Khouloud Souccariyeh et Nidal Darwiche, un couple musulman respectivement sunnite et chiite, ont récemment organisé un mariage civil au Liban. Comme cette institution n'existe pas dans le pays, il n'a pas été surprenant que le gouvernement ne reconnaisse pas leur union. Malgré leur échec, le couple est parvenu à attirer l'attention des responsables politiques du pays ainsi que des chefs religieux. Les élections parlementaires s'approchant, le rejet du mariage de Souccariyeh et Darwiche pourrait bien être l'occasion de revoir le droit civil du Liban. Cette considération n'est pas une nouvelle au Liban, où les chefs de 18 communautés religieuses régissent les questions relatives au mariage, au divorce, à la succession, à la garde parentale et à d'autres aspects de la vie d'une personne. Des tentatives d'introduire le mariage laïc dans le système juridique remontent aux années 1950, mais Souccariyeh et Darwiche affirment que la loi le prévoit déjà dans ses textes. Avec le soutien de militants juridiques, ils ont fondé leur revendication sur l'article d'une loi de 1936, prévoyant un mariage civil pour les libanais sans appartenance religieuse. Les deux époux ont d'abord dû effectuer une procédure administrative consistant à effacer leur confession des documents officiels. Après une année de démarches, ils ont signé un contrat de mariage devant un notaire qu'ils ont soumis au ministère de l'intérieur, afin d'obtenir une licence de mariage. Bien que leur mariage ait été déclaré irrecevable par le Comité consultatif du Ministère de la Justice, l'impact médiatique de leur initiative est une victoire à part entière. Il existe au Liban des personnalités de haut rang qui condamnent fermement le mariage civil. Tel est le cas du cheikh Mohammed Rashid Kabbani, qui a émis un avis juridique à ce sujet. Les chefs religieux chrétiens, quant à eux, se sont abstenus de prendre position, mais le Haut Conseil chiite s'est exprimé contre la légalisation du mariage civil et a appelé à un dialogue sur la question entre les différentes communautés religieuses. Le fait que cet appel au dialogue entre chefs religieux ait autant de poids sur un sujet du domaine civil montre bien à quel point le pays est soumis au droit religieux: une société multiconfessionnelle, dans laquelle les chefs religieux des 18 religions imposent leur loi dans leurs communauté respective. Toutefois, les Libanais en faveur du mariage civil ne restent pas sans s'exprimer. Et, au moment des élections, ce débat aura une importance particulière. Face aux déclarations du cheikh Kabbani, les militants ont doublé leurs efforts en faveur du mariage civil, profitant de l'attention créée par le couple Souccariyeh et Darwiche. Dans la sphère politique, le premier ministre M. Nagib Mikati a écarté tout débat sur le mariage civil, affirmant qu'il est « inutile ». En revanche, le président de la république M. Michel Sleiman et l'ancien premier ministre M. Saad Hariri ont tout deux parlé en faveur du mariage civil, un accomplissement majeur dans un domaine qui n'a pas toujours été accepté par les dirigeants politiques. Depuis 2009, les citoyens libanais ont la possibilité d'effacer leur identité religieuse des documents officiels. Mais pour l'instant, la procédure administrative reste symbolique, car il est impossible pour un citoyen d'exister en dehors du cadre religieux. Ce dernier aspect constitue un véritable obstacle pour ce qui a été le plus grand défi du Liban depuis sa naissance : entretenir un sens de l'identité nationale qui primerait sur les divisions religieuses et, partant, construire un véritable et réel contrat entre les individus et l'Etat. Pour ce qui est du débat religieux, en imposant cette loi à tous les citoyens, croyants ou non, les autorités rabaissent sans doute la valeur religieuse du mariage. La cérémonie ne devrait être destinée qu'à ceux qui l'ont choisie de leur plein gré. Dans le cas contraire, nous pouvons nous demander quel est le sens de la foi. Il importe de signaler le fait que Souccariyeh et Darwiche ont également célébré leur union par un mariage confessionnel (katb al kitab), sans l'enregistrer auprès des autorités. Malgré le fait qu'ils soient eux-mêmes croyants, ils insistent sur le besoin d'une légalité civile, pour laquelle ils sont prêts à lutter. La question du mariage n'est que la pointe de l'iceberg dans ce système vaste et complexe. Le mariage non-confessionnel sur le sol libanais pourrait bien renforcer l'identité nationale, permettant ainsi de dépasser la fragilité permanente du pays.