Aminatou Haïdar a finalement recouvré sa nationalité marocaine. Et ce n'est que justice. Aminatou Haïdar a donc obtenu gain de cause. Et à juste titre. A l'heure où cet éditorial est écrit, soit le jeudi 17 décembre dans la soirée, la pasionaria de la cause sahraouie indépendantiste devait regagner Laâyoune et rentrer chez elle. C'est une victoire du droit, un retour à la raison et une lourde défaite pour la bureaucratie marocaine, sa diplomatie et sa classe politique. Pendant les 32 jours qu'aura duré cette crise, nous avons vécu, au Maroc, dans un climat d'hystérie où le moindre avis contraire à la décision d'expulsion prise par l'administration marocaine à l'encontre d'Aminatou Haïdar était interprété comme une haute trahison à la nation. Pendant ces 32 jours, la propagande officielle a fonctionné à plein régime pour couvrir un acte arbitraire, commis dans un moment de colère par les autorités, au mépris de la Constitution du pays, du discours du roi du 6 novembre 2009 et des conventions internationales ratifiées par le Maroc. Le résultat est catastrophique : le pays sort affaibli et décrédibilisé sur la scène internationale et Aminatou Haïdar rentre chez elle en héroïne. L'Algérie et le Polisario peuvent sabrer le champagne. Quant au peuple marocain, il doit à nouveau ravaler sa rage face à l'incompétence de ses gouvernants qui ignorent même leurs propres lois et prennent des décisions sans en calculer les conséquences. Car en l'espèce, l'administration marocaine a été dans le tort juridique total. Et la communauté internationale a fini par rappeler le Maroc à l'ordre. Rappelons les faits. Le 13 novembre, de retour d'un voyage aux Etats-Unis, où elle venait de recevoir un énième prix, Aminatou Haïdar remplit sa fiche de débarquement en y inscrivant «Laâyoune, Sahara occidental» comme lieu de résidence. Elle laisse aussi, selon sa propre version des faits, la case «nationalité» vide, tandis que les autorités marocaines déclarent qu'elle a mis la mention «Sahraouie». Pour la police des frontières de l'aéroport de Laâyoune et les services de sécurité, c'est une provocation de plus de la part cette activiste qui vit au Maroc, qui a été indemnisée par l'Instance équité et réconciliation et qui parcourt le monde avec un passeport marocain pour dénigrer son pays dans les rencontres internationales. Sur la base de cette fiche de débarquement, l'administration décide alors de confisquer son passeport marocain et de la refouler au motif qu'elle a «renié sa nationalité» en présence de «témoins». Du 16 novembre au 17 décembre, en militante «professionnelle», Aminatou Haïdar a mené une grève de la faim très médiatisée et est devenue une icône, dont le discours est relayé par les grandes chaînes télé internationales et la presse mondiale, et dont la cause est soutenue par la société civile espagnole, les députés de l'UE, le Haut commissariat aux réfugiés… Son cas a mobilisé le ministère espagnol des Affaires Etrangères, préoccupé la Secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton et les Nations Unies. Pire, pour le Polisario et l'Algérie, le cas Aminatou est une occasion en or pour fragiliser la position marocaine à la veille du 5éme round des négociations. Voilà pour les faits. Venons-en maintenant au contexte politique de ce refoulement, intervenu après le discours prononcé par le Roi à l'occasion du 34 éme anniversaire de la Marche verte. Dans celui-ci, Mohammed VI déclare : «En toute responsabilité, Nous affirmons qu'il n'y a plus de place pour l'ambiguïté et la duplicité : ou le citoyen est marocain, ou il ne l'est pas. Fini le temps du double jeu et de la dérobade. L'heure est à la clarté et au devoir assumé. Ou on est patriote ou on est traître. Il n'y a pas de juste milieu entre le patriotisme et la trahison. On ne peut jouir des droits de la citoyenneté et les renier à la fois, en complotant avec les ennemis de la patrie». Dans le même discours, le Souverain prend cependant le soin de préciser que ce combat contre les traîtres à la Nation doit s'inscrire dans le cadre de l'Etat de droit et, par opposition, ne pas être le fait de l'arbitraire. Le roi souligne à cet effet que «le temps est venu pour que toutes les autorités publiques redoublent de vigilance et de mobilisation afin de contrecarrer, avec la force de la loi, toute atteinte à la souveraineté de la nation, et de préserver, avec toute la fermeté requise, la sécurité, la stabilité et l'ordre public qui est le gage effectif de l'exercice des libertés». Or, dans le cas d'Aminatou Haïdar, la question du respect de la loi s'est trouvée précisément posée dès le début, car «nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays». C'est en tout cas l'engagement international auquel le Maroc a souscrit en ratifiant, le 19 janvier 1977, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art 12,4). En l'occurrence, Aminatou Haïdar est de nationalité marocaine, comme en atteste la détention d'un passeport marocain. La décision de refoulement était donc arbitraire et, plus précisément illégale. Dans leur argumentaire, les autorités marocaines se sont basées sur la fiche de débarquement d'Aminatou Haidar. Or, les mentions qui figurent sur une fiche de débarquement n'ont aucune valeur juridique. En aucun cas, la mention d'une nationalité ne confère cette nationalité. Il ne suffit pas pour un étranger de déclarer sur sa fiche qu'il est Marocain pour le devenir. Inversement, le fait de ne pas préciser sur cette fiche sa nationalité pour un Marocain ne lui retire pas pour autant la nationalité marocaine, ni ne constitue un début de preuve de renonciation à sa nationalité. Nous y voilà justement. Comment peut-on renier sa nationalité ? Comme le dit le roi, il faut agir avec «la force de la loi». Et que dit donc le Code de la nationalité marocaine ? À sa lecture, l'on mesure que la déchéance de la nationalité marocaine n'est pas une mince affaire. Elle est extrêmement encadrée et réglementée. Elle ne se fait pas dans un moment de colère dans un coin de l'aéroport de Laâyoune, entre deux agents administratifs de la police des frontières et un procureur. Elle doit faire l'objet d'une procédure précise et d'une publication par un décret au Bulletin officiel. Sur quelle base le gouvernement avait-t-il considéré qu'Aminatou Haïdar n'était plus «marocaine» ? Où est ce décret de déchéance de la nationalité ? Le PV d'un procureur local ne peut que constater la manière dont la fiche de débarquement est remplie, mais jamais constituer la preuve de la perte de la nationalité. Parce qu' Aminatou Haïdar est donc de nationalité marocaine, elle ne peut être privée de son droit fondamental «d'entrer dans son propre pays» qu'est le Maroc. Soucieux de l'Etat de droit et du respect de ses engagements internationaux, le Maroc ne pouvait que lui permettre de rentrer «dans son pays». Et c'est ce qui vient d'être fait le 17 décembre sous la pression de la communauté internationale. Les responsables ayant inspiré ou conseillé cette décision de refoulement doivent être sanctionnés. Il ne faut pas jouer avec les sentiments d'une nation autour d'une cause aussi sacrée que celle du Sahara marocain. Après l'épisode douloureux de l'ilôt Laila, notre gouvernement nous offre une humiliation dont nous nous serions bien passé. En cette fin d'année, on espérait de sa part un meilleur cadeau.