A partir de ce vendredi et durant les quatre prochaines semaines qui nous séparent de la Fête du Trône, Le Soir échos vous propose une série d'articles sur les réalisations, les projets et les réformes aux plans institutionnel, politique, économique , social, culturel et humain. Abdellatif Mennouni présidant l'une des réunions de la Commission chargée d'élaborer le nouveau texte constitutionnel. C'est presque une fresque à rebondissements que le Maroc a vécue ces derniers dix-huit mois. Une sorte de poupée russe qui, le fil des événements aidant, n'a cessé d'en déboîter d'autres, les unes plus surprenantes que les autres. Plus prosaïquement, il conviendrait de dire que le Maroc a connu des changements spectaculaires en dix-huit mois qu'il n'en a vécus quarante ans auparavant. Une évolution si rapide et décisive qu'elle a transfiguré le paysage et l'idée, obstinée et incorrigible, d'un pays à jamais immobile. Ce changement porte un nom : l'enracinement dans la démocratie. Ses acteurs ? D'abord le roi Mohammed VI qui a porté le projet sur les fonts baptismaux depuis douze ans. Ensuite la classe politique et la société civile, très active et résolue, enfin le peuple marocain qui a adhéré dès le départ au credo de la transition démocratique. Un printemps et une révolution tranquilles… Celle-ci aura en effet commencé, si l'on devait fixer une date, le 9 mars 2011 par le discours royal annonçant le chantier des réformes constitutionnelles avec, à la clé, la proposition d'une nouvelle Constitution soumise à référendum. Il faut dire que le principe du référendum national a toujours constitué le recours unique pour procéder aux changements constitutionnels, les derniers remontant à septembre 1996, soit trois ans avant le décès de feu Hassan II et l'arrivée au trône de Mohammed VI. Ce jour-là, prenant en quelque sorte le contre-pied des événements qui se sont annoncés ici et là dans certains pays arabes, notamment en Tunisie, en Egypte et en Libye, le roi Mohammed VI a décidé d'anticiper. Il est apparu en quelque sorte comme un visionnaire, prenant en considération les échos – peu joyeux - qui parviennent de ces pays en ébullition totale, et la fronde des jeunes du 20 février dont les manifestations atteignaient leur paroxysme. Le discours du 9 mars 2011 a sonné comme le plus significatif signal d'une volonté de se conformer aux changements. Le roi l'a prononcé sans emphase, sans état d'âme, prenant à témoin le peuple. S'il a commencé par mettre en exergue le principe de régionalisation avancée, lancée en janvier 2010, c'est pour mieux articuler le projet de réforme de la Constitution tout de suite après. « Sans La sacralité, de nos constantes qui font l'objet d'une unanimité nationale, à savoir l'Islam en tant que religion de l'Etat garant de la liberté du culte, ainsi que la commanderie des croyants, le régime monarchique, l'unité nationale, l'intégrité territoriale et le choix démocratique, nous apporte un gage et un socle solides pour bâtir un compromis historique ayant la force d'un nouveau pacte entre le Trône et le peuple. » (extrait du discours du 9 mars 2011). Et, résolu, péremptoire même, d'annoncer solennellement : « A partir de ces prémisses référentielles immuables, Nous avons décidé d'entreprendre une réforme constitutionnelle globale, sur la base de sept fondements majeurs » ! Comme un couperet, l'annonce est tombée, prenant de court certains, convainquant beaucoup qui s'étaient fait les interpellateurs du pouvoir des mois durant, enfin donnant du grain à moudre à toutes et à tous. Au plan international, l'énumération des changements, détaillée, n'aura pas manqué de surprendre, tant le roi est apparu résolu à céder certaines prérogatives et, on le verra dans le nouveau texte de la loi fondamentale plus tard, à procéder à un partage des pouvoirs. A travers quatre paramètres, il a annoncé pour ainsi dire l'esprit de la transformation radicale. De la « pluralité de l'identité marocaine » intégrant l'amazighité comme patrimoine commun à tous les Marocains sans exclusive au principe de « séparation et d'équilibre des pouvoirs et l'approfondissement de la démocratisation, de la modernisation et la rationalisation des institutions », le roi a dessiné l'image d'un Maroc nouveau. Celui-ci sera un véritable Etat de droit, sa vocation reposant sur la « constitutionnalisation » irréversible des recommandations de l'IER ( Instance Equité et Réconciliation) ainsi que les engagements internationaux du Maroc. Enfin, et ce n'est pas le moindre aspect du changement annoncé le 9 mars 2011, « la volonté d'ériger la Justice au rang de pouvoir indépendant et de renforcer les prérogatives du Conseil constitutionnel, le but étant de conforter la prééminence de la Constitution et de consolider la suprématie de la loi et l'égalité de tous devant elle ». Le Maroc en débat Le roi Mohammed VI recevant Abdelilah Benkirane le 30 novembre 2011 à Midelt. Au cours de cette audience Benkirane a été nommé Chef du gouvernement. Dans la foulée du discours du 9 mars, le roi a annoncé la création d'une commission ad hoc pour la révision constitutionnelle et d'une personnalité de gauche, en l'occurrence, un constitutionnaliste reconnu, Abdellatif Mennouni pour la présider. Elle se mettra au travail aussitôt annoncée. Elle prendra attache avec tous les partis politiques, toutes les instances représentatives, politiques, économiques, syndicales, les représentants des ONG, des secteurs entiers du Maroc, dont certains n'avaient pas jusque-là droit au chapitre. La Commission ad hoc, composée de personnalités représentant toutes les sensibilités du pays, mènera ainsi pendant quatre mois un long travail d'approche et un dialogue ouvert avec les composantes du royaume. Il convient de souligner que l'échange entre les Conseillers du Souverain, les membres de la Commission de révision et les représentants des partis n'a pas été aussi aisé voire facile qu'on le pense. Un dialogue engagé sous forme de navette a bel et bien démontré les difficultés rencontrées pour rédiger un texte constitutionnel capable de satisfaire d'un coup et unilatéralement toutes les exigences surgies lors du marathon de négociations. Ce que les uns et les autres n'avaient pu connaître, ni vivre en termes de libertés de ton, auparavant, devenait subitement comme l'illustration d'une ère nouvelle. Ils participaient subitement à l'élaboration de la nouvelle loi fondamentale, au texte sacré de la Nation, ils contribuaient pour ainsi dire à la mise en place d'un nouveau destin du pays. Il y eut ainsi une première phase de discussions acharnées où certaines formations politiques, notamment le PJD, l'USFP et l'Istiqlal, s'étaient montrés critiques voire intransigeants. Ensuite une autre étape de rédaction finalisée d'un commun accord, prenant en compte les amendements des uns et des autres, enfin la présentation du texte final à l'opinion publique qui en a pris connaissance, alors que s'est déjà engagé un débat feutré mais vif dans la rue, les foyers, les salons et les lieux de travail. Toutes les étapes d'élaboration, de rédaction, de peaufinage du nouveau texte constitutionnel ont été marquées par un débat intense qui a révélé d'une part une certaine conscientisation politique des acteurs et d'autre part leur ardeur à s'inscrire, les événements tragiques des pays arabes aidant, dans une perspective consensuelle. Entre le discours annonciateur du 9 mars et la date proclamée du référendum, le 1er juillet , il s'est passé exactement 111 jours. Ils ont consacré la plus profonde et la plus judicieuse révolution institutionnelle du royaume. Autant le pays tout entier s'était mobilisé pour cette réforme proposée par le roi, autant la classe politique, au travers de ses acteurs, s'était focalisée ce que seront le futur parlement et donc le futur gouvernement. Les uns et les autres y sont allés de leur couplet, tirant argument du texte constitutionnel sur lequel, excepté quelques rares contempteurs, s'était réalisé un profond consensus. L'après adoption de la nouvelle Constitution Le 1er juillet 2011, comme pour constituer une seconde étape décisive du parachèvement du nouveau processus, le peuple marocain a donc participé à l'un des référendums historiques du royaume, il a voté massivement et adopté à la quasi unanimité le projet de révision de la Constitution. Sans incidents mais dans l'esprit d'un réel plébiscite, le vote a conforté le roi, incitant même certains – notamment au plan international – à souligner que le « Oui » franc et massif est la meilleure illustration de l'attachement du peuple au roi... Le référendum sur la Constitution a donc mis un terme aux tergiversations voire aux inquiétudes de certains. Il prend alors valeur de sentence constitutionnelle, invite toutes et tous à se conformer à la nouvelle légalité et au respect des institutions qui en sortent, de toute évidence, grandies et renforcées. Autrement dit, toute personne désireuse d'exercer la politique se devrait de le faire dans le cadre légal, désormais prescrit par la Constitution nouvelle...qui, entre autres innovations, a codifié jusqu'aux libertés à caractère personnel. Hors la Constitution, il n'est point de salut. Depuis lors, les partis politiques et leurs états-majors n'avaient cessé de battre le pavé afin de se positionner pour des élections législatives nouvelles, en perspective d'une traduction constitutionnelle de la nouvelle donne. Le Maroc vivra de nouveau une étape significative entre l'adoption de la nouvelle Constitution et le scrutin législatif, vécu de plus en plus comme la phase ultime, le couronnement du processus de changement. Il vivra une période d'autant plus intense, marquée du sceau des supputations et des pronostics contradictoires que la « fin de règne » du gouvernement Abbas El Fassi se caractérisait par un certain assoupissement voire même une ahurissante inertie. Dans ses profondeurs et ses tripes, le Maroc attendait et souhaitait le changement et celui-ci, l'exacerbation des contradictions et le poids des problèmes aidant, devait se traduire par l'arrivée de nouvelles équipes et de nouveaux hommes. A l'annonce de la date des élections législatives par le ministère de l'Intérieur, fixée au 25 novembre 2011, soit à peu près cinq mois après le référendum du 1er juillet, la campagne électorale, sans dire son nom, avait commencé, accompagnée d'un flot incessant et récurrent de commentaires, centrés sur l'éventualité d'une victoire du PJD, qui avait le vent en poupe, d'analyses contradictoires, les unes optimistes, les autres perfides même. Dans les esprits s'opérait déjà le changement, et les partis politiques, encouragés par une Loi électorale favorable, se sont inscrits dans la compétition avec ardeur et une détermination à toute épreuve. En octobre 2011, dans la perspective d'une possible et peut-être irréversible victoire annoncée du PJD, huit partis politiques, le RNI, l'UC, le PAM, le Parti travailliste, le Parti de la gauche verte, le Parti socialiste, le MP et Al Fadila ont annoncé leur coalition, sous le nom de « l'Alliance pour la démocratie », dont l'objectif aura été ni plus, ni moins, on l'aura compris tout de suite, que la volonté de barrer la route aux islamistes. La gloire des islamistes Ce qui devait constituer un tournant majeur dans la campagne électorale, s'est transformé quelques semaines plus tard en baudruche dégonflée, une manière de farce. Le PJD a mis à profit le mécontentement social, l'affirmation d'une citoyenneté critique, son travail social mené des années durant, dans les quartiers urbains au dépens d'une USFP déchirée par des querelles byzantines, tout en raclant les tiroirs du populisme. Il a surfé sur cette vague et beaucoup de ceux ou celles qui ont voté PJD ne s'affichent nullement comme islamistes, ne portent ni barbe, ni voile...Il s'en est trouvé même des « bourgeois de quartiers huppés », qui ont voté en sa faveur...Ce qu'on appelle « les islamistes modérés », ont remporté vendredi 107 des 395 sièges du parlement, dirigent pour la première fois un gouvernement étroitement placé sous la vigilance du roi, comme le veut la Constitution. L'échec de cette coalition aux élections législatives du vendredi 25 novembre, marquera d'une empreinte indélébile celui d'une vision liée aux époques précédentes. Le peuple marocain, ayant voté à une relative et même courte majorité pour le PJD, a sanctionné de ce fait les politiques passées et leurs représentants. Le 30 novembre 2011, dans le cadre pittoresque de la ville de Midelt, symbole s'il en est du pluralisme identitaire et du berbérisme, le roi Mohammed VI a reçu Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, qu'il a nommé chef du gouvernement chargé de former la nouvelle équipe dirigeante, composée quelques semaines plus tard du PJD, l'Istiqlal, le Mouvement populaire et le PPS. Sur les contreforts du Moyen Atlas, le souverain concrétise ainsi une vision de l'histoire du Maroc à laquelle il a tenu à imprimer sa propre vision et associer partis politiques, société civile et composantes de la nation. * Tweet * * *