A l'occasion de la sortie de son tour du « Monde », Eric Fottorino revient pour les lecteurs du Soir Echos sur les objectifs de son livre et le métier de journaliste qu'il a exercé au Monde pendant 25 ans. A l'occasion de la sortie de son tour du « Monde », Eric Fottorino revient pour les lecteurs du Soir Echos sur les objectifs de son livre et le métier de journaliste qu'il a exercé au Monde pendant 25 ans. Propos recueillis par Lila Sefrioui Pourquoi avoir écrit ce livre ? Je voulais avant tout apporter un témoignage sur mon métier de journaliste, montrer les évolutions de ce métier en moins de trente ans, du papier au numérique. Je voulais aussi montrer que le journalisme, c'est accepter de se laisser bousculer par le réel, sans préjugés ni idées reçues. C'est aller au contact, aller voir, et non pas confondre la virtualité des écrans avec la réalité. Vous avez vécu mille vies, journaliste, reporter, chroniqueur, directeur, laquelle avez-vous préférée ? Avant tout le métier de reporter, car il contient une part d'aventure, d'imprévu, de nouveauté. Il permet des rencontres dans toutes sortes de milieux, de gens ordinaires comme de célébrités. Quelle était votre ambition pour Le Monde ? Etre libre de mes mouvements, de mes idées. Apporter aux lecteurs le plaisir de la découverte, stimuler leur curiosité, les aider à réfléchir, à comprendre les multiples facettes du monde dans lequel nous vivons. Pourquoi la nouvelle formule que vous avez lancée en 2005 a-t-elle fonctionné ? Pour plusieurs raisons. Elle tenait compte de la montée en puissance d'Internet et offrait des choix clairs, une hiérarchie de l'information visible et assumée. Elle accordait une place importante au reportage, à la réflexion, aux informations visuelles, au photojournalisme. Elle était porteuse de pédagogie assez poussée pour permettre au lecteur de se repérer sur des sujets qu'il ne connaissait pas bien. Enfin, elle rejetait l'idéologie, le militantisme, l'investigation approximative ou teintée de dénigrement. Qu'est-ce que le métier de journaliste vous a apporté ? La connaissance des autres, très loin ou tout près. La compréhension du monde dans sa complexité. Le sens de la nuance. L'apprentissage et la recherche de l'honnêteté intellectuelle. Le goût d'expliquer, de partager le savoir et l'information. Comment le métier de journaliste a-t-il évolué en 25 ans ? Il n'a pas changé de sens, il s'agit toujours d'informer, d'expliquer, de contextualiser, d'avoir de la mémoire, de l'intuition, de tracer des perspectives. S'il n'a pas changé de sens, il a changé de forme avec la multiplication des supports électroniques, l'intrusion de la vitesse, de l'impatience, de la réaction préférée à la réflexion. Quelle est la problématique de la presse d'aujourd'hui ? C'est la crise selon Gramsci : ce qui va disparaître n'arrive pas à mourir, ce qui va naître n'arrive pas à émerger. La presse écrite voit son modèle condamné, essoufflé par les chutes des ventes et des recettes publicitaires. Le modèle numérique voit son audience exploser, mais il n'est pas viable financièrement, car il repose sur la culture de la gratuité. Reste à inventer un alliage, une alliance entre les deux. Regrettez-vous Le Monde du papier ? Je ne vis pas dans le regret. Le papier a encore un avenir s'il sait produire des contenus éditoriaux de grande qualité que des lecteurs jugeront indispensables. Quel est votre meilleur souvenir de journaliste ? Mon premier reportage en Ethiopie pour Le Monde. J'ai appris à regarder par moi-même plutôt que de me laisser influencer par tout ce que j'avais lu sur le sujet. J'ai appris à me faire confiance, à écouter, à regarder. Et votre pire souvenir de directeur ? L'obligation de trouver des actionnaires pour vendre Le Monde qui avait un besoin vital d'argent frais. Le métier de journaliste ne vous manque-t-il pas trop ? Je le pratique occasionnellement. Mais j'ai tant de projets d'écriture romanesque ou de récits que je suis très occupé ! J'ai vécu pendant près de trente ans une vie intense de journaliste. Je n'ai aucun regret. J'ai tourné une longue page, sans la déchirer. Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veut devenir journaliste ? S'ouvrir l'esprit, multiplier les occasions de découvrir le monde, de se confronter à l'extérieur, d'expérimenter tous sortes de médias, du papier au web. D'observer à travers l'information ce qui manque, ce qui n'est pas bien traité. * Tweet * * *