Comment êtes-vous devenue metteur en scène et scénariste ? Il y a un an et demi, en revenant vivre au Maroc, j'ai réalisé que la maison de mes parents, la Villa Suissa avait joué un rôle déterminant dans ma carrière, cette maison en est même responsable. Lorsqu'à huit ans, j'ai vu mes parents créer cette maison avec leur architecte à Casablanca, d'emblée, j'ai eu envie d'être architecte. Le temps passant, à dix-huit ans, mon père a refusé que je m'inscrive à l'Ecole des Beaux-Arts à Paris, où nous vivions alors. J'ai ensuite, assisté par hasard à la répétition d'une pièce de théâtre, et à ce moment, j'ai fait le parallèle entre le travail d'un metteur en scène, pareil à celui d'un architecte. J'écrivais, depuis l'âge de quinze ans, et je suivais les cours du Conservatoire, mais nous étions en 1962, et il n'existait pas encore d'école de cinéma. J'ai confié au metteur en scène, Pierre Bertin, ami de mes parents que je voulais devenir metteur en scène à mon tour, il a éclaté de rire et m'a dit « vis, souffre, aime, revis encore et peut-être qu'à trente ans, tu nous reviendras metteur en scène. Apprends ce dont les comédiens ont besoin et assiste au plus grand nombre de mises en scène. » (Sic). J'ai ensuite, rencontré le comédien Fernand Ledoux et Jean Meyer, directeur du Théâtre du Palais Royal, où j'ai été engagée comme assistante puis régisseur. Les techniciens y étaient formidables. Et j'ai été l'assistante de Robert Hossein, j'en garde un souvenir impérissable. Vous avez également travaillé aux Etats-Unis ? Oui, j'ai ensuite travaillé auprès d'un producteur américain, le fils de David O. Selznick, producteur du film « Autant en emporte le vent ». En 1963, je me suis rendue à Los Angeles, car je devais écrire un scénario avec Victor Stoloff, metteur en scène et producteur. Le soir, je me suis inscrite à un studio, semblable à celui que je viens de créer à Casablanca. Des auteurs comme Anaïs Nin, avec qui je m'étais liée d'amitié, de grands comédiens, des professionnels du cinéma s'y réunissaient afin de travailler ensemble. Anaïs m'a demandé d'adapter son roman au cinéma, « Une espionne dans la maison de l'amour ». Je me trouvais trop jeune, et elle m'a confié ne pas maîtriser la technique. En 1969, lorsque j'ai décidé de produire ma maison de production au Canada, je l'ai appelé en lui disant que j'avais acquis la maturité nécessaire pour mener à bien ce projet. Ainsi, nous avons travaillé, Anaïs Nin, Jeanne Moreau et moi-même à l'écriture du scénario, car Jeanne adorait aussi ce roman. Aujourd'hui, ma grande tristesse tient au fait que tous les étudiants veulent écrire seuls: c'est la Nouvelle Vague qui a créé cela. Marc Allégret travaillait avec quatre ou cinq scénaristes, car l'un était doué pour la structure, l'autre pour les dialogues, un autre encore excellait dans la mise en scène. Votre parcours s'est aussi bâti au Canada… J'ai toujours aimé enseigner. J'ai tour à tour été professeur de mise en scène au sein de trois écoles américaines. Alors que j'étais productrice et réalisatrice au Canada, à une époque où l'industrie cinématographique n'existait pas, lors d'un tournage, une comédienne s'est étonnée que je lui parle. Elle m'a avoué que certains metteurs en scène malmenaient les comédiens. J'ai donc appris à des comédiens comment construire leurs rôles face à de mauvais metteurs en scène, quant aux bons, ils seront heureux de travailler avec des acteurs qui se préparent. J'ai une vraie passion pour les comédiens. Et j'ai toujours aimé transmettre. Parlez-nous du Daniele Suissa Studio qui a ouvert ses portes en septembre dernier à Casablanca… J'ai vécu une expérience extraordinaire en Jordanie, de 2008 à 2011, où le Roi Abdallah II de Jordanie a créé une école entièrement dévolue au cinéma, souhaitant que des professionnels ayant eu des carrières liées au 7e art, y enseignent. J'y ai été professeur de mise en scène et responsable de la filière production auprès de vingt et un élèves, aux côtés de huit professeurs. A l'issue de ces trois ans, j'ai été nommée «Professeur émérite» au cours de la cérémonie de remise des diplômes de la promotion 2011 de l'école de Cinéma d'Aqaba (Red sea Institute of Cinematic Arts). On m'a demandé de réitérer cet enseignement, mais j'ai préféré offrir ce savoir à mes compatriotes marocains et je suis rentée à Casablanca. J'adore enseigner à l'ESAV (Ecole supérieure des arts visuels), mais ce sont les professionnels qui me passionnent : aider un metteur en scène à finaliser ou préparer sa scène, sa direction d'acteur et surtout rester en coulisse. Idéalement, j'aimerais que ce lieu, devienne un studio doté de meubles, d'accessoires, d'autres pièces. Toujours ouvert aux réalisateurs, aux comédiens, aux scénaristes, ainsi qu'aux producteurs. A ceux qui le souhaitent, je dispense également des cours privés. Des amis m'ont proposé d'établir un budget et d'approcher des sponsors mais il appartiendrait plutôt à un mécène de soutenir le studio : afin d'encourager le cinéma marocain et ces auteurs, Nour-Eddine Lakhmari, Mohamed Mouftakir, Hicham Lasri, Narjiss Nejjar. Je souhaiterai par mon art, contribuer à l'évolution de l'industrie du cinéma au Maroc.