Les Marocaines sont de plus en plus nombreuses à recourir aux talents d'un chirurgien esthétique. Mais entre corriger un petit défaut et espérer changer de vie grâce au bistouri, la frontière est parfois ténue. Enquête. À les voir installées dans les salles d'attente des différentes cliniques de la capitale économique, on se demande ce qu'Imane, Souad, Hind et Soraya sont venues y faire. Jeunes et jolies, elles ne sont pourtant pas satisfaites de leur corps ou leur visage. Avec un petit défaut par-ci par-là, elles cherchent la perfection. Facile à atteindre quand son portefeuille est bien garni. “J'ai toujours été complexée par cette bosse sur mon nez. Longtemps j'ai été source de moqueries. Et je suis bien décidée à passer à l'acte”, confie Hind, bachelière. “Je pars bientôt en France pour mes études. C'est papa qui me paie mon opération”, ajoute-elle, toute excitée de pouvoir enfin passer sur ce bloc qui changera sa vie. Des jeunes et moins jeunes comme Hind se manifestent de plus en plus dans les cliniques de chirurgie esthétique qui ont pignon sur rue à Casablanca, Rabat ou Marrakech. Là où les effets de la nutrition et du sport s'arrêtent, la chirurgie prend le relais. “Le choix des patients est généralement justifié”, rétorque le docteur Kamal Iraqi Houssaini, de la clinique d'esthétique Casablanca. Ce dernier, également président de la Société marocaine de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SMCPRE), estime que “la chirurgie, esthétique ou réparatrice, est avant tout une chirurgie de la santé. Elle répond aussi bien à un bien-être physique que mental”. Un phénomène de mode ? La mode des poitrines et lèvres surdimensionnées ne semble pas (encore ?) être au goût du jour pour les Marocaines. Corriger un défaut visible ou retrouver son corps de jeunesse semble être la principale motivation. “Après deux grossesses, mon corps s'est un peu déformé. Mes seins et mon ventre tombent. C'est pour cela que je viens consulter”, explique Souad, accompagnée de sa mère, sexagénaire, qui a déjà elle-même eu recours au bistouri. “J'ai fait ce qu'on appelle une chirurgie de rajeunissement du visage. Quand ma fille m'a fait part de son souhait, je l'ai aussitôt orientée vers le chirurgien qui m'a suivie”. La démocratisation de la chirurgie répond à une demande sans cesse croissante, aidée d'un gros coup de pouce du bouche à oreille. À l'image d'Imane, attablée chez Paul avec ses voisines et copines après une intense journée shopping. La conversation finit par dévier sur la chirurgie. Une femme, un défaut, une opération, une vie heureuse. La formule, un peu trop simple, captive l'assemblée. Ni une ni deux, Imane se rend chez le chirurgien qui a fait des merveilles sur le corps de sa voisine, qui se tient à ses côtés dans la salle d'attente. Son problème ? Une poitrine asymétrique. À moins de ne la déshabiller, impossible de remarquer cet “horrible défaut”. Pourtant, Imane paraît très affectée. “ça me gâche la vie. Ce défaut s'est amplifié après ma grossesse. J'ai l'impression qu'on ne voit que ça”. Elle baisse la tête, les larmes lui montent. Après une caresse affective de sa voisine, elle reprend : “Toutes les excuses sont bonnes pour ne pas faire l'amour avec mon mari. Même quand on le fait, je garde mon soutien-gorge. C'est très pesant”. “Sur le plan social, la chirurgie peut avoir beaucoup d'apports positifs”, selon le docteur Mohamed Guessous, chirurgien plastique et esthétique. “Mais il nous arrive aussi de refuser certaines demandes”, s'empresse-t-il d'ajouter. “Compte tenu des impératifs chirurgicaux et techniques, certaines opérations sont irréalisables et irréalistes”. Telle serait la ligne de conduite du chirurgien esthétique : le corps est un tableau, le chirurgien un artiste, et une certaine harmonie est à respecter. À la recherche du “parfait” “Il faut éviter les transformations radicales, ne pas chercher le parfait”, explique Bernard Corbel, psychologue. Une notion du parfait qui s'apparenterait aux potiches des chaînes musicales du Moyen-Orient. Ou quand la chirurgie fait peur au lieu d'embellir. La demande doit être approfondie pour éviter certaines dérives. L'examen peut poser problème si le demandeur présente certaines pathologies psychologiques. “Le chirurgien doit être capable de déceler le mal-être. Il serait alors judicieux d'orienter le patient vers un psychologue en premier lieu”, renchérit le Dr Corbel. Hormis les ratés, le paradoxe de la chirurgie esthétique apparaît quand la personne n'accepte pas sa transformation. “J'ai sauté le pas un jour et me suis fait une liposculpture, ainsi qu'une chirurgie d'embellissement du visage, après d'âpres négociations avec mon époux, qui était contre”, confie Soraya, jeune maman trentenaire, pressée d'être “finie” pour pouvoir profiter de ses vacances à l'étranger avec son nouveau corps. Elle revient pour son suivi, mais le résultat lui fait peur. “Au niveau de mon corps, je suis satisfaite. Je me suis fais enlever de la graisse des cuisses, du ventre, des fesses et des bras”, explique-t-elle. “Mais pour mon visage, j'ai l'impression d'être une poupée. Ma peau tire beaucoup trop. En plus de me faire mal, ce n'est pas du tout naturel”. Le cas de Soraya n'est pas isolé, quand son désir de changement est accompli brutalement. Une prise de recul, doublée d'une certaine maturité, est nécessaire. Comme dans n'importe quelle opération, la chirurgie peut présenter un risque. “Mais il est moindre grâce à l'anesthésie”, explique le Dr Iraqi Houssaini. Le risque de ratage reste fonction de la difficulté de l'opération. “80% de la chirurgie esthétique au Maroc concerne la liposuccion”, précise le président de la SMCPRE. Moins exigeante qu'une augmentation mammaire par exemple, la satisfaction y est quasi garantie. D'autant que la réputation de nos chirurgiens dépasse les frontières, comme le confirme le Dr Guessous, l'un des pionniers du tourisme médical “made in Morocco” : “Casablanca est aujourd'hui l'une des capitales mondiales de la chirurgie esthétique”. Liposuccion, abdominoplastie et chirurgie des seins sont les opérations les plus demandées. Compter 6.000 à 20 000 DH pour la première, 15 000 à 30 000 pour la seconde et 10 000 à 20 000 pour la dernière. Le tarif varie en fonction de la quantité de graisse extraite et de la taille des implants mammaires. La demande masculine tend aussi à se démocratiser, représentant 10 à 20% de la clientèle, selon les cliniques. Pour quel type d'opérations ? Liposculpture, greffe de cheveux et rhinoplastie. S'il est recommandé de travailler sur son image et sur la manière dont on perçoit son corps en premier lieu, et avant de sauter le pas, pourquoi ne pas quand même profiter de ce qui existe ? “Il faut juste faire attention à ne pas en faire trop”, prévient le Dr Corbel. “Car la chirurgie esthétique est un gros marché. Mieux vaut se renseigner au maximum”, et ne pas prendre ce qui ressort du bouche à oreille comme parole d'évangile. Kamal Iraqi Houssaini prône de “faire connaître la chirurgie, comme en Tunisie, où même le gouvernement se mêle de sa publicité”. Peut-être, mais sans oublier de souligner qu'on ne guérit pas son mal-être qu'à coups de scalpels. Nezha Maachi