Et si l'entrée de la CDG dans le capital de BMCE Bank ouvrait officiellement l'ère de l'après-Benjelloun ? A la fin de la soirée qu'il avait organisée en grande pompe à l'Amphitrite Palace à Skhirat pour fêter le cinquantenaire de BMCE Bank, Othman Benjelloun avait offert à ses cadres des montres Swatch en leur donnant rendez-vous dans «cinquante ans». Le cadeau avait suscité hilarité et interrogations. «Sir Benjelloun immortel ?». Un début de réponse à la question a été apporté cette semaine. En manque de liquidités, menacé dans ses fondements, sous le coup des avertissements de Bank Al Maghrib… Othman Benjelloun vient de réaliser un énième coup de maître en ouvrant son capital à la vielle dame de Rabat et en esquissant ce qui s'apparente à un passage de témoin «institutionnalisé» avec un actionnaire de poids comme la CDG. Tour de passe-passe Lundi 22 mars, Tour BMCE Capital, boulevard Hassan II à Casablanca. Les salariés de la banque d'affaires du groupe d'Othman Benjelloun n'ont qu'un sujet sur les lèvres : la prise de participation de la CDG dans le capital de leur banque. L'opération faisait depuis bien des semaines l'objet des rumeurs les plus folles, mais seuls quelques initiés dans le staff rapproché du président en ont eu vent. Rien ne devait filtrer avant son closing. Préparée en catimini et pilotée par une équipe restreinte de BMCE Capital et CDG Capital, l'opération est hautement stratégique. En cette journée, un bloc d'actions BMCE passe entre les mains de la vielle dame de Rabat. Au total, 8% du capital de la banque change de main. Le cédant n'est autre que la BMCE elle-même. Les titres ayant été puisé dans le stock détenu via son programme de rachat. Montant de la transaction : 3,4 milliards de dirhams. Et ce n'est pas tout. La même séance, un autre bloc d'actions transite par le marché de gré à gré. Un paquet de titres CGI, représentant quelque 8% de son capital, est transféré à RMA Watanya, compagnie d'assurance du groupe FinanceCom. Là aussi, le montant du deal est astronomique : 3 milliards de dirhams. Dans les salons d'affaires de Casablanca et Rabat, cette prise de participation de la CDG dans le capital de la banque de Othman Benjelloun est interprétée comme le début de quelque chose... le début d'une prise de contrôle en bonne et due forme de la BMCE par la CDG. Ce scénario était aussi l'objet de rumeurs depuis plusieurs mois. Il se confirme de plus en plus. Il faut dire que les deux groupes ne sont pas à leur premier partenariat capitalistique. Il y a six mois, le tandem avait racheté pour 800 millions d'euros les parts de Telefonica et de Portugal Telecom dans Méditel. C'était le début d'une idylle, commencée avec l'arrivée d'Anas Alami à la tête de la CDG. Les âmes les plus «pragmatiques» ne disent pas autre chose, mais préfèrent rester plus terre à terre en trouvant des justifications économiques à cette prise de participation croisée. La CDG, présente dans le secteur bancaire à travers une participation conséquente dans le CIH, prend pied dans «un joyau financier» et renforce ainsi sa présence dans le secteur. Elle s'ouvre en parallèle de nouveaux canaux à l'international via les diverses participations de la BMCE en Afrique, en Asie ou encore en Europe. Ce raccourci épargnerait au bras financier de l'Etat du temps et de l'argent ! Mieux encore : la CDG est également présente dans le secteur des assurances, à travers la compagnie du groupe Holmarcom, Atlanta-Sanad. L'ensemble aspire à un rôle de challenger dans un secteur contrôlé par le duo Wafa Assuarnce-RMA Watanya. En s'arrimant au groupe FinanceCom (holding de contrôle de la RMA), la CDG gagne ainsi un allié de taille. Opération donc gagnante pour la vielle dame de Rabat. Un fardeau en moins Pour la BMCE Bank, les gains sont tout aussi évidents. A commencer par le matelas de cash dégagé suite à la vente de ses propres titres à la CDG. Ce pactole devrait arroser les caisses d'une banque limite asséché par ces temps d'illiquidité du système monétaire. Le produit de la vente (3,4 milliards de dirhams) devrait également améliorer sensiblement ses ratios prudentielles, notamment le fameux ratio de cook, passé de 8 à 10% entre 2008 et 2009, et qui devrait encore s'apprécier de 2 points au terme de l'année courante. Ceci sans compter l'élargissement certain de la capacité d'endettement de la banque. Une capacité mise à mal depuis quelques mois par les sorties répétitives de la banque sur le marché de la dette obligataire. La BMCE se débarrasse aussi d'un fardeau : ses titres détenues en auto contrôle… à coup d'opérations de rachat en Bourse. Des opérations coûteuses et qui ont fait l'objet d'importantes provisions pour pertes latentes après la déprime du marché boursier enclenché fin 2008. Mais le vrai coup de maître de Sir Benjelloun réside en fait dans la symbolique de l'opération. L'entrée d'un actionnaire comme la CDG dans son tour de table est d'abord un gage de stabilité sur le long terme. Et c'est peut être même l'objectif numéro 1 de l'opération : stabiliser la banque... et préparer l'après-Benjelloun. Car c'est bien de cela qu'il s'agit: d'une transmission qui ne dit pas encore son nom. Et tous les indices les prouvent. Une OPA déguisée ? Si le seul objectif de l'opération était de soulager les caisses de la BMCE Bank, pourquoi ce n'est pas la RMA Watanya qui est allée à la pêche, elle qui a pu se payer 8% du capital de la CGI à …3 milliards de dirhams ? Pourquoi passer par la CDG ? Pourquoi tout ce détour ? Qu'est ce qui a empêché la RMA de se renforcer davantage dans le capital d'une banque où elle détient déjà quelque 30% ? La CDG avait-elle vraiment besoin de cette participation dans la BMCE Bank, elle qui est déjà présente dans le secteur à travers le CIH ? Et si Othman Benjelloun et la CDG s'étaient mis d'accord sur une feuille de route, qui assurerait à cette dernière le contrôle à la retraite du dernier des banquiers ? «Il est clair que l'objectif de l'opération est autre que ce qui a été annoncé ici et là. Il s'agit en fait d'une pré-OPA déguisé de la CDG sur la BMCE. Une opération tracée en commun accord avec Othman Benjelloun», explique cet initié. «Benjelloun n'aurait jamais admis voir sa banque fusionner ou absorber par une autre banque de la place. Ce serait pour lui une défaite. C'est en cela que le scénario CDG, qui a commencé avec cette prise de participation, est intéressant», poursuit notre interlocuteur. Pour les spécialistes, cette opération esquisse peut-être l'après-Benjelloun. Un schéma institutionnel piloté par la CDG. Et c'est en ce sens que les observateurs parlent de «coup de maître» de la part d'Othman Benjelloun. L'homme, au soir d'une vie bien pleine, devait réfléchir à la meilleure manière de pérenniser BMCE Bank, vaisseau amiral de son empire. L'année 2009 ne fut, d'ailleurs, pas facile pour lui. A la crise du business s'est ajouté la pseudo faillite de Legler Maroc, la débâcle de la filiale londonienne Medi Capital Bank et une grande vague de réorganisation interne. L'ultime bataille ? L'affaire Legler reste de loin l'événement marquant des deux dernières années. La mise en redressement judiciaire du géant du textile met la banque en première ligne. Fragilisé par le poids des provisions, BMCE Bank n'a pas eu le temps de relever de la tête après une année 2008 pour le moins difficile. Mais Othman Benjelloun a toujours su sauver l'apparence. En 2008, il orchestre un méga deal avec son partenaire espagnole Caja de ahorros de Mediterranea, dégageant quelques 700 MDH de plus value pour sa banque. La saison est sauvée, malgré la débâcle de sa banque londonienne Medi Capital Bank mise à male par la crise financière internationale. Imperturbable, Sir Benjelloun multiplie les signaux positifs à l'adresse du marché. Il concocte un deal avec l'Etat pour le sauvetage du géant de textile Legler, prépare l'intégration de sa banque de la City à l'ensemble Bank Of Africa, et met de l'ordre dans ses troupes. Et au moment où on le croyait affaibli, Othman Benjelloun prend tous les observateurs de court en annonçant en grande pompe avec la CDG la prise de contrôle de Méditel pour quelque 800 millions d'euros. L'homme montre ainsi qu'il n'est pas fini, qu'il peut toujours prendre des risques. Cet acte résume à lui seul le parcours d'un érudit des affaires. Et rappelle toute les batailles homériques qu'il a eu à mener durant sa vie. Octogénaire, l'homme a eu une vie de seigneur, lui qui a vécu bien des épreuves. Grandi dans l'industrie, il a gagné le challenge de la privatisation de la BMCE, réussi la fusion de RMA Watanya, monté un groupe financier modèle dont les tentacules s'étendent de l'Afrique à l'Asie en passant par la prestigieuse City de Londres. Une réussite éclatante qui suscite encore des jalousies. Prévoyant, l'homme est-il en train de mener son ultime combat ? Pérenniser son empire ? Une tâche à laquelle il s'attelle avec toute l'intelligence cumulée pendant sa longue (et riche) vie, faisant fi des grandes manœuvres qui semblent s'opérer dans les coulisses. Dans cinquante ans, BMCE Bank sera toujours là. Les montres Swatch pourront en témoigner. Saâd Kadiri 1988 De l'industrie à la finance Grandi dans l'industrie, Othman Benjelloun se reconverti à la finance à travers le rachat de la Royale Marocaine d'assurance, compagnie fondée en 1996 Rachat de BMCE Grâce au trésor de guerre qu'il hérite de la RMA, Benjelloun part à la pêche dans la vague du processus de privatisation enclenché par l'Etat. Il revient avec une capture de taille : la BMCE, qu'il s'emploiera à moderniser pour en faire l'une des prestigieuse banques africaines. 1999 Bonjour les télécoms Le secteur des télécoms est libéralisé. Othman Benjelloun ne rate pas l'occasion. Il s'associe à Telefonica et à Portugal Telecom et remporte la deuxième licence GSM. Méditel est né. Dix ans après, il rachète, en compagnie de la CDG, les parts de ses partenaires étrangers pour devenir seul maître à bord de l'opérateur télécom. 2006 La banque s'internationalise Les ambitions de l'homme n'ont pas de limite. Après avoir stabiliser son vaisseau amiral BMCE Bank, Othman Benjelloun a des visées à l'international. Il rachète en 2006 Bank Of Africa, 3ème plus grande banque d'Afrique et investit un an après la city de Londres en y installant sa filiale Medi Capital Bank. 2009 Le tsunami Legler La mise en redressement judiciaire du géant du textile Legler Maroc fragilise la banque d'Othman Benjelloun. La BMCE Bank est engagé dans ce dossier à hauteur de 800 MDH. Le cours de l'action prend un sérieux coup dur. Mais Benjelloun ne baisse pas les bras et appelle l'Etat à la rescousse. 2010 Et maintenant ? Octogénaire, l'homme doit aujourd'hui mener son ultime bataille : assurer sa succession et pérenniser son groupe. Pour ce faire, et en l'absence de dauphin désigné, l'homme choisit l'option institutionnelle en ouvrant son capital à la vielle dame de Rabat. CDG. The Alami touch Neuf mois lui auront suffi pour imprimer son empreinte. Une tâche pourtant pas facile quand on gère un mastodonte comme la CDG. Réorganisation, réorientation stratégique, nouvelle politique d'investissement… Anas Alami ne recule devant rien, au risque de chambouler l'ordre quasi établi. Il n'hésite pas à rappeler ses filiales à l'ordre quand celles-ci s'égarent de leur ligne directrice (l'exemple Med Z). Et l'homme sait reconnaître les erreurs de ses prédécesseurs quand il le faut (le cas Club Med). Il prend aujourd'hui pied dans le capital de l'une des plus grandes et prestigieuse banques de la place. Une banque dont les ramifications s'étendent sur trois continents et offre à sa filiale immobilière la CGI un partenaire financier de choix. Ce sacré coup de maître intervient à quelques mois seulement d'intervalle de la prise de contrôle de Méditel et du renforcement dans le capital de la station Mazagan. La Alami touch, c'est tout cela à la fois.