Empêtrée dans les corollaires d'une gestion hasardeuse, la natation marocaine vit une période d'inertie. Les membres du Bureau Fédéral préfèrent, selon les représentants de quelques clubs, adopter « une politique de l'autruche ». La Natation marocaine agonise, depuis plus d'un an. À l'origine du problème, un Bureau Fédéral qui serait en train de tout faire, excepté ce qui pourrait sauver ce sport de la dérive, selon les propos de représentants de clubs marocains, qui ont tenu à se présenter au siège du Soir Echos. Pour ces membres du WAC et de l'USM, les situations prouvant le chaos abondent : une directrice technique nationale qui prend la poudre d'escampette (Interview ci contre), un siège au sein du conseil exécutif de la fédération internationale de natation lâché par le désintérêt de la fédération, et finalement, un Championnat du Monde Junior en 2013 initialement prévu à Casablanca puis retiré au Maroc à cause de la nonchalance des mêmes personnes. La goutte qui a fait déborder le bassin fut le report du championnat national à une date indéfinie. Mon fils, tu ne nageras point ! Dans un communiqué de la Fédération royale marocaine de natation on peut lire que « le Bureau Fédéral, réuni le 10 Novembre 2012, s'est vu dans l'obligation de geler l'exécution du programme national et international de toutes les disciplines dont la FRMN est en charge et, ce, à partir du Lundi 12 Novembre 2012 ». Cette annonce fait l'effet d'une bombe. Cela veut dire en gros qu'il n'y aura plus de championnat, que les enfants ne pourront plus nager et pratiquer leur sport. Pour Abderazak Firas, ancien champion de natation et DTN du club du Wydad de Casablanca, « la natation ne marche plus. Nous ne savons plus quoi faire. Les enfants dépriment ». Déprime, est le mot que tous les intervenants ont évoqué. El Moustakim Mostafa a deux enfants qui vivent ce calvaire. « Je voulais faire transférer mes enfants dans un autre club, mais ma demande (nous détenons une copie de la demande, ndlr) a été refusée. Mes enfants (Mouad et Imad, ndlr) dépriment. Ils ont le droit de changer de club, tant qu'ils sont amateurs et de pratiquer leur sport favori ». En effet, les transferts ne sont plus acceptés. Cette question a mis en colère plusieurs parents. Quinze enfants vivent dans cette situation. Le Bureau Fédéral, actuellement présidé par Rachid Abouzaid (Vice-Président sous l'ère Taoufik Ibrahimi), avait décidé d'un nouveau mode financier de transfert. Des montants de 15 000, 10 000 et 5000 dhs ont été fixés pour chaque transfert demandé. « Il n'y a pas longtemps, le montant était uniquement de 500 dirhams. Le transfert doit être libre entre clubs. On peut dire qu'il y a un avant 2010 et un après 2010 » explique El Moufti Zouhair, Vice-Président du club de l'USM. « S'il n'y a pas de contrat professionnel, un nageur amateur peut partir là où il le veut. Selon la loi 30-09, son contrat est valable pour une année », souligne-t-il. El Moufti ajoute que les enfants sont pris en « otages ». « Geler les activités de natation n'est pas de la prérogative de la Fédération » martèle Zouhir El Moufti. « Le ministère doit s'interposer » Les clubs de natation au Maroc, une trentaine, ont décidé d'écrire au ministère de la jeunesse et des sports. Dans une lettre (nous avons une copie) adressée au ministre de la tutelle, concernant « le gel des activités », les clubs expriment leur « refus catégorique de cette décision, prise sans leur consultation ». « On ne peut rester sans nager. Il n'y a pas de vision. Le ministère doit s'interposer » insiste le vice président de l'USM. Le Bureau Fédéral a arrêté les activités en invoquant le gel de subvention du ministère. Le programme sera relancé une fois que « la subvention, en cours de discussion avec les services du ministère de la jeunesse et des sports, sera débloquée », peut-on lire dans le communiqué du 13 Novembre 2012. Ce communiqué est contesté par ces deux clubs. « Il doit y avoir les signatures du Président et du Secrétaire Général. D'ailleurs, nous n'avons reçu aucun PV. Tout est confisqué au niveau de la fédération » nous confie El Moufti Zouhir. La FINA résilie son contrat Avec tout ce que vit la natation au Maroc (problèmes de transferts, gel d'activité, gel de subvention...), la FINA est venue enfoncer le clou. Elle a décidé de résilier le contrat la liant à la fédération marocaine, concernant la tenue des Championnats du Monde de Natation Junior 2013 à Casablanca. Dans une missive adressée au Bureau Fédéral (nous détenons une copie), nous pouvons relever plusieurs lacunes ainsi que des articles « violés » depuis la signature du contrat, par le Bureau Fédéral actuel. « Nous travaillons sur ce dossier depuis 2008. Rien n'a été fait jusqu'à présent. Nous avons relevé quatorze points non respectés, concernant notamment la fabrication de la mascotte et les réservations d'hôtels. Il y a également le problème de la restauration de la piscine à Casablanca » précise El Moufti Zouhir, avant de poursuivre « le Maroc n'a pas uniquement perdu l'organisation de ces mondiaux, mais également son poste au sein de la FINA ». « La fédération n'a pas voulu cautionner la candidature de Allam (Farid). Le pays a perdu sa chaise au profit de l'Algérie. Le vote « sanction » (18-1, contre le Maroc, ndlr) selon lui, était également contre la fédération et son instabilité. Instabilité « Les subventions du ministère octroyées aux fédérations peuvent être bloquées suivant deux cas : le fait de ne pas tenir d'assemblée générale ordinaire, ou alors de ne pas justifier les dépenses financières. Le ministère attend toujours les justifications de plusieurs opérations» déclare El Moufti Zouhair. Toujours selon lui, l'existence d'un problème qui met en péril la bonne marche de la fédération requiert la tenue d'une assemblée générale extraordinaire, à l'issue de laquelle ce gel peut être prononcé. Contacté par le Soir Echos, le Vice-Président de la FRMN, Rachid Abouzaid avait d'autres arguments à faire valoir. « La fédération fonctionne toujours selon les statuts de l'ancien bureau, suivant lesquels nous sommes habilités à prendre cette décision au moment que nous estimons opportun. En plus, tout cela sera éclairci lors de la prochaine assemblée générale ordinaire qui ne va plus tarder» souligne Abouzaid. Une chose est néanmoins sûre, c'est que cette léthargie ne convient pas aux pratiquants, comme nous le confirme Abderrazak Firas : « pour vous éclairer quant aux retombées de ces problèmes financiers et administratifs, il faut savoir que les clubs et les nageurs établissent leur entraînements et le rythme qui sera appliqué en fonction de la programmation des compétitions présentée par le Bureau Fédéral. C'est la léthargie, depuis que la fédération a gelé l'activité du championnat. Les nageurs sont démotivés et ne savent même pas à quoi serviront leurs entraînements. Ils sont déboussolés et démotivés. La progression de la natation au Maroc a été terriblement impactée par ce problème ». El Moufti y voit les conséquences d'un manque abyssal de régularité au sein de la fédération : « Pour vous donner un indicateur de l'instabilité remarquée : En trois ans il y a eu 3 secrétaires généraux : instabilité administrative et financière, deux trésoriers et deux directions techniques (après la démission de la DTN)» Les dépenses au cœur du débat « Le ministère dit ‘niet' à toute demande de subvention sans justification des dépenses. Quant le nouveau bureau a débarqué, il a présenté le rapport d'un auditeur externe faisant état d'une dépense de 5 788 000 DH pendant le championnat d'Afrique de natation durant l'exercice 2009-2010, sans justifier cette grosse somme, ni à qui elle a profité. En tant que clubs, nous demandons à connaître ceux à qui ces sommes ont été versées, aux officiels, aux hotels… » nous confie M. Driss Hassa, trésorier du WAC. Mais le plus louche selon le membre widadi, ce sont les bilans financiers (dont nous avons reçu une copie) « pleins d'ambiguïté » de la FRMN : « Quand l'ancien Président Ibrahimi a été nommé en 2010, les recettes ont grimpé à plus de 6 MDH, alors que les dépenses ont atteint 9 MDH, ce qui veut dire un déficit de 3 MDH (3 621 402.66 selon le bilan financier de 2009-2010). Il est vraiment difficile d'imaginer que la fédération de natation puisse dépenser toute cette somme en une année… Il y avait des sponsors lors du championnat d'Afrique, mais le bilan ne mentionne rien de cela. Dans le bilan de l'année suivante, les recettes sont de 9 MDH, les dépenses, elles, sont de 7 489 707.89 DH et toujours aucun justificatif. Au niveau du compte de régularisation, le bilan affiche 7 915 864.42 DH. Hors, et de point de vue comptable, il n'est pas logique que ce compte contienne autant d'argent. On a demandé les justificatifs de tout cela lors de l'AG mais aucun détail ne nous a été divulgué. Au niveau du compte de la caisse, qui représente l'argent liquide au sein de la fédération, on a relevé 123 924.83 DH. Il est anormal d'avoir autant d'espèces. La norme serait de 3000 ou 4000 DH ». Le trésorier du WAC dresse un constat assez sombre, que le Vice-Président de la FRMN, Rachid Abouzaid nie en bloc : « Certaines personnes au niveau du ministère cherchent à créer la zizanie autour du budget de la FRMN et nous demandent sans cesse de nouvelles justifications en plus de celles qui ont étés approuvées lors des assemblées générales, en présence de représentants du ministère de tutelle. On ne s'est pas opposés à ces justifications, mais on est en train de les préparer, au fur et à mesure» Ces chiffres exorbitants seraient donc tous justifiés au ministère, en attendant l'émergence d'autres dépenses à expliquer. Abouzaid renchérit en clarifiant que sa fédération a toujours été transparente, même qu' « au cours d'une AG, Ibrahimi a invité les personnes qui demandaient des justifications à se rendre au siège de la fédération au vu et au su de tous, précisant qu'elles pouvaient même ramener des spécialistes en comptabilité si elles le voulaient.» Alors que Hassa déclare avoir été invité « Seul » à jeter un coup d'œil sur les comptes et les factures. Dans son dernier communiqué, la FRMN précise qu'une réunion s'est tenue entre le Bureau Fédéral, le Secrétaire Général du ministère, Karim Akary, ainsi que le directeur des sports, Saïd Boukhari, à la date du 23 Novembre. Cette séance a abouti à la décision de débloquer, dans un délai maximum de quatre semaines, une subvention qui permettrait le démarrage du programme national et international. Cependant, sans justificatifs des dépenses, et sans la tenue d'une AG dans les plus brefs délais, le ministère pourrait encore refuser l'octroi de cette subvention. (rachid nahli et youssef moutmaine) * Tweet * *