utilisé par les majors internationaux et les compagnies low cost. Crise oblige, les premières préfèrent se concentrer sur leurs marchés prioritaires tandis que les low cost interviennent sur le Maroc via des aéroports de province tels que Marrakech, Agadir et dans une moindre mesure Fès. La crise frappe également de plein fouet ces compagnies low cost. Preuve en est, les liaisons établies avec les aéroports marocains ne sont ni stables ni cohérentes. Les vols sont annulés ou rétablis en fonction de la densité ou pas du trafic. Tirant profit de ce contexte de fragilisation et d'incertitudes, les compagnies aériennes locales veulent d'un côté profiter du levier stratégique du hub de Casablanca et de l'autre accroître leurs parts de marché en fidélisant la clientèle du voyage autour d'offres commerciales très compétitives. Pas de doute : une nouvelle guerre commence. RAM au cœur du monde Pour comprendre les ressorts de cette guerre, il faut analyser les stratégies de chacune des compagnies. A commencer par RAM, seul opérateur pouvant être qualifié de national, car son capital appartient en grande majorité à l'Etat. RAM est d'ailleurs la première compagnie à avoir mis en avant la notion de hub basé à Casablanca. Un hub qui fait la liaison entre l'Europe et l'Afrique de l'Ouest francophone. Cette liaison a été rendue possible grâce aux multiples lignes aériennes que Royal Air Maroc a mis en place avec toutes les capitales de la région. Après un démarrage timide, ces liaisons sont aujourd'hui plus régulières. C'est le cas de Casablanca-Dakar devenu depuis peu un vol quotidien. En parallèle, la compagnie nationale a multiplié ses dessertes vers les grandes destinations européennes comme c'est le cas pour Paris relié par 8 vols/jour. Un patron français peut donc en une journée et demie se déplacer à Dakar pour une réunion et regagner le lendemain ses locaux à Paris. Ces formules rencontrent du succès puisque la moitié des vols de la compagnie nationale assurent des connexions entre plusieurs destinations. Mais RAM a compris que pour pérenniser ses activités, elle ne doit pas se cantonner à la liaison Europe-Afrique. Tôt ou tard, l'un de ses concurrents viendrait la bousculer sur ce segment. Pour anticiper, la compagnie nationale annonce la multiplication des interconnexions en se basant sur le hub de Casablanca. Royal Air Maroc voit plus grand en se tournant davantage vers l'Ouest. Elle table sur la connexion de l'Amérique du Nord avec l'Afrique subsaharienne et le Maghreb d'une part et le Moyen-Orient d'autre part. L'idée est de permettre à un cadre new-yorkais de faire le trajet vers Dakar, Abidjan ou Beyrouth en passant par Casablanca. C'est dans ce cadre que la cadence et la densité des lignes avec l'Amérique du Nord ont été accentuées. L'intensification a principalement concerné les destinations phares telles que New York ou Montréal. Ajoutons à cela, l'ouverture de nouvelles lignes comme Atlanta. En parallèle, RAM développe ses liaisons non seulement vers le Moyen-Orient mais aussi vers l'Asie du Sud-Est. Cela se traduit, à titre d'exemple, par la mise en place d'un vol quotidien vers Beyrouth et des cadences plus rapprochées vers Abu Dhabi et Dubai. Ceci en plus de l'ouverture de nouvelles lignes vers Shanghai et Pékin. Le nouveau positionnement que veut RAM pour le hub de Casablanca nécessite également un renforcement des liaisons avec l'Afrique subsaharienne. Il ne s'agit pas uniquement de densifier les lignes déjà existantes mais de mettre en place de nouvelles liaisons. Dans ce cadre, Royal Air Maroc voit plus vers le Sud et l'Est du continent. Johannesburg, Luanda, Bangui, toutes des destinations que la compagnie nationale a mises sur son échiquier. Ceci dit, le nouveau positionnement annoncé pour le hub Casablanca n'annule pas pour autant la vocation initiale de la compagnie : connecter l'Afrique et l'Europe. Cette consolidation se manifeste par la recherche de nouvelles destinations dans le Vieux continent. A ce niveau, RAM regarde plus à l'Est et au Nord. Elle s'est en effet positionnée sur des destinations comme Varsovie et Moscou. Elle cherche à en décrocher d'autres notamment avec les aéroports de Vienne, Athènes, Stockholm, Prague… Ces lignes serviront dans un premier temps à des fins touristiques, mais elles seront certainement utilisées pour des besoins d'interconnexion. Si ces objectifs d'extension de liaisons sont réalisés, la boucle sera bouclée pour RAM. Alors qu'elle connectait uniquement le Nord vers le Sud et accessoirement le Sud au Moyen-Orient, son hub couvrirait les quatre coins du monde (de l'Amérique du Nord à celle de l'Ouest, de l'Afrique subsaharienne à celle du Sud, l'Europe au Nord et le Moyen-Orient au Sud). «Stop & Go» Pour ce faire, les dirigeants de RAM tiennent dur comme fer à avoir leur propre terminal. Ils crient cette doléance haut et fort et font même du lobbying médiatique pour la réaliser. «Ce terminal propre est essentiel pour que nous puissions bien implémenter notre stratégie. D'ailleurs, toutes les compagnies internationales gérant des hubs, le font par le biais d'un terminal dédié», nous explique Abderrafie Zouiten, vice-président chargé du pôle commercial à Royal Air Maroc. En effet, la compagnie nationale veut exploiter le terminal 1 de l'aéroport Mohammed V, actuellement en rénovation. Elle veut d'ailleurs s'y installer dès son ouverture partielle ce mois-ci. Mais le management de RAM sait bien que ce n'est pas encore acquis. L'accord des autorités de tutelle n'est toujours pas donné. Ces dernières ne voudraient pas avoir, selon des sources du secteur, des réactions du type «pourquoi eux et pas nous». Car les deux autres compagnies locales devront se bousculer avec les concurrents internationaux au terminal II, au moment où eux aussi veulent profiter du hub de Casablanca autant que RAM. Le débat autour du terminal dédié n'est pas le seul problème auquel se heurte RAM pour réaliser ses objectifs. La compagnie nationale ne cache pas les tracasseries que lui cause l'open Sky avec l'Europe. «On sent que c'est un open sky dans un sens et pas dans un autre. En effet, les compagnies européennes peuvent offrir des vols vers le Maroc à 0 euro. Quand c'est RAM qui veut installer une ligne vers un aéroport européen, sa demande est souvent refusée pour cause de remplissage des terminaux», explique M. Zouiten. Ajoutons à cela le fait que les compagnies low cost sont des champions dans le «Stop & Go». Elles annulent et relancent des lignes vers le Maroc quand cela les arrange. Malgré cela, les dirigeants de RAM rappellent qu'ils tiennent le coup face au low cost au moment où les plus grosses compagnies classiques frôlent la banqueroute. A ce niveau, bon nombre d'opérateurs critiquent RAM pour avoir «tué» sa compagnie low cost Atlas Blue alors qu'elle pouvait s'en servir ne serait-ce qu'en partie pour contrer la concurrence des compagnies européennes de ce segment. Pour les dirigeants de la compagnie nationale, ce ne sont que des critiques infondées. «Avec le nombre d'avions (7 appareils), nous étions dans l'impossibilité de concurrencer les compagnies low cost européennes dont le parc compte des dizaines d'unités. C'est ce qui a expliqué la conversion de cette filiale en Airliner», précise Abdessamad Sadouq, directeur général adjoint chargé du trafic aérien au sein de RAM. Air Arabia affûte ses armes Il n'y a pas que RAM qui décline ses intentions de croissance. Air Arabia est en train de ficeler sereinement sa stratégie pour profiter du hub de Casablanca, mais autrement. Pour la compagnie émiratie, qui est par ailleurs l'entreprise arabe ayant réalisé le plus fort taux de croissance des revenus en 2009, l'aéroport Mohammed V ne constitue pas le seul hub à exploiter. Elle prévoit d'en faire une composante d'un réseau de hubs qui compte en plus de la capitale économique du Maroc, Alexandrie en Egypte et Sharjah aux Emirats arabes unis. Chacun de ces trois hubs sera spécialisé dans des liaisons particulières. Celui de Sharjah se chargera de desservir les destinations asiatiques phares, notamment la Chine, l'Inde et le Golfe. Ajoutons à cela, des dessertes vers l'Europe de l'Est et l'Asie Centrale. Quant à celui d'Alexandrie, il sera spécialisé dans les destinations égyptiennes, soudanaises ainsi que quelques destinations du Golfe. Casablanca, pour sa part, est actuellement relié à une dizaine de destinations en Europe de l'Ouest. Mais l'ambition à court et moyen termes est de connecter ce hub aux grandes destinations africaines. Et c'est là, la grande nouveauté. En effet, Air Arabia veut bousculer RAM sur un terrain qu'elle a conquis depuis plusieurs années. Elle veut en effet étendre sa présence dans les capitales d'Afrique de l'Ouest. La différence qu'elle veut créer avec l'offre de RAM se situe au niveau des prix. Selon des sources proches du dossier, Air Arabia serait prête à proposer, à titre d'exemple, des vols Casablanca-Dakar à des tarifs qui seraient largement inférieurs à ceux de RAM. Une fois ce nouveau positionnement vers l'Afrique institué, l'objectif annoncé est de connecter les trois hubs (Casablanca, Alexandrie et Sharjah). L'idée est de combiner les lignes directes, ouvertes au niveau de chaque hub. A titre d'exemple, un voyageur qui veut faire Dakar-Shanghai, passera d'abord par la ligne directe Dakar-Casablanca. Il utilisera une deuxième ligne directe vers Sharjah et une troisième vers sa destination finale. S'il veut aller de Dakar vers Kiev, il volera de Casablanca à Sharjah avant de s'orienter vers la capitale ukrainienne. De telles combinaisons, il en existe des dizaines, voire de centaines, si l'on recoupe les multiples lignes directes ouvertes par la compagnie dans ses trois hubs et celles qu'elle compte ouvrir à court et à moyen termes. Le problème de prix ne se poserait pas malgré les multiples escales car le caractère low cost de la compagnie lui permettra de maintenir un niveau de compétitivité confortable par rapport à ses concurrentes classiques. En plus de la connexion des trois hubs et les opportunités que cela offre pour Air Arabia, la compagnie émiratie compte attaquer RAM sur un autre terrain sensible. Des sources proches du dossier affirment que la compagnie low cost réfléchirait à offrir des voyages vers les Lieux Saints de l'Islam pour le Hadj et la Omra. Mais on ne sait pas encore si cela serait en direct de Casablanca ou via Sharjah. Reste à savoir si la compagnie nationale prend en considération la menace concurrentielle d'Air Arabia et se prépare à la contrer. «En me rasant le matin, je ne pense pas à Air Arabia», ironise M. Zouiten. Le choix des destinations de RAM se fait, selon ses dirigeants, sur la base d'études de marchés et de calculs financiers qui déterminent la rentabilité des lignes à ouvrir. Dans ce paysage concurrentiel, Jet4you, la première compagnie low cost marocaine, semble être moins concernée par la guerre des hubs. Durant cette saison estivale, elle s'est limitée à ouvrir deux nouvelles lignes vers Bordeaux et Venise. Elle a également offert un nouveau package de services intégrés qui comprend en plus des billets d'avion des offres d'hébergement, de location de voitures et de loisirs. C'est l'offre baptisée Holidays4you. Pour l'avenir, Jet4you se limite à annoncer l'ouverture de «trois nouvelles dessertes», non encore déterminée. Ajouté à cela, «le renforcement de la flotte par des avions de nouvelle génération». Ces ambitions comparées à celles de RAM ou d'Air Arabia semblent limitées. Des rumeurs indiquent que Jet4you serait obligée incessamment d'augmenter son capital puisqu'elle viendrait de boucler le troisième exercice avec un résultat négatif. Contacté par nos soins, le DG de la compagnie, Karim Bayna, n'a pas souhaité réagir à ces informations. «Nous sommes une filiale d'un groupe international qui s'appelle TUI. Les questions financières sont traitées au niveau de la société-mère», précise-t-il. Des sources proches de la compagnie parlent de rumeurs infondées «puisque la compagnie continue à ouvrir de nouvelles lignes pour cette saison estivale». Quant à Air Arabia elle ne diffuse aucune information sur ses résultats financiers. Cela interpelle même ses concurrents. «Vous avez déjà vu Air Arabia ou Jet4you communiquer leurs indicateurs d'activité comme nous le faisons ?», se demande M. Zouiten de Royal Air Maroc. La hache de guerre n'est pas prête d'être enterrée. Chakir Arsalane 2004 Libéralisation du ciel marocain La mise en œuvre de la politique de libéralisation du transport aérien et d'ouverture cadrée du ciel marocain en 2004 a permis de drainer plus de 46 compagnies aériennes. Depuis, l'ONDA et RAM oeuvraient de concert, pour faire de l'aéroport Mohammed V un hub, un point de jonction entre les différents continents. 2004 Création d'Atlas Blue La compagnie low-cost de Royal Air Maroc a démarré son activité le 31 octobre. Avec une flotte de six avions la compagnie a commencé à desservir plusieurs pays européens avec des prix d'appel défiant toute concurrence. Les vols étaient commercialisés autour de 2 000 DH HT. 2006 Création de Jet4you Deuxième compagnie low-cost lancée au Maroc et première compagnie de statut privée, Jet4you a lancé officiellement la bataille des bas prix dans le secteur de l'aérien, avec un aller Casablanca/Paris à 480 DH TTC. 2008 Prise de contrôle de Jet4you par TUI A peine deux ans après sa création, Jet4you entame une deuxième vie. Le numéro 1 mondial du voyage, TUI, détient 100% dans la première compagnie aérienne privée à bas prix du Maroc. Le tour opérateur allemand a racheté les parts des autres actionnaires.