Sous l'œil bienveillant de l'Occident, le commerce bat son plein entre le Maroc et l'Etat hébreu. «On est pour le maximum d'échanges». Voilà la réponse d'Anouar Al Asri, directeur marketing et commercial de Tanger Med à la question du commerce avec Israël dans les colonnes du Figaro qui titrait en juillet 2008 : « Le Maroc veut être un pays modèle pour l'UPM ». Un point de vue qui demeure un tabou pour l'opinion publique, mais les diplomates et les chefs d'entreprises marocains conviennent, en privé, que les routes commerciales avec Israël existent et se développent à grands pas. Le processus de Barcelone, comme demain l'UPM, demeurent les rares enceintes où Marocains et Israéliens se retrouvent officiellement, ce qui explique l'aveu quelque peu téméraire du dirigeant de Tanger-Med. Décrispation diplomatique forcée Dans une missive adressée cet été au roi Mohammed VI, Barack Obama écrivait : « J'espère que le Maroc va jouer un rôle important dans le rapprochement entre le monde arabe et Israël…». Une lettre qui intervient au moment où le Maroc est considéré par Washington comme le pays du Maghreb le moins hostile à l'Etat hébreu. Malgré la fermeture, en octobre 2000, du bureau de liaison d'Israël à Rabat, les contacts entre les deux pays n'ont jamais vraiment cessé. En 2003, Silvan Shalom, alors chef de la diplomatie israélienne était reçu par le souverain. En décembre 2008, le directeur général du ministère des Affaires étrangères, Aharon Abramovitz, s'est rendu quasi officiellement à Rabat. Plus récemment, en septembre de cette année, la radio israélienne rapportait que le ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Liebermann, avait rencontré à New York son homologue marocain, Taïeb Fassi Fihri, en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies. Dernier chassé-croisé diplomatique en date : Jason Isaacson, le directeur du Comité Juif Américain d'affaires gouvernementales et internationales, a été décoré de la médaille de Chevalier du Trône du Royaume du Maroc. Un réchauffement qui s'expliquerait par l'affaire du Sahara, la position marocaine étant soutenue par des politiques américains proches du puissant AIPAC (American Israel Public Affairs Comittee) et par des firmes de lobbying diplomatiques basées à K-Street qui entretiennent des relations similaires avec Tel-Aviv et dont les ramifications se croisent avec des intérêts économiques communs. Des circuits gigognes et discrets La télévision israélienne a consacré en juillet 2009 des programmes sur le Maroc, une initiative menée en collaboration avec l'Union Mondiale des Juifs d'origine marocaine dans le cadre de la commémoration du 10ème anniversaire de la disparition de Hassan II et de l'accession de Mohammed VI au trône. But affiché de l'opération : faire la promotion… des offres immobilières de luxe de Tanger et de Fès très prisées en Israël, avait rapporté le quotidien Maariv dont l'éditorialiste n'avait pas manqué à l'occasion de rappeler avec nostalgie «l'espérance gâchée» du premier Sommet Economique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) qui s'était tenu en 1994 à Casablanca et où ont participé 64 pays dont Israël. En dépit de l'opposition populaire à la normalisation avec l'État hébreu, Rabat continue à entretenir des relations commerciales avec Tel-Aviv, dont le montant est loin d'être négligeable. De nombreuses associations marocaines dénoncent régulièrement les liens commerciaux entre l'État hébreu et le royaume chérifien. La figure de proue des responsables marocains de « l'initiative nationale de boycott d'Israël », Anis Balafrej, affirmait lors d'un récent colloque qu'au titre de l'année 2008, les échanges commerciaux directs entre Israël et le Maroc avaient atteint 30 millions de dollars. Selon lui, les échanges dans l'agro-industrie avaient généré la même année à l'export près de 5,3 millions de dollars, et dans le sens contraire, ils étaient évalués à 6,26 millions de dollars. Balafrej avait cité des chiffres officiels essentiellement collectés sur… le site internet du ministère marocain de l'Agriculture, qui donne une liste de 70 dossiers relatifs à l'acquisition de semences israéliennes, dont certains ont été acceptés par ce département. Les chiffres en question ne concernent que les échanges directs entre les deux pays, alors qu'il en existe d'autres qui transitent par l'Europe et sont gardés secrets. Des produits chimiques et des fertilisants agricoles commercialisés au Maroc, ainsi que des techniques tel que le goutte-à-goutte, ceux-ci fabriqués par une société israélienne du nom de Netafin. Cette firme, spécialisée dans les systèmes d'irrigation avec sa filiale Régafim située à Ain Sebaâ, est le principal bailleur de fonds de la foire internationale agricole d'Agadir. Par ailleurs, des semences produites par les sociétés israéliennes Hazaïra et Zaraïm, dont les emballages sont modifiés en Europe dans le but de masquer l'origine du produit, sont utilisées par l'agro industrie locale. En outre, la première entreprise israélienne du secteur avait indiqué que 10% de ses ventes depuis 2003, qui représentent plusieurs millions d'euros par an, sont réalisées avec « ses partenaires marocains dont certains sont membres de l'APEFEL (l'association marocaine des producteurs exportateurs des fruits et légumes) ». Certaines entreprises marocaines importent des produits d'Espagne, des Pays-Bas ou du Danemark dont la technologie ou les intrants proviennent en réalité d'Israël. Cette situation créé des poussées de fièvre chez les politiques. Le PJD veut interdire l'importation des produits made in Israël. Le parti de Abdelilah Benkirane avait déposé à cette fin une proposition de loi en janvier 2009. Najib Boulif, économiste de formation et député du PJD, soutient formellement qu'il existe « 13 à 14 produits qui viennent d'Israël sur le marché marocain, sans parler des marques qui transitent par d'autres pays avant d'atterrir au Maroc ». Toutefois l'élu islamiste ne se fait pas d'illusions. « Le gouvernement adhère à la proposition du PJD, mais il n'aura pas le courage de passer à l'acte », avait-il confié à la presse, en référence aux déclarations de Abdellatif Maâzouz, ministre du Commerce extérieur, qui a récemment nié toute présence de produits israéliens au Maroc. En réalité, le Maroc et Israël ont réaffirmé dans le cadre des rapports Euromed leur volonté d'entamer des négociations sur le libre-échange si l'on en croit le Commissaire Européen au Commerce, Peter Mandelson, qui a constaté à Lisbonne, lors de la 6ème conférence de Euromed que « Rabat et Jérusalem ont pour objectif commun de créer une zone de libre-échange en 2010 ». D'ailleurs, nombre de réseaux d'affaires euro-méditerranéens dans lesquels la CGEM est très active accueillent des patrons israéliens… Lors du Forum économique mondial en Jordanie, en Mai 2009, des hommes d'affaires marocains et israéliens ont discuté directement sur les moyens à mettre en place pour favoriser les échanges commerciaux entre les deux pays. Le président Shimon Pérès, qui a participé à la conférence annuelle du Forum économique mondial a réuni autour de lui des hommes d'affaires venant du Maroc. La sixième édition du Forum économique mondial du Proche Orient se tiendra au Maroc en mai 2010. Elle sera une autre occasion pour ce type de rencontres. Déjà en 2008, Israël était représenté à la Conférence régionale de coopération douanière internationale à Tanger pour favoriser les échanges commerciaux et lutter contre les trafics du crime organisé. Les médias israéliens tels le Jerusalem Post ou Yehodot Aharonot rapportent régulièrement que des accords commerciaux, des transactions financières ou des programmes de coopération sont mis en place à un niveau technocratique ou par le secteur privé. Dans la finance, les banques Leumi et Hapoalim ont ainsi mis en place des passerelles pour les opérations d'import-export entre le Maroc et Israël via des conventions de correspondant banking avec plusieurs institutions financières marocaines. Le New York Times avait annoncé que la compagnie aérienne El Al cherchait à tisser des liens avec la Royal Air Maroc et pour cause, le tourisme est aussi un business en expansion avec l'Etat hébreu. Suite à un rapprochement avec Maroc Tours, Yambateva Voyage a ouvert récemment un bureau de représentation à Marrakech. L'opérateur israélien ambitionne de s'accaparer 45% du tourisme israélien au Maroc. Un marché qui représente, selon le tour opérateur entre 5.000 et 7.000 visiteurs par an. Déjà actifs au Maroc depuis une dizaine d'années, les voyagistes israéliens explorent de nouveaux créneaux tels que l'éco-tourisme et les forfaits voyages extrêmes. Ils sont très présents à Marrakech et à Agadir grâce à des TO qui leur débrouillent des séjours, en catimini, dans des hôtels comme le Royal Mirage ou le Golden Tulip Farah. Des dessertes de charters anonymes assurent déjà des liaisons entre les deux pays. Rapprochement des élites A sa nomination au poste d'ambassadeur américain à Rabat, Samuel Kaplan, connu pour sa proximité avec Israël, avait tenu à souligner « la liberté dont jouissent les Marocains de confession juive ayant immigré en Israël pour visiter le Maroc », qualifiant cette expérience de « tout à fait unique dans cette partie du monde». Dans le cadre de son programme Fincome (Forum International des Compétences Marocaines à l'étranger), Rabat entend bien inciter les expatriés juifs à revenir au Maroc pour s'y installer et faire du business dans l'offshoring, le textile, l'électronique, l'aéronautique, l'automobile, les biotechnologies ou les nanotechnologies. Le ministre israélien du Développement régional, Sylvain Shalom, qui a de bonnes relations avec Rabat, entend réactiver les relations bilatérales avec Israël par le biais de la diapora juive d'origine marocaine. Un document de son département soulève la question d'un rapprochement des élites dans les domaines de pointe : «La Silicon Valley marocaine devra se référer au modèle israélien qui a fait ses preuves en nouant de réels partenariats entre les universités et les industriels ». Il fait aussi remarquer que nombre de multinationales High-tech ont visité les sites d'incubateurs marocains (Université Al Akhawayn d'Ifrane, Technopark de Casablanca, Technopolis de Rabat-Salé etc…) afin d'analyser le terrain et prévoir des opportunités de partenariats. Parmi elles, ST Microelectronics, Texas Instruments, Qualcomm, Agilent Technologies ou Grinberg Traurig, des entreprises qui ont toutes un pied-à-terre …en Israël. La dernière tournée africaine du chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman avec une vingtaine d'hommes d'affaires aura aussi servi à définir de nouveaux canaux de commerce vers le Continent noir, mais aussi par ricochet avec certains pays arabes comme le Maroc. Industrie, agriculture, métaux précieux, téléphonie, mais aussi sécurité et surveillance… Le dispositif des Israéliens s'appuie sur des secteurs d'activités dans lesquels leur savoir-faire est reconnu. Le Centre de coopération internationale dépendant du ministère israélien des Affaires étrangères, le Mashav est souvent le moyen efficace pour conclure des marchés. Les technologies de télécommunication, en plein boom sur le continent, sont également un marché porteur. La société israélienne Alvarion, leader mondial du Wimax prospecte au Maroc. Mais cette haute technologie se déploie aussi dans le monde secret de la surveillance. Experts militaires, spécialistes des écoutes téléphoniques, informaticiens, spécialistes des liaisons satellites…. La compagnie Magal a remporté un marché de 1,25 million de dollars pour l'installation d'un système de télédétection des intrusions « dans un grand port africain », sans plus de précisions. Autre domaine dans lequel les Israéliens s'illustrent avec succès : le commerce de minerais et de pierres précieuses. Le leader mondial du diamant poli, Israël Diamond Institute serait un grand fournisseur des joailleries locales. Transactions en hausse constante « Le Maroc commence vraiment à intéresser fortement les entreprises israéliennes », commente Avraham Alevi, rédacteur d'un rapport sur les flux commerciaux entre Israël et le monde arabe. Il constate une augmentation de 40% par an des exportations vers le royaume chérifien. 46 firmes israéliennes exportent actuellement au Maroc pour un total de 6 millions à 10 millions de dollars par an selon des statistiques officielles jugées bien en deça de la réalité, tant les chiffres sont caviardés pour des raisons aussi diplomatiques que sécuritaires. Le Maroc, aurait atteint un total d'importations de plus de 55 millions de dollars en 2008 et surclasserait ainsi dans certains secteurs un certain nombre de pays comme l'Egypte, la Tunisie et la Jordanie. En 2006, le royaume arrivait déjà en bonne place, derrière la Jordanie, l'Egypte et le Liban, pour les destinations arabes des exportations israéliennes constituées essentiellement de technologies de l'information, de technologies agricoles, de produits d'équipement et d'habillement. Le Maroc occupait alors la quatrième position arabe après certains pays frontaliers avec l'Etat hébreu. Il s'agit de la Jordanie, qui arrive en première place avec un volume global de 58,3 millions de dollars ; de l'Egypte, deuxième avec 34 millions de dollars et enfin du Liban, troisième avec un volume d'échanges de 19,5 millions de dollars. Le dernier rapport de l'Institut israélien des exportations (Israel Export and International Cooperation Institute- (IEICI) prévoit une progression du commerce entre Israël et le Maroc à un rythme aussi soutenu notamment dans le tourisme, les télécoms, l'armement et l'agro-industrie. Si rien n'est dit sur les sociétés israéliennes qui exportent vers le Maroc, l'IEICI ne cache pas que l'agriculture et les technologies de l'information viennent en tête, hormis les contrats d'armement qui sont répertoriés à part. C'est le cas, par exemple, de la société Chromagen dans l'énergie solaire qui dispose d'une officine au Maroc, de la société Kafrit spécialisée dans le plastique pour serres agricoles et qui exporte au Maroc via sa filiale allemande. Selon le président de l'Association israélienne de plasturgie, Ilan Tessler, cité par la presse, le Maroc arrive en tête de liste des pays arabes importateurs de produits israéliens à base de plastique. Selon les importateurs, les Israéliens sont leaders en matière de gestion de l'eau et leur expertise en la matière est démontrée. Pour élargir leurs débouchés commerciaux, ils investissent de plus en plus les pays du Sud de la Méditerranée. Selon La Vie Eco, pour contourner l'embargo imposé par certains d'entre eux, notamment le Maroc, ils recourent à des circuits complexes. Les industriels hébreux passent en effet par des sociétés écrans qu'ils ont implantées essentiellement en Andalousie. L'acquéreur peut même obtenir sur demande, un certificat d'origine ne faisant aucune allusion à Israël. Quant aux businessmen israéliens désireux de prospecter le marché marocain, ceux-ci peuvent se procurer un formulaire officiel de « visa d'affaires » spécialement conçu pour eux auprès des représentations diplomatiques, notamment aux Etats-Unis… Youssef Chmirou et Achraf Semmah