Vous estimez que le Maroc n'est pas prêt pour organiser les élections locales (dont la date pourrait être le mois de juin). Comment justifiez-vous une telle certitude? A l'Observatoire national des droits de l'électeur, nous estimons qu'après l'entrée en vigueur de la Constitution de 2011, le Maroc se situe dans un cadre marqué par de nouvelles institutions totalement différentes de la période précédente. Ces institutions exercent désormais des attributions élargies, spécifiques et claires. Ce qui nécessite une durée importante afin de pouvoir passer de la transition à la concrétisation de la constitution, d'autant qu'il faudra faire face à des conditions économiques et sociales assujetties aux crises aiguës et non rassurantes. Dans ce contexte, la liberté du choix et d'expression de la volonté réelle de l'électeur marocain ainsi que ses orientations politiques n'est pas acquise. Sous la contrainte de l'incertitude et dans ces circonstances en particulier, une grande majorité d'électeurs peut se sentir libre dans ses convictions. Ils risquent d'être influencés et emportés par des considérations politiques et des circonstances économiques et sociales. Voilà, ce qui légitime notre revendication de ne pas organiser des élections dans la situation actuelle. Quelles seraient les effets néfastes des prochaines élections ? Après l'analyse de l'état des lieux, une conviction s'est constituée, à l'Observatoire, que la tenue des élections dans ces circonstances ne peut que réprimer la liberté de l'électeur et sa volonté. Pourtant, le Maroc a grand besoin que l'électeur puisse exprimer ses propres convictions politiques, car ce sont ses orientations ciblées qui participent à la construction de l'expérience démocratique marocaine et à l'évolution économique et sociale. En l'absence de ces conditions, on donnera avantage au dogmatisme et on profitera de la vulnérabilité de l'électeur. Or, c'est contradictoire à la volonté de la nouvelle constitution qui exige l'amélioration du niveau de l'électeur et l'implique dans la démocratie participative. Autrement dit : doter l'électeur d'une volonté réelle, c'est lui permettre de participer à la construction de son propre avenir. Il n'est donc possible d'organiser les élections communales et régionales qu'après la phase transitoire et le règlement des crises économiques et sociales. Quel impact suscite votre appel au report des élections au niveau des partis? Les partis politiques ont leurs propres agendas et visions construites à partir des données dont ils disposent. Sans aucun doute, il y a des partis politiques qui veulent précipiter les élections et d'autres qui n'y voient pas leurs intérêts. En tant que société civile, nous ne partageons pas les mêmes besoins ni les mêmes revendications. Nos visions sont éloignées l'une de l'autre. Et c'est la société qui doit conduire et développer son avenir. C'est à cela que le développement est lié. Par quels moyens l'Observatoire national des droits de l'électeur compte-t-il convaincre politiques et ONG de votre appel ? Nous avions demandé en 2010, après avoir dressé le diagnostic de la scène politique que vivait le Maroc à cette époque, l'organisation d'élections anticipées afin de faire sortir le pays de cet attentisme pour cause de perturbations qui pesaient lourd sur sa stabilité et son avenir. A l'avènement du Printemps arabe, le Maroc est entré dans une phase transitoire qui a donné naissance à une nouvelle ère. Puisque nous sommes dans une phase de concrétisation de la Constitution, nous sommes sincèrement convaincus qu'il est absurde de précipiter l'organisation des élections. Nous n'avons plus le droit à l'erreur et en commettre une en ce moment aura des retombées graves pouvant conduire la Maroc vers l'inconnu. Notre vision a été pertinente et légitime, nous espérons que toutes les parties responsables et concernées nous donneront raison cette fois aussi.