Un chirurgien traumatologue orthopédiste épris de la terre. Il a réussi à cultiver la truffe noire dans le Moyen Atlas. Son Jardin du safran à Tnin Ourika figure sur tous les guides touristiques. Entre agriculteur et chirurgien, il n'y a pas de différence. Si vous n'y croyez pas, eh bien le Dr. Abdelaziz Laqbaqbi vous en donnera la preuve. «J'ai toujours voulu être chirurgien orthopédiste traumatologue depuis tout petit. Et j'ai eu la chance d'avoir un grand père maternel, qui m'a appris à aimer la terre, à en prendre soin», confie-t-il, souriant. Il n'a jamais connu son père, décédé quelques mois après sa naissance en 1954. Mais cette absence a rapidement été comblée par la présence d'un grand-père exceptionnel. La bonne étoile a, peut-être, joué un rôle dans la vie de Abdelaziz Laqbaqbi, mais c'est surtout son ambition qui a fait de l'impossible, pour certains, possible, pour lui. Et c'est au village de Debdou entre Oujda et Taza que les petites graines d'un grand esprit ont trouvé un terrain fertile. «Je suis très attaché à mon village, aux familles qui y ont habité et que j'ai côtoyé durant mon enfance», affirme-t-il. Il n'a jamais quitté ce village d'enfance envers lequel il a toujours gardé un lien avec la terre, avec la famille et les amis : «Je connais mon village mètre carré par mètre carré et je m'y déplace régulièrement, pour revoir mes proches et mes amis». L'enfant sage au cœur d'or a mérité d'être le préféré de son grand-père, pas parce qu'il est le dernier de la fratrie, mais parce qu'il a une volonté sans frontières. «Je ne voulais pas décevoir mon grand-père. C'était un homme qui ne savait ni lire ni écrire, mais il forçait l'admiration de tous par sa maitrise extraordinaire des mathématiques et son charisme.C'était un entrepreneur remarquable dans les travaux publics et son succès ne s'expliquait que par sa forte personnalité». Cette admiration se transformait, au fur et à mesure, en un gisement d'énergie pour ce jeune homme qui se préparait à quitter temporairement sa terre afin de poursuivre ses études. Après avoir décroché son baccalauréat en sciences expérimentales en 1976 à Oujda, Abdelaziz Laqbaqbi s'envole vers la France et plus précisément à Reims pour devenir médecin, réaliser son rêve. «A mon départ, mon grand-père m'a conseillé de bien travailler, de ne pas rater mes années d'étude, de garder intact dans mon esprit mes origines et mes traditions». Plus qu'un conseil, c'est une leçon dont les échos retentissent depuis dans l'esprit de Abdelaziz Laqbaqbi. Une année après son départ en France (1977), son grand-père succombe à une insuffisance rénale : «On ne me l'a pas dit pour ne pas perturber le parcours de mes études. C'est en rentrant au Maroc, à la fin de cette année là, que j'ai appris la triste nouvelle». Lui, qui allait bientôt devenir médecin, en a voulu au temps venu lui arracher son «montor» sans préavis. «Mon grand-père aurait pu être sauvé, grâce au traitement. Si seulement j'avais été médecin avant!» . Le destin en a voulu autrement et c'est à la mémoire de ce grand-père que Abdelaziz Laqbaqbi ira jusqu'au bout de son rêve et au delà-même. Auprès des agriculteurs français, il retrouve l'odeur de cette terre qui lui est si chère. Dans le lot où il exerce son métier de chirurgien depuis qu'il a obtenu son diplôme en 1986, il découvre le safran et la truffe noire (variété dite mélanosporum), un bijou précieux. Cette truffe noire, dont la capitale généalogique se trouve dans la région du Périgord, dans le sud-ouest de la France, séduit le jeune médecin. «Nous avions le même climat, la même qualité de la terre, alors je me suis posé cette question: pourquoi elle ne pousserait pas chez moi ?». Une toute petite question qui s'est transformée en projet. Et que commence l'aventure ! «Lorsque j'en ai parlé en 1993 au Pr. Gérard Chevalier, grand chercheur à l'INRA de Clermont-Ferrand (France), il m'a ri au nez», se souvient Abdelaziz Laqbaqbi. Pourtant, l'entreprise n'était pas si folle que cela, elle se basait sur des faits bien scientifiques et le Pr. Gérard Chevalier a fini par l'admettre et en devenir même un des promoteurs. A l'automne 1998, commence l'expérience avec le projet de planter un millier d'arbres mycorhizés de la pépinière de la société Agri-Truffe à Tifzouine sur le plateau d'El Gaâda à 1.700 mètres d'altitude. Une plantation à base de chênes verts. «J'ai travaillé à distance en suivant l'évolution de jour en jour jusqu'à ce que L'Hadi m'appelle pour me dire qu'il sentait un parfum très fort!» . L'Hadi, le berger à qui Abdelaziz Laqbaqbi a confié l'entretien de sa propriété, n'a pas reconnu l'odeur très forte que dégage la truffe, mais il a bien décrit les craquelures à la surface de la terre. «La chose est apparue !», s'est-il contenté de répéter. Quelle bonheur ce 22 décembre 2006 ! La naissance de la truffe noire au Moyen Atlas assure à Abdelaziz Laqbaqbi le succès qu'il a tant mérité. «J'ai reçu plusieurs délégations et eu le soutien de différents départements dont celui des Eaux et forêts». Au Salon international de l'agriculture du Maroc (SIAM), il ravit la vedette à tous les participants: «S.M le roi Mohammed VI est venu visiter mon stand et m'a remis un prix pour m'encourager à continuer la culture des truffes noires», se réjouit-il. La première fois, à peine un kilogramme de truffes noires a été récolté. «Ensuite, j'ai loué un lot de terrain à Imouzzer Kandar pour développer cette culture. Depuis trois années, maintenant, la récolte avoisine une douzaine de kilogrammes». Le prix est fixé à 10.000 dirhams le kg, mais étant donné qu'il s'agit d'arôme, le client n'en achète qu'une pièce ou deux. Pour Abdelaziz Laqbaqbi, la truffe peut avoir d'excellentes retombées sur le tourisme et l'écologie du pays : «La truffe vit en symbiose avec l'arbre. Cela nous permettra d'élargir le reboisement et d'organiser, par exemple, des week-end restauration-dégustation». C'est un bouillon d'idées, ce chirurgien traumatologue qui veut ouvrir un musée pour recenser et faire connaître tous les types de truffes dans sa ferme. D'ailleurs, le musée qu'il a consacré d'ores et déjà au safran a acquis une grande célébrité à Marrakech et plus précisément à Tnin Ourika. Le musée fait partie d'un gros projet que Abdelaziz Laqbaqbi a mis en place depuis dix ans pour récolter le meilleur safran du monde. Baptisé le Jardin du safran, ce petit joyau figure sur tous les guides touristiques du monde. On y cultive sur un terrain de 3,5 hectares un safran d'une qualité exceptionnelle, bénéficiant de techniques améliorées d'émondage et de séchage. La Safranière de l'Ourika propose ainsi un safran qui porte bien son surnom : «trésor rouge». Sa qualité supérieure est prouvée scientifiquement par des analyses effectuées au «Laboratoire d'analyses de Marseille», un organisme scientifique reconnu, dépendant de l'Etat français et spécialisé dans la lutte contre la fraude en matière de denrées alimentaires. Il en résulte que le safran produit à l'Ourika se caractérise par une forte concentration en principes actifs et en molécules qui lui donnent une flaveur (goût et arôme) inégalée de par le monde. «Mes projets ne m'ont jamais éloigné de ma profession médicale. Je trouve même qu'entre agriculteur et chirurgien, il y a énormément de points communs : se réveiller tôt, travailler dur et avec passion et avoir la patience d'attendre le résultat», tient à rappeler le médecin qui exerce à Casablanca dans le secteur libéral. Pour la truffe et le safran, le médecin aura donné un plus : la qualité scientifique inégalée. Abdelaziz Laqbaqbi a même initié son fils Amine, 5 ans et sa fille Sara, 4 ans, à sa passion, celle de la terre que lui a confiée son grand-père. Et que l'aventure continue…