Vous êtes ici : Actualités / Culture / Feue «de La F» Ce matin Lalla Fakhita est morte. C'est une grande perte pour l'humanité. Mais ce qui devait arriver arriva. Elle a littéralement explosé avant l'appel à la prière, en essayant de fumer cinq cigarettes en même temps et d'avaler d'un trait une grande bouteille d'eau tout en ingurgitant une douzaine de crèpes au miel. Elle était comme ça « de La F » comme on l'appelait dans son cercle d'amis et de proches. Elle ne faisait rien à moitié. Restait à organiser ses obsèques et surtout trouver le moyen de déplacer ce corps qui flirtait avec le deuxième quintal, dans l'entrelacs de couloirs qui séparait sa chambre de la porte d'entrée. Miloudi, qui était son plus proche ami, était hébété. Dans sa tête, et de manière mécanique, la liste de tous ce qu'ils s'étaient promis de faire ce Ramadan défilait comme sur le prompteur d'un capitaine d'industrie. C'était un jeu entre eux. Il leur suffisait de faire des projets, tout en sachant qu'ils ne dépasseraient jamais le stade de la discussion, mais ça les faisait rire et passer le temps. La dernière lubie était d'organiser le tour de la ville en vélo, juste avant la rupture du jeûne, pour faire comme tous les autres qui se découvraient l'âme sportive au pire moment de l'année. Il fallait les voir décrire le trajet en attendant le signal qui transformerait leur rêve de crème glacée en réalité et surtout s'esclaffer sur chaque difficulté du parcours en mimant les efforts pour gravir la moindre pente, ou encore s'imaginer déclenchant les radars qui fleurissent sur leur passage ainsi que la stupeur de la maréchaussée devant un aussi improbable attelage. Parce qu'ils étaient sur un tandem bien entendu, bien plus marrant que deux vélos banals. Sûr qu'elle allait laisser sa place la Fakhita et personne ne pourrait la combler pour la simple raison que cette amitié avait mis près de trente ans à prospérer et à se solidifier.