Quelle lecture faites-vous de la situation ? Les deux mots qui conviennent pour décrire la situation actuelle au Sénégal sont : incertitude et danger. Après douze ans passés au pouvoir, Abdoulaye Wade veut s'accrocher pour ensuite le passer à son fils alors que nous ne sommes pas dans une monarchie. Ce troisième mandat qu'il sollicite est une violation de la constitution. Et malgré la pression, il ne veut rien entendre. Les évêques sénégalais étaient chez lui jeudi pour lui faire entendre raison mais en vain. L'envoyé spécial de l'Union africaine en la personne de l'ancien président nigérian Olosegun Obasanjo et celui de la Communauté économique des états de l'afrique de l'ouest l'ont également rencontré le même jour pour lui délivrer un message de paix. Mais il s'entête toujours. Tout peut arriver si jamais Abdoulaye Wade se proclame vainqueur de l'élection après le premier tour. On sait qu'il a les moyens et les logiciels pour le faire et il parle depuis un an de sa victoire avec 56,80% au premier tour. Si une telle chose se produit alors franchement le Sénégal va s'embraser. En tant que candidat de l'opposition, quel message adressez-vous au peuple sénégalais ? Le message est clair. J'appelle les Sénégalais à aller massivement voter dans la sérénité et surtout d'être patients. Il faut savoir gardée raison face à la situation actuelle. Je suis soutenu par 65 formations politiques et mouvements de la société civile, j'appelle donc tous ceux qui adhèrent à notre cause d'aller exprimer leur point de vue. Il faut qu'on accompagne Wade à la retraite à travers ce vote. Notre coalition n'a pas appelé au boycott de l'élection parce que nous avons un électorat important et connu. En 2007, nous avions opté pour le boycott des législatives et l'électorat nous le reproche jusqu'à présent. On ne veut donc pas récidiver même si trois autres candidats ont appelé à boycotter le scrutin à cause de la candidature de Wade. Nous avons un poids électoral important. Lors de notre tournée nationale,nous avons visité toutes les provinces pour sensibiliser les populations à notre cause. La campagne électorale a été marquée par de nombreuses tensions. À quoi doit-on s'attendre après les résultats du premier tour ? Je ne saurais franchement vous donner une réponse claire à ce sujet. Il y a eu 14 morts par balles et Wade lors de ses sorties médiatiques a minimisé cela en déclarant publiquement que ce n'était rien du tout. Vous savez, il y a des escadrons de la mort actuellement au Sénégal qui procèdent à des enlèvements. Mon neveu a été enlevé par ces hommes qui l'ont torturé pendant deux à trois heures la semaine passée. Moi-même, j'ai reçu trois balles de calibre 12 lors de manifestations sur la place de l'Obélisque. Alors vous-même pouvez déjà imaginer le degré de la tension qui prévaut actuellement. Toutefois, nous avons dénoncé ces pratiques orchestrées par le pouvoir en vue d'intimider la population et nous avons également saisi le Rassemblement africain des Droits de l'Homme. Mais un scénario à l'ivoirienne me paraît impossible dans la mesure où au Sénégal, nous nous identifions plutôt à une nation plus qu'à notre identité communautaire. Donc je pense qu'il y aura des affrontements entre ethnies ou communautés. Mais ce qui va se passer si jamais Abdoulaye Wade se porte vainqueur, c'est que les jeunes du mouvement du 23 juin ne vont se laisser faire. Il y aura inévitablement des affrontements entre partisans de Wade et ceux de l'opposition. C'est pour éviter une situation conflictuelle que notre coalition a appelé à un report du scrutin de quelques mois dans le but de donner du temps à Wade pour retirer sa candidature et aussi permettre à son parti de désigner un candidat légitime. Les candidats de l'opposition ont eu une rencontre en fin de semaine dernière avec l'envoyé de l'UA et de la CEDEAQ. Quelle est l'impact de cette mission sur la suite des événements? Oui l'UA et CEDEAO ont dépêché une mission d'observation pour s'enquérir de la situation. On était sept membres de l'opposition à être reçus dans le cadre de cette rencontre. Nous avons exposé nos points de vue et nos recommandations sur la situation. Il faut bien préciser que le rôle de cette mission n'est pas un rôle de médiation mais d'observation. Plusieurs propositions dont je ne peux encore vous parler sont en cours d'examen. L'Union africaine et la Communauté économique des états de l'afrique de l'ouest doivent réussir à faire entendre la raison à Wade pour éviter une situation qui sera difficile à gérer après. J'ai été son Premier ministre pendant une dizaine de mois et je sais que c'est un extrémiste qui ne pense qu'à sa personne. Quels seront les projets phares de votre programme concernant la jeunesse sénégalaise si vous êtes élu ? Vous savez nous sommes une coalition et notre programme s'articule autour de douze engagements qui se déclinent en 120 mesures. Concernant la jeunesse, il y aura la création d'une banque spécialisée pour le financement des projets des jeunes en vue de les soutenir financièrement. Dans les zones rurales, plusieurs projets concrets seront mis en œuvre pour permettre aux jeunes de se prendre en charge notamment à travers des crédits alloués sur de longues durées avec des taux d'intérêts bas. Pour améliorer la condition féminine, nous prévoyons la mise sur pied, en cas de victoire, d'un partenariat économique féminin à travers des microcrédits. Voilà juste quelques unes des mesures qui seront prises pour améliorer le quotidien des Sénégalais. Et sur le plan diplomatique ? J'ai été chef de la diplomatie sénégalaises pendant plusieurs années avant de rejoindre l'ONU. Ma diplomatie sera axée sur deux piliers : l'ouverture et la défense des intérêts nationaux. Si je suis élu, je compte particulièrement renforcer les relations avec le Maroc et le Maghreb en général. Je me concentrerai aussi sur l'Afrique de l'Ouest surtout et également sur tout le continent. Le retour du Maroc dans l'Union Africaine sera aussi l'un de mes points d'actions car il a été injustement exclu de cette instance et malgré cela il continue à nouer d'excellentes relations avec le reste du continent. Quelle sera votre solution au conflit de la Casamance ? Nous avons tout un dossier sur cette situation. Nous allons continuer sur les bases de l'assise nationale qui avait réuni 6000 cadres et qui a abouti à la création d'une commission sur la Casamance. En cas de victoire, je constituerai une commission nationale qui va mener des concertations avec le mouvement des forces démocratiques de la Casamance sur des bases de négociation qui nous permettront d'aboutir à une solution dans un délai de six mois à un an. Après, il sera surtout question de la reconstruction de cette région à travers des projets bien élaborés. Compte tenu de la panoplie de candidats, quelle sera la configuration du gouvernement en cas de victoire de l'opposition ? En cas de victoire, je mettrai en place un gouvernement d'union nationale. Tout ceux qui se reconnaitront à travers nos valeurs pourront travailler avec moi. Il nous faut un gouvernement pluriel et compétent. Je suis prêt à intégrer des membres du PDS(le parti de Wade) qui ont la valeur et la compétence nécessaires. Les Sénégalais de Rabat mobilisés Les résidents sénégalais de Rabat et ses environs étaient également aux urnes ce dimanche. Jusqu'à 12h30 les votants venaient encore au compte-goutte. L'affluence n'était pas vraiment au rendez-vous, sans doute à cause des événements ayant marqué la campagne électorale. Selon Malik Ngom, le président du bureau de vote de Rabat, les tensions de ces deniers jours au Sénégal n'ont pas eu d'impact sur le vote. « Nous n'avons pas connu de difficulté dans l'organisation du scrutin au niveau de Rabat. Ce qui s'est passé au Sénégal reste au Sénégal et ne nous regarde pas. Tout ce passe bien, c'est un processus démocratique et tout le monde est libre de voter pour le candidat de son choix », assure-t-il à notre journal. Pour Babacar Gueye, fier d'avoir accompli son devoir civique, « il est temps de choisir le candidat qui pourra apporter le changement et améliorer la situation du Sénégal ». A côté de lui, Mamadou Colda, supporteur inconditionnel du chef d'Etat sortant Abdoulaye Wade, ne cache pas son souhait. « Il faut que les gens votent pour Wade. Il a fait beaucoup de choses, les opposants qui crient partout n'ont rien donné au peuple. Wade doit rester pour finir son travail », témoigne-t-il au Soir Echos. Cependant malgré les divergences d'opinion, les votants s'accordent néanmoins sur un point : « Il faut la paix pour le Sénégal ».