Allié des Etats-Unis dans la guerre contre Al Qaida, le Pakistan doit affronter l'insurrection des Talibans à la frontière afghane. Le gouvernement du président Zardari peut-il faire face à la menace ? Analyse. L'heure est grave. Mercredi 6 mai, le président américain Barack Obama accueillait à Washington ses homologues pakistanais, Asif Ali Zardari, et afghan, Hamid Karzaï, pour un mini-sommet inédit de deux jours. Au même moment, plusieurs milliers de civils étaient forcés de quitter leurs maisons du district de Swat, dans le nord-ouest du Pakistan, après la reprise des combats entre l'armée et les Talibans. En prenant le contrôle de Buner, à 100 kilomètres de la capitale pakistanaise, les insurgés ont commencé à faire vaciller un des nouveaux piliers de la politique étrangère américaine : l'idée que les dossiers pakistanais et afghan sont liés, et surtout qu'Islamabad est le meilleur allié des Etats-Unis pour défaire les Talibans. Le récent satisfecit de la secrétaire d'Etat Hillary Clinton, qui s'est dite “impressionnée par les actions entreprises actuellement par le gouvernement pakistanais”, n'a pas totalement rassuré. Un chiffre donne l'ampleur du danger : 11% du territoire pakistanais est aujourd'hui contrôlé par les Talibans. La pression talibane Depuis quelques semaines, la fragile trêve, conclue à prix fort, entre les insurgés et le gouvernement d'Islamabad est mise à mal. En apparence, les deux parties maintiennent leur attachement à l'accord signé en février avec les Talibans, par lequel le gouvernement acceptait l'installation de la sharia dans la vallée de Swat. Mais sur le terrain, les combats s'intensifient, montrant combien l'armée et le gouvernement pakistanais ont du mal à contrôler l'extrémisme religieux qui guette à la frontière avec l'Afghanistan. La veille, les Etats-Unis annonçaient l'envoi de 20 000 soldats supplémentaires en Afghanistan, où les Talibans se font de plus en plus inquiétants. L'équation d'Obama est simple : la guerre ne peut être gagnée si les insurgés regroupés dans les zones tribales continuent à considérer le Pakistan voisin comme un sanctuaire. Or, les spécialistes du renseignement se posent inlassablement la même question : le Pakistan est-il prêt à confronter les Talibans ? Car Islamabad a longtemps joué la carte de l'apaisement. Le 2 mai dernier encore, dans un geste de bonne volonté, le gouvernement de la Province du Nord-Ouest annonçait encore la création d'une cour d'appel islamique. Mais loin de calmer les tensions, l'application de la sharia dans la vallée de Swat semble avoir renforcé les Taliban. La réaction de l'armée pakistanaise n'a pas été rapide, même si elle a récemment gagné en intensité. C'est ce qui expliquerait le drôle de sommet improvisé par Barack Obama à la Maison Blanche. Appelant Asif Ali Zardari et Hamid Karzaï à surmonter leurs différends, le président américain a prévenu que les violences ne cesseraient pas immédiatement en Afghanistan et au Pakistan. “Ma démocratie se montrera à la hauteur, le peuple pakistanais se tiendra aux côtés du peuple américain et du peuple afghan”, a assuré M. Zardari. Plus encore que son homologue afghan, le successeur du général Pervez Musharraf peine à convaincre de sa capacité à préserver les équilibres géostratégiques essentiels à la défaite des Talibans. Depuis les attentats de Mumbaï en novembre dernier, les Etats-Unis s'inquiètent en outre de la tension entre Islamabad et New Delhi, un autre allié de taille de Washington. Failed state ? Dans une interview accordée à CNN, le président pakistanais a voulu rassurer : “Mon gouvernement ne va pas tomber parce qu'une montagne est prise par tel groupe ou un autre. Nous avons une armée de 700 000 hommes. Comment pourraient-ils nous battre ?” Pourtant, à en croire des officiels de l'administration Obama parlant sous le sceau de l'anonymat, Washington n'écarte aucune hypothèse. Le New York Times a récemment mis le feu aux relations américano-pakistanaises en révélant le week-end précédant la viste de Zardari à Washington, que l'administration Obama “courtiserait le leader de l'opposition” Nawaz Sharif, premier opposant du président pakistanais. Richard Holbrooke, le représentant spécial d'Obama pour la région, a beau nier la rumeur, l'idée que Washington chercherait un plan B n'est pas farfelue. Le “chaos pakistanais” est à la une de tous les journaux américains depuis deux semaines. Devant la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, M. Holbrooke s'est voulu rassurant le 5 mai : “Un Pakistan stable, sécurisé et démocratique est essentiel pour protéger les intérêts des États-Unis en matière de sécurité nationale”, a estimé Holbrooke, rappelant que “l'objectif stratégique fondamental du président Obama est de perturber le réseau Al-Qaïda, de le démanteler et finalement de le vaincre ainsi que de supprimer les refuges en Afghanistan et au Pakistan”. Youssef Aït Akdim