En Egypte, des affrontements entre musulmans et coptes, survenus plus tôt ce mois-ci, font craindre un accroissement de la violence sectaire à l'encontre de la minorité copte égyptienne qui représente environ 10 % de la population de l'Egypte faite de 90 millions d'habitants. En tant qu'étrangère et en tant que native d'Egypte vivant au Caire, nous avons toutes deux entendu en direct les clichés portant sur les relations interconfessionnelles en Egypte. A titre d'exemple, celle de nous deux qui a grandi ici se souvient avoir entendu à l'âge de cinq ans, dans un quartier de classe moyenne au Caire, des camarades murmurer et désigner du doigt une autre fillette: « Elle est chrétienne ». Elles ne savaient sans doute pas ce que ce mot signifiait exactement mais elles savaient qu'il impliquait une différence. A l'époque, je n'ai pas compris le geste des deux filles. Je ne l'ai compris que plus tard. Quant à l'autre de nous deux, l'étrangère, des récits exagérés de part et d'autre lui ont été racontés: « En Egypte, il n'existe aucune discrimination et nous n'avons rien contre les Coptes ». Ou encore: « Il y a toujours eu de la discrimination et les Coptes souffrent d'exactions incessantes ». Nous pensons toutes les deux que ces clichés ne reflètent pas les différences subtiles qui existent dans le pays. Certes, la discrimination existe mais on voit aussi des musulmans et des chrétiens œuvrer ensemble pour y mettre fin. La société civile égyptienne prend les choses en main. Un exemple : Salafyo Costa, un groupe qui lutte pour rapprocher les Egyptiens de confessions, sectes et orientations politiques diverses. Salafyo Costa a initialement été créé pour montrer que les Salafis ne sont pas les effrayants « extrémistes arriérés » souvent décrits par les médias. Au contraire, ils forment un large groupe de musulmans conservateurs qui ont une compréhension littérale des Ecritures de l'islam et cherchent à prendre exemple sur les traditions des premiers adeptes de leur religion. Coptes et autres groupes de musulmans représentent aussi une grande partie de ce groupe. Au sein du groupe Salafyo Costa, les musulmans et Coptes égyptiens travaillent ensemble pour apaiser les tensions entre les deux communautés grâce à des activités de collaboration visant à mettre fin aux idées fausses. Une de nos amies coptes s'est montrée émue de voir des membres musulmans de Salafyo Costa descendre dans la rue pour défendre les Coptes lors des événements tragiques de Maspero en 2011, une marche pour les droits des Coptes qui a été violemment réprimée par l'armée. Mohamed Tolba, le cofondateur de Salafyo Costa, explique que le groupe est « un modèle pour l'Egypte qui va à tous, quelle que soit notre religion, notre race ou notre idéologie politique. » Pour Bassem Victor, Copte et aussi cofondateur du groupe, le problème principal à l'origine des tensions est l'ignorance. « 50 % des Egyptiens ne savent ni lire, ni écrire. Comment s'attendre à ce qu'ils puissent comprendre ce que disent leurs ouvrages religieux ? Ils font confiance au prêtre local ou au cheik qui cherchent probablement à recueillir des bénéfices sur le plan personnel ou politique. » Il se peut que les enfants égyptiens de certaines familles musulmanes déclarent que les chrétiens ne vénèrent pas le même Dieu qu'eux et qu'ils ne peuvent donc pas être leurs amis ou encore qu'il est impur de leur serrer la main. Ces attitudes ont dû être influencées par la popularité croissante de prédicateurs extrémistes intervenant à la télévision ces vingt dernières années. Pour eux, les Coptes considèrent souvent les Salafis comme hostiles à leur égard, à leur religion et à leur présence dans le pays. Mais le simple fait de mieux se connaître les uns les autres suffit souvent à mettre fin aux préjugés et à la peur. Faire preuve de collaboration harmonieuse entre personnes de confessions différentes là où de tels stéréotypes sont un problème peut modifier les comportements. Pour preuve, Salafyo Costa a organisé un match de foot entre Salafis et Coptes l'an dernier. « Au début, les participants étaient circonspects mais ils finirent amis grâce au football, » déclare Mohamed Tolba. « Maintenant, nous savons que c'est une erreur de se méfier les uns des autres. Nous avons perdu nos préjugés » explique Bassem Victor. Les musulmans – Salafis ou d'autres – et coptes de Salafyo Costa organisent aussi des caravanes médicales pour apporter une simple attention médicale là où, en principe, les Salafis ne demanderaient pas de l'aide à un Copte et où les coptes eux-mêmes ne feraient pas confiance à un Salafi. Ensemble, à la fin du mois de janvier dernier, ils ont apporté du matériel médical dans un village inondé, près de Zagazig dans le gouvernorat de Sharqiya. Et vendredi dernier, Salafyo Costa s'est rendu dans un village où la population copte est très importante, Un village en proie à des tensions inter-religieuses dans le gouvernorat de Minya, au sud du Caire. « Dans les villages, les personnes qui bénéficient de l'aide de nos caravanes sont souvent surprises de voir des Salafis et des Coptes travailler main dans la main. C'est une image utile qui change leur état d'esprit », indique Mohamed Tolba. Salafyo Costa rassemble des personnes qui, en temps normal, n'interagissent pas entre elles. Ensemble, elles manifestent pour soutenir les exigences de la révolution, pour libérer les activistes placés en détention ou pour d'autres intérêts communs. En Egypte, la méfiance et la peur de l'autre sont présentes mais, au-delà des préjugés, il existe des nuances et la possibilité de créer une Egypte où tout le monde peut coexister, qu'il soit musulman ou copte. Sophie Anmuth et Marwa Nasser sont des journalistes indépendantes installées en Egypte