Dimanche 11 avril aux Anciens abattoirs de Casablanca, l'ambiance est très animée. Il est 15heures 20 et quatre professionnels des planches bien armés pour parler de tous les dysfonctionnements de la scène théâtrale marocaine sont présents. Même si le thème choisi par les organisateurs de l'événement «Allons au théâtre» est optimiste, la conférence «La scène théâtrale bouge et s'organise», avait un ton virulent. Les professionnels sont mécontents de la politique du ministère de la Culture et n'hésitent pas à le montrer. Naïma Zitane de la troupe Aquarium donne le ton : «Moi je ne comprends pas la politique de subvention du ministère de la Culture bien que j'y travaille depuis 1994 », a-t-elle souligné. Naïma Zitane fait allusion à la dernière Commission du fonds d'aide au soutien théâtral. «Avant d'octroyer la subvention, les membres de la Commission demandent à voir la pièce dans une salle qui n'est pas équipée et où il n' y a ni projecteurs, ni micros, ni gradateurs, et on est obligé de payer le plateau de notre poche ce qui nous coûte 40.000DH», déclare Naïma Zitane. Ce metteur en scène explique que cela conduit à la faillite de la troupe. Pour faire face à ses difficultés de financement et éviter le ministère de la Culture, la troupe Aquarium fait appel à des bailleurs de fonds étrangers. «Le maximum que peut octroyer la Commission est une somme de 120.000 DH, le comble c'est qu'elle exige de rejouer la pièce avant de décider de la subventionner ou pas», souligne Naima Zitane. Pour faire face à ces difficultés et pour ne pas trop avoir affaire au ministère de la Culture, pour la plupart de ses projets, la troupe Aquarium fait appel a des bailleurs de fonds étrangers ou des ONG. «Nous faisons un théâtre particulier, qui est une sorte de plaidoirie, la dernière pièce que nous avons réalisée tournait autour de la corruption et c'est l'Ambassade des Etats-Unis qui la finance», confie la directrice d'Aquarium. De son côté, Jaouad Essounani n'a pas non plus épargné le ministère de la Culture. «C'est désolant, cette institution n'a aucune vision, ne sait pas ce qu'elle veut faire pour le théâtre, tout cela est dû au fait que les responsables, les décideurs, ne lisent pas dans ce pays ». Pour le metteur en scène de la troupe Dabatear, la politique d'aide à la création théâtrale est un fiasco. «Ils ne pensent pas au long terme, le théâtre est une structure, ils auraient pu encourager les troupes à créer des structures et non pas les aider de manière inégale», poursuit Jaouad Essounani. Ce dernier a également exprimé sa colère quant à l'attitude de la Commission du fonds d'aide qui lui avait demandé, il y a quelque temps, de supprimer une séquence de l'une de ses pièces. «Ils veulent créer le théâtre unique, ils veulent provoquer l'imaginaire par la raison alors que la mission du théâtre c'est de provoquer la raison par l'imaginaire», insiste Jaouad Essounani. A l'écoute de toutes ces protestations, Ratiba Iguelma du département du théâtre au ministère de la Culture s'est sentie obligée de défendre l'institution dans laquelle elle travaille. «La subvention a atteint cette année 190.000 DH, elle a été augmentée, c'est positif, je sais que certains disent que c'est toujours insuffisant mais il faut avouer l'effort qui est fait lorsqu'on compare ces sommes octroyées aux troupes à l'ensemble du budget du ministère qui, tout le monde le sait, est dérisoire». Moins virulent, cette fois-ci, mais toujours aussi critique, Zitouni Bousserhane de la troupe «Fadae Al Liouae» de Casablanca dira : « lorsque j'ai bien analysé le thème de cette rencontre, «le théâtre bouge et s'organise », je ne vous cache pas que j'ai été assailli par une vague d'inquiétudes, parce qu'il y a plein de points d'interrogation autour de ce thème. Le théâtre marocain a fait faillite en réalité». Pour Zitouni Bousserhane, les rares expériences réussies du théâtre marocain ne doivent pas cacher ou masquer toutes les difficultés qui persistent. Le théâtre amazigh en mal d'audace Le dramaturge Fouad Azeroual, un Rifain, faisait partie des intervenants de la table ronde du dimanche 11 avril aux Anciens abattoirs de Casablanca. Il a évoqué le théâtre amazigh et le fait qu'il soit toujours cantonné dans un classicisme basé sur le patrimoine oral. «Le théâtre expérimental est encore balbutiant, lorsqu'il y a eu quelques expériences de metteurs en scène marocains résidant en Hollande, cela a été mal perçu par le public des régions enclavées du Maroc, à cause d'un certain travail autour du corps», confie Fouad Azeroual.