Les films de Merzak Allouache sont, pour le moins, humanistes et dérangeants. Depuis son premier long-métrage, Omar Gatlato (1976), film culte sur la jeunesse algérienne, l'auteur décrit, avec un regard dénué de complaisance, la société algérienne contemporaine. Avec seize films au compteur, et une évidente reconnaissance à l'international, Merzak Allouache, a tour à tour évoqué l'immigration clandestine (Salut cousin !), les envies d'ailleurs des jeunes brûleurs de route (Harragas), enfin, les rêves de création de le jeunesse algéroise aux prises avec la censure et l'autocensure, auxquelles elle ne souhaite pas prêter le flanc, quand les financements annoncés pour un projet culturel n'arriveront finalement jamais. Normal , tel est le nouvel opus, du parrain Allouache, qui s'attache à mettre en scène le film dans le film, à travers le destin de Faouzi, jeune cinéaste, qui peine à achever son film, à cause du refus du ministère de la Culture de financer une partie de son œuvre. Oscillant entre la fiction et le documentaire, Normal éclaire et suit les pas d'artistes que l'on ne soupçonne pas depuis la décennie noire et pourtant bien éclose, au plus fort du Festival panafricain d'Alger, (le seul festival de la région, où les festivaliers ont choisi leur menu à la carte…), et qui s'est déroulé durant l'été 2009. Des films, des objectifs Qui mieux que Merzak Allouache, accoutumé à travailler et à transmettre son art avec de jeunes talents, pouvait aborder un sujet des plus actuels, tableau vivant de ce que vivent les cinéastes algériens aujourd'hui ? On se souvient notamment du jeune réalisateur Zakaria Saidani, venu présenter au dernier Festival du court-métrage méditerranéen de Tanger, son premier court : « J'ai eu la chance de travailler comme stagiaire sur le tournage de Harragas. Merzak Allouache a insisté pour retenir ma candidature alors qu'il y avait des stagiaires qui avaient suivi des écoles de cinéma en France, qui avaient aussi émis le souhait de participer à son film. Grâce à lui, j'ai réalisé que ce qu'on nous apprend sur Godard dans les livres, c'est très éloigné de la réalité et de la vie d'un tournage. Chaque soir, Allouache et son monteur travaillaient au-delà de deux heures du matin, et ce grand cinéaste tout en fumant son cigare, m'expliquait les arcanes du montage », confiait-il au Soir échos. A en croire les souvenirs de Zakaria Saidani, Merzak Allouache pourrait être professeur de cinéma, mais un professeur doté d'un esprit nettement plus provocateur que ses étudiants. A l'image de la lignée des réalisateurs algériens qui incarnent la nouvelle école du septième art : Nadir Moknèche, Malek Bensmaïl, Rabah Ameur-Zaïmèche. Ils continuent, pour la plupart, de traiter de sujets brûlants, se situant en marge du système, menant à bien leurs films, sans aide financière. Normal, pourraient-ils répondre en écho, comme leurs contemporains algériens, qui en usent pour montrer à quel point certains faits ne le sont pas. Normal, qui renvoie au génie du titre, dit l'élan créatif et le caractère fascinant de la volonté et de la ténacité de Faouzi, personnage qui ne lâche jamais prise, face aux nombreuses contraintes auxquelles il est confronté au cours du film. Comme si pour ce réalisateur et ses amis comédiens, réaliser ce film devenait leur Dernier Maquis (film de Rabah Ameur-Zaïmèche), dernier espoir, ultime signe de contre-pouvoir de leur droit à la création et à la liberté de ton et d'expression. Normal nous enseigne que c'est dans l'adversité que ces artistes apprennent à se définir et à se battre. Et que la jeunesse algérienne, qui vit sans véritable industrie du film, du disque et du livre, sait prendre son destin en main, et ne compte que sur elle-même, pour s'extraire de l'ennui… Normal.