La réaction choc du patronat vis-à-vis du forum économique Maroc-Turquie, tenu lundi à Rabat, recouvre maintes lectures. La confédération qui s'estime être dans son droit de boycotter avait omis qu'en agissant ainsi elle joue le trublion. Au-delà des motifs de planning organisationnel et du calendrier très serré des préparatifs pour un évènement aussi grandiose, prendre une telle décision hautement stratégique n'est en fait qu'un trompe l'œil-politique. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, est considéré donc comme «persona non grata». Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de la décision inattendue de la CGEM, il suffit juste de remonter le fil du temps. Selon les observateurs, la tournée dans les pays du «printemps arabe» -excluant le Maroc- effectuée en septembre 2011 par Erdogan et ses troupes a été perçue d'un mauvais œil par le Maroc. Au même titre que le rapprochement idéologique entre le PJD et l'AKP. À noter également que les ambitions géo-stratégqiues de la 18e puissance économique mondiale vont au-delà des aspects géo-économiques pour déployer son «hégémonie» sur la Méditerranée. Les conflits d'intérêt surgissant ou qui pourraient surgir piquent ainsi du nez. Et voici que la CGEM se mêle des questions politiques jusqu'à s'en noyer. Cette attitude incompréhensible, quoique Benkirane la qualifiait de «correcte», est jugée «douteuse et contredisant les règles d'art des organisations patronales censées défendre les intérêts des entreprises» pour reprendre les propres termes de l'Association Amal Entreprises, organisatrice du Forum. Amara esquive Interrogé par Le Soir échos sur le boycott du patronat, Abdelkader Amara, ministre de l'Industrie, évite adroitement de livrer une réponse claire et directe. Il semble ainsi que le ministre PJDiste, à son corps défendant, a bien compris la leçon en usant des astuces de la communication : question piège mérite réponse piège. Cherchant à fuir toute confrontation frontale avec le gotha des affaires, Amara a préféré plutôt se concentrer sur le poids pesant de la délégation d'affaires turque et son apport bénéfique pour l'économie nationale (Lir page 9). Aux yeux du nouveau groupement entrepreneurial, la CGEM a péché en évoquant la question de l'organisation qui «n'a pas été préparée avec la rigueur et la concertation nécessaires en amont», comme le déplore le patronat. L'association intersectorielle fédérant plus de «1 000 membres entre PME et PMI», nous assure que le patronat a été invité. «Qu'il estime par contre qu'il n'a pas été impliqué aussi fortement que souhaité, là c'est une autre question…!», s'exclame-t-on. La version patronale rejette catégoriquement ce «format que la confédération estime ne pas convenir à une approche stratégique vis-a-vis d'un pays avec lequel le Maroc enregistre un déficit commercial aussi important», est-il expliqué. Et malgré toute la tempête médiatique créée, il y a lieu de souligner que certains membres des fédérations composant la CGEM ont participé à l'évènement. Pour ne citer, à titre d'exemple, que les grosses pointures de l'agro alimentaire, la chimie et pétrochimie, la sidérurgie…, sur la foi de ce membre de l'association Amal. Précisant que le Forum a été organisé conjointement par son association et son homologue turque à savoir l'Association des industriels et d'hommes d'affaires indépendants (MÛSIAD). À titre d'information, cette association à but non lucratif compte 6 750 membres représentant plus de 15 000 entreprises réparties sur 13 activités sectorielles employant plus de 1,2 millions de personnes, avec un chiffre d'affaires à l'export culminant à 17 milliards de dollars. Les deux associations comme nous l'explique Abdelaziz Alazrak, président régional au sein de l'association Amal, font partie d'un groupement international rassemblant plus de 40 pays dont l'objectif est de promouvoir le commerce et l'investissement, apporter les conseils sectoriels et organiser les salons et forums… Insistant sur le fait que le rôle de son association s'inscrit en premier lieu dans une logique de complémentarité avec la confédération patronale et non pas d'exclusion ou de marginalisation comme le laisse entendre le patronat. «Il n' y a pas au Maroc que la CGEM qui puisse s'estimer porte-parole des entreprises, les regrouper et défendre leurs intérêts. Il est temps de rompre avec ce monopole», éclaire-t-il. Avant d'ajouter que l'évènement organisé ce lundi à Rabat n'est que le prélude à la grand-messe, le Forum international des affaires (IBF) qui se tiendra le mois de novembre prochain à Marrakech, auquel le Premier ministre turc, Erdogan a été invité en compagnie de plus de 3 000 hommes d'affaires. De là, on comprend que la portée significative de la CGEM et son image de marque sont mises en balance avec le rapprochement entre «Frères musulmans». Bien que la langue du business n'a pas de religion.