Vous êtes ici : Actualités / featured / « Touche pas à ma dignité » Mardi 30 juillet, 17h10, corniche de Aïn Diab à Casablanca. Mourad, jeune cadre quadragénaire porte son fils Anas âgé de 7 ans sur ses épaules. Ils sont venus admirer le spectacle offert par la troupe de voltige aérienne des Forces Royal Air. Au bout des 20 minutes d'un show inédit, le père et son fils avaient les larmes aux yeux, ils étaient tout simplement fiers des prouesses de la troupe «Marche verte» et des célébrations d'une fête nationale, fiers d'être Marocains. Mourad n'imaginais nullement qu'il serait amené 3 jours après, à se déplacer une nouvelle fois avec son fils dans un espace public mais cette fois-ci à Rabat pour manifester contre une grâce accordée -à l'occasion de cette même fête nationale- à un criminel espagnol ayant souillé nos enfants. Rappel des faits Tout commence par un communiqué porte-parole du Palais royal marocain annonçant la libération de 48 prisonniers espagnols condamnés par différents tribunaux marocains sur ordre du roi Mohammed VI, «en réponse à une demande formulée dans ce sens par le Roi Juan Carlos 1er d'Espagne, lors de sa récente visite dans le Royaume». Jusque-là, rien de plus normal. Mardi en soirée, Juan Carlos téléphone au monarque pour le remercier «profondément» pour ce geste qui constitue «une démonstration singulière de l'amitié unissant les deux peuples», indique un communiqué de la Maison royale espagnole. Mercredi dans la soirée, le site d'information lakome.com publie une information selon laquelle maître Hamid Krayri, avocat des familles des victimes du pédophile espagnol Daniel Galvan a eu connaissance de la libération de ce dernier alors qu'il était condamné à 30 ans de prison pour avoir violé des enfants de 4 à 15 ans et qu'il n'avait purgé que 18 mois de sa peine. S'en suit une mobilisation sans précédent sur les réseaux sociaux. Des condamnations en série puis l'appel à un sit-in vendredi à 22h devant le Parlement à Rabat. La honte, la culpabilité, le doute, l'angoisse, la perte de l'estime de soi sont les maîtres-mots pour désigner les sentiments partagés par des milliers de citoyens marocains à travers le monde. Entretemps, alors que les officiels marocains étaient aux abonnés absents et que la présidente de «Touche pas à mon enfant» se refusait à commenter la grâce accordée à Galvan, Mustapha Ramid eut le courage de répondre aux journalistes mais le ministre -fraîchement décoré d'un wissam- donnera des versions contradictoires sur les circonstances de la libération du pédophile espagnol. Moult bourdes et interrogations Mustapha Ramid parlera tout d'abord d'une prérogative royale qu'il ne peut discuter. Il évoquera par la suite la libération de Galvan dans le cadre des relations diplomatiques entre le Maroc et l'Espagne et souligne une question «d'intérêt supérieur». Curieusement, les propos du ministre PJDiste ne seront pas repris par l'agence officielle MAP et Ramid devra recourir aux agences de presse étrangères pour donner sa version des faits. Il précisera plus tard que Galvan était expulsé vers l'Espagne et qu'il lui interdit d'entrée au Maroc. Pour sa part, la Maison royale espagnole dira dans un premier temps qu'il n'est pas de son ressort d'établir la liste des personnes à gracier renvoyant la balle au ministère des affaires étrangères espagnol puis aux autorités marocaines. Du côté du Palais royal, aucune réaction n'est enregistrée. Vendredi, le souverain accomplit la prière à Casablanca avant de mettre le cap sur Tanger pour une série d'inaugurations. A Rabat, la soirée s'annonce électrique. Le sit-in est réprimé par les forces de l'ordre. Bilan : plusieurs manifestants blessés dont des journalistes, des artistes et des acteurs associatifs. Mourad a dû prendre ses jambes à son cou pour éviter que son fils ne soit blessé alors qu'il portait un carton avec le slogan «Touche pas à ma dignité». Les manifestants sont descendus dans les rues de plusieurs autres villes à l'instar de Nador pour demander que le pardon royal soit révoqué et que le ressortissant espagnol soit ramené en prison. Les forces de l'ordre ont encore une fois usé de violence pour interdire les manifestations. A Rabat, c'est le pacha de la capitale qui aurait ordonné aux forces de l'ordre de disperser la manifestation. Qu'en est-il du ministre de l'Intérieur ? Contacté par Le Soir échos, Mohand Laenser est resté injoignable. D'autres sit-in sont prévus dans d'autres grandes villes, notamment demain soir à Casablanca. Dores et déjà, les médias internationaux ont braqué leurs projecteurs sur le Maroc. Certains ont amplifié la situation, parlant même d'»émeutes suite à la grâce royale». Affaire d'Etat ? Le quotidien espagnol El Païs fait son enquête et nous révèle samedi que le pédophile libéré serait en fait un espion irakien exfiltré en Espagne vers 2003. Le site lakome.com affirme pour sa part que si Juan Carlos a demandé la libération de Galvan, c'est sur insistance des services de renseignements espagnols. Dans la soirée, le Palais royal réagit enfin via un communiqué. Dans la précipitation, l'agence MAP mentionne en titre de la dépêche «Communiqué royal au sujet de la libération du dénommé Daniel Galvan Fina de Nationalité espagnole» avant de rectifier en mentionnant que la communiqué émane du cabinet royal quelques minutes après. Il en ressort que le souverain «n'a jamais été informé, de quelque manière que ce soit et à aucun moment, de la gravité des crimes abjects pour lesquels l'intéressé a été condamné». Le roi a décidé qu'une enquête approfondie soit diligentée en vue de déterminer les responsabilités et les points de défaillance qui ont pu mener à «cette regrettable libération et d'identifier le ou les responsables de cette négligence afin de prendre les sanctions nécessaires». Le communiqué annonce enfin la révision de la procédure d'octroi de la grâce royale. Du côté des partis politiques, les réactions se font au compte-gouttes. Elles abondent dans le sens de la désignation des responsables de l'inscription de Galvan sur la liste des détenus espagnols libérés. A noter par ailleurs le commentaire du journaliste Khalid Jamaï au site febrayer.com. Selon Jamaï, ce qui s'est produit est un complot contre le roi Mohammed VI qui ne peut pas avoir été au courant des crimes commis par le monstre Galvan. Mais à qui profite le crime de la libération de Galvan ? Si certains sites électroniques ont parlé de l'arrestation d'un haut fonctionnaire attaché à une « administration de souveraineté », les résultats de l'enquête doivent être rendus publics rapidement pour nous éclairer sur les responsables de cette erreur impardonnable. Les prochaines grâces sous la loupe Dans trois jours, le Maroc célèbrera Aïd Al Fitr. L'occasion pour le souverain d'accorder de nouvelles grâces. Il en fera de même les 20 et 21 août prochains à l'occasion de l'anniversaire de la Révolution du roi et du peuple et de la fête de la Jeunesse qui coïncide cette année avec le 50e anniversaire du monarque. Il est clair qu'après ce scandale, les prochaines grâces seront suivies de près. Si sollicitude et magnanimité royales doivent continuer à profiter aux personnes n'ayant pas commis de préjudice à autrui, ces mouvements de grâce restent limités en nombre comparés aux grâces royales accordées en juillet 2002, lorsque le chef de l'Etat avait ordonné la libération de 8 425 détenus et accordé des remises de peines à 42 265 prisonniers, soit plus des deux tiers de la population carcérale du royaume. Quoi qu'il en soit, cette mobilisation citoyenne est en phase avec l'esprit de la Constitution adoptée en juillet 2011. Dans son discours prononcé le 17 juin 2011 pour présenter le projet officiel de la nouvelle loi suprême, le roi avait lui-même dit : «Le projet officiel de Constitution va bien au-delà d'une loi suprême pour le Royaume. En fait, il constitue, à Nos yeux, le socle solide du modèle marocain original de démocratie et de développement. Mieux encore, il s'agit d'un nouveau pacte historique entre le Trône et le peuple. Cette particularité ressort clairement des dix axes majeurs ci-après : axe premier : la consécration constitutionnelle de la monarchie citoyenne et du roi citoyen…» Aujourd'hui, l'institution monarchique s'attèle à un exercice nouveau : celui de communiquer à l'opinion publique les éléments d'information et les précisions nécessaires sur une affaire qui est tout aussi publique.