Au Parlement, elle a été la première à interpeller le gouvernement sur l'urgence de l'adoption de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Khadija Rouissi, qui a contribué activement à la création du Forum marocain pour la Vérité et la Justice, dont elle a été la première secrétaire générale avant de poursuivre son militantisme auprès de feu Driss Benzekri au sein de l'Instance Equité et réconciliation, est enfin soulagée. « J'ai insisté auprès de mon parti (PAM, ndlr) à ce que cette question soit prioritaire pour le gouvernement, alors que ce n'était pas le cas au tout début. A présent, nous sommes le premier pays du Maghreb à avoir signé cette Convention. C'est la meilleure réparation que puissent avoir les familles, que de reconnaitre le crime des préjudices qu'elles ont subis », confie la militante. Les militants contre l'oubli Si Khadija Rouissi en a fait son cheval de bataille, ce n'est pas par pur hasard. Elle a connu et vécu l'expérience de toutes ces familles qui ont perdu les leurs durant les années de plomb. Son frère Abdelhak, le plus ancien disparu de cette époque sombre, lui a donné la force de se battre pour que ces violations des droits de l'Homme soient dénoncées, réparées et, à présent, sanctionnées. « Toute la famille Rouissi demande, aujourd'hui, qu'un instrument soit créé au sein du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) pour étudier et donner suite aux dossiers en suspend, 9 cas n'ont toujours pas été élucidés. Cet instrument devrait se lancer sur leurs traces pour les retrouver », souhaite Khadija Rouissi, qui est également membre du Réseau mondial de solidarité des mères, sœurs, épouses, filles, proches de personnes enlevées ou disparues depuis plus de dix ans. L'engagement du Maroc apaise, de toute évidence, les militants des droits de l'Homme. « La ratification tant attendue de cette Convention vient finalement rompre l'hésitation du Maroc depuis la mise en place de l'Instance équité et réconciliation », déclare la présidente de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme, Amina Bouâyach. Rappelant le long combat que cette décision a nécessité auprès de la société civile, cette dernière estime que le retard a fini par céder la place à la raison. « C'est une Convention qui a, pour nous, une signification morale et politique », affirme-t-elle, précisant que l'OMDH avait en 2009 élaboré une stratégie de lutte contre l'impunité. Apaisement moral et politique « La décision est morale parce qu'elle exprime clairement que les disparitions forcées ne sont plus acceptées autant que le non respect de la durée des gardes à vue », explique Amine Bouayach. Et d'ajouter que le volet politique de cette décision trouve sa légitimité dans la nouvelle Constitution, qui ne laisse aucune équivoque sur l'engagement du Maroc à mettre fin à ce genre de violation grave. L'article 23 de la constitution stipule, en effet, que la disparition forcée et la détention arbitraire ou secrète sont considérées comme des crimes de la plus grande gravité, et leurs auteurs sont exposés aux sanctions les plus sévères. Plus question d'impunité, c'est dans cela que les militants des droits de l'Homme trouvent leur soulagement. « Nous nous attendons à ce que la réforme du code pénal prenne cela en considération et criminalise toute personne qui violerait cet engagement du Maroc », revendique la présidente de l'OMDH. Le Maroc s'engage pour le changement, mais il lui faudra tracer les lignes de ce chemin qui le conduira vers la mise en œuvre de cette Convention internationale. « La ratification ne signifie pas la mise en œuvre. Pour nous, même s'il s'agit d'un grand pas, il reste nécessaire de disposer de garanties et de dispositions législatives afin de ne plus reproduire les violations du passé », affirme Houria Es-slami, membre du comité de coordination des familles des disparus et des victimes de la disparition forcée au Maroc, et membre fondateur du Forum marocain pour la Vérité et la Justice. Processus post-adoption Le plus dur reste à faire. Le Maroc est appelé à se lancer dans l'étude des moyens de concrétiser son engagement. « Il faudra adapter la législation marocaine à celle internationale et asseoir une procédure claire pour qu'aucune autre disparition forcée ne se fasse », soutient Houria Es-slami qui assure également la coordination du groupe de travail chargé des relations internationales, des partenariats et de la coopération au CNDH. « En tant que société civile, nous voulons contribuer à ce processus du mieux que nous pouvons par un plaidoyer. Nous inscrivons notre action dans une démarche constructive espérant l'abolition de ces violations des droits de l'Homme », confie-t-elle. Le Maroc réussira-t-il à tenir son engagement ? Pour Ahmed Herzenni, l'ancien président du CNDH, il n'y a aucun doute sur la détermination marocaine. « Ratification implique obligation de procédure. Le Maroc est doté des instances interlocutrices pour le faire, dont le CNDH et le ministère de la Justice, qui devront dresser un rapport sur la question. Il s'agit de passer à l'acte », rappelle Ahmed Herzenni pour qui l'actualisation du code pénal devra s'accélérer afin que Convention et constitution trouvent application.