Le nouveau roman de Mahi Binebine sortira en janvier prochain. Nabil Ayouch a déjà décidé d'en faire un film. C'est l'événement littéraire marocain du début d'année 2010 ! Peintre mondialement reconnu, Mahi Binebine n'en reste pas moins un écrivain de talent, au style simple et épuré, et qui publie depuis 1992 un opus tous les trois ans. Hormis une petite incartade en 2003, avec Terre d'ombre brûlée, récit d'un peintre miséreux qui meurt seul sur un banc parisien (référence à Jilali Gharbaoui), Binebine a toujours puisé son inspiration dans le terreau de son Maroc natal. Et le résultat touche souvent juste, divertit un peu, émeut beaucoup. Que ce soit Le sommeil de l'esclave, inspiré de son enfance dans la médina de Marrakech, voire Les funérailles de lait, L'ombre du poète, Pollens ou encore Cannibales (qui se penche de manière tragique sur les affres de l'immigration clandestine), l'auteur a pour habitude de jeter un œil introspectif sur la société qui l'entoure et parfois le happe. Son nouveau roman ne déroge pas à la règle. Les étoiles de Sidi Moumen est une vision grinçante d'un univers fou, misérable et dénué d'avenir, qui enfanta il y a six ans l'une des pires pages de l'histoire contemporaine marocaine, celle des attentats du 16 mai 2003. Dans ce livre, l'écrivain adopte le ton de la voix-off, celle du kamikaze tout juste suicidé, qui revient de l'au-delà pour délivrer sa version de l'histoire. Sans complaisance ni pointe de dédouanement, mais sans culpabilisation outrancière non plus, l'auteur tente de comprendre comment une société a priori paisible a pu basculer l'espace d'une soirée dans pareille horreur. «Nous avons tous été choqués par cette tragédie qui ne nous ressemble pas. J'ai voulu comprendre comment cela a pu nous arriver. Le Marocain n'est pas d'une nature violente», plaide l'auteur, qui avoue avoir tout de suite pensé à en faire un livre. Mais entre ses activités picturales prenantes, et la nécessaire prise de distance face à un sujet d'une telle nature, le roman ne sera distribué qu'à partir de janvier 2010, soit plus de six années d'un travail minutieux. D'autant qu'il lui fallut constituer un matériau conséquent fait de recherches, d'enquêtes et d'informations brutes, à passer au tamis de la réflexion afin de nourrir son œuvre à venir. Une fiction, pas un document «Je me suis rendu sur place et me suis retrouvé sur une autre planète. J'y suis retourné plusieurs fois, en 2004, en 2006 et tout récemment. J'ai mis 5 ans à écrire ce court roman. C'est un livre compliqué : d'un côté, je ne pouvais pas faire l'apologie du terrorisme, et de l'autre, j'étais bien obligé de comprendre que lorsqu'on naît dans la misère, cerné par une décharge de 100 hectares comme seul horizon, on devient une proie facile pour le premier marchand de rêves venu», indique Binebine. Et c'est certainement là le principal défi à relever pour cet artiste-écrivain débonnaire au commerce agréable, volontiers drôle, jamais avare de bons mots, un trait de caractère qui n'entame en rien une forte capacité à bûcher dès lors que le sujet en vaut la chandelle. Et du travail, il lui en a fallu pour faire en sorte que son roman ne sorte pas des sentiers de la fiction pour emprunter ceux de la reconstitution historique. «Je n'ai pas fait un document. C'est une fiction qui s'inspire d'un drame. Mon rôle en tant qu'écrivain, c'est de faire un constat. J'essaie de dépeindre mon temps avec le plus d'objectivité possible. Le monde que je décris sera forcément embelli par-ci, exagéré par-là, et, somme toute, inscrit dans la réalité de la fiction», tient-il à préciser. Toujours est-il que, même s'il s'en défend, Mahi Binebine ne se prive pas d'appuyer le trait sur une réalité cruelle pour expliquer (sans justifier) l'inexcusable, décrivant les conditions de vie dans ces bindonvilles périphériques comme autant de poudrières dans l'attente d'une étincelle. Une véritable vision d'horreur rapportée par un écrivain observateur, fatalement acteur et transcripteur du temps qui passe. «Les écrivains du Sud se sentent investis par une mission donquichottesque, et je n'échappe à cette règle. Je n'aime pas la littérature militante. Il faut un dosage équilibré entre le redresseur de torts et le poète. C'est ce que j'essaie de faire. Constater, pointer le doigt sur ce qui ne va pas», argumente-t-il. «A Sidi Moumen, en dehors de quelques immeubles sans âme, rien n'a réellement changé. Pire, il s'y développe même un trafic de certificats de résidence. Fermer les yeux sur la construction d'une nouvelle baraque, ça coûte autour de 70.000 DH. Autrement dit, sachant qu'il est question de reloger les gens, la corruption a trouvé là son pain bénit. Et il y a des voyous qui se nourrissent de la misère de ces pauvres gens». Là, il touche juste, et la lecture de l'épreuve finit de page en page par nous en convaincre. Est-ce étonnant après tout, lui qui a toujours habitué ses lecteurs les plus fidèles à une certaine exigence, et qui pour cela lui en sauront toujours gré. Car à ne pas douter, Les Etoiles de Sidi Moumen connaîtra un succès d'estime certain lors de sa sortie, tant public que critique. Bientôt sur vos écrans… Et ce n'est pas Nabil Ayouch qui soutiendra le contraire : le cinéaste en a déjà acquis les droits pour une adaptation à venir, probablement fin 2010. Il raconte la genèse d'un succès annoncé : «La rencontre avec le dernier livre de Mahi Binebine s'est faite de façon surprenante. J'avais décidé du sujet de mon prochain film et lancé l'écriture d'un scénario depuis quelques mois quand j'ai eu vent de ce roman. J'ai appelé Mahi qui a eu la gentillesse de me l'envoyer et j'ai constaté que le livre traitait précisément du sujet qui m'intéressait et en plus de la façon dont je souhaitais le traiter, à savoir le destin de quelques jeunes marocains des quartiers qu'on oublie, de 1994 au 16 mai 2003. Les étoiles de Sidi Moumen est une histoire qui m'a bouleversé. C'est terriblement humain, tant le drame est absolu. Mais cette dimension humaine, dans la manière d'aborder un problème aussi important, permet à cette histoire d'être vraie, drôle, sincère, pas désespérée comme on pourrait le croire». En attendant, Mahi Binebine a déjà repris son envol pour un neuvième opus. Et c'est tout rigolard qu'il en dévoile à demi-mot le sujet, comme une évidence : «Pour changer, il sera question d'un orphelinat !!! L'histoire d'amour que je rêve d'écrire un jour attendra». Ne l'avait-il pas écrite dans chacun des ses romans ? Amine Rahmouni