Trois ans après sa réactivation, l'heure est au bilan au Conseil de la concurrence. Dans cet entretien, son président, Abdelali Benamour, énumère notamment les points qui freinent encore la bonne marche de l'instance, sans réel pouvoir jusqu'à présent. L'optimisme est cependant permis. Abdelali Benamour, président du Conseil de la concurrence. Vous venez de souffler votre troisième bougie. Quel bilan dressez-vous ? Globalement, le bilan des trois années d'activité du conseil reste positif. Et ce, malgré les complexes difficultés auxquelles nous faisons face au quotidien et surtout la sensibilité de la mission qui nous est confiée pour mener à bien la lutte , sans merci, contre les différentes formes de rentes indues ainsi que les pratiques anticoncurrentielles paralysant l'équilibre du marché.Au terme de ces trois années d'existence, le conseil a reçu 33 demandes d'avis et de saisines. Nous avons accepté 21 demandes au total et jusqu'à présent, le conseil s'est prononcé sur 13 d'entre elles, comme celles concernant le livre scolaire, le pilotage maritime ou encore le projet de concentration économique dans le secteur de la biscuiterie et du chocolat entre les sociétés « KRAFT FOOD INC » et « CADBURY PLC ». Le reste est prévu pour les mois à venir. S'agissant des études programmées, le nombre est fixé à 20. Mais seulement 5 ont été réalisées, à l'exemple de l'étude sur le G.S.M ou encore sur les grandes et moyennes surfaces.La majeure partie du reste des études sera rendue publique dans les prochains mois , telles que celles portant sur la concurrentiablité du secteur bancaire, la cimenterie, le transport aérien… Quelles sont perspectives d'avenir du Conseil ? Avec la nouvelle réforme constitutionnelle et l'avènement du gouvernement Benkirane, nous espérons que le décret d'application du texte de loi 06-99 verra le jour très prochainement. Nous espérons également que le projet de loi ne fera pas l'objet de modifications profondes, sous peine de paralyser son ossature et sa logique générale. Nous demandons enfin que l'effectif de l'équipe jugé actuellement insuffisant sera porté au double pour atteindre les 40 personnes. Les contraintes du Conseil sont légion…Absolument. À commencer par la complexité et les multiplicité des intervenants au sein de notre champ d'action. À cela viennent s'ajouter les problèmes de communication et de mise en relation avec toutes les composantes de la société, y compris le monde des affaires.J'estime aussi que le texte de loi régissant l'activité du Conseil ne favorise en aucun cas l'exercice de notre rôle de régulateur. Notre conseil ne jouit jusqu'à présent que d'un statut purement consultatif. Il reste sans indépendance, sans pouvoir décisionnel, sans plaidoyer, n'ayant même pas un droit d'enquête pour accéder facilement à l'information. Toutefois avec le nouveau vent des réformes , des lueurs d'espoir se projettent à l'avenir. Pensez-vous qu'avec la nouvelle feuille de route du gouvernement Benkirane le conseil aura plus de poids ? Je ne peux juger que ce qui a été dit et écrit. J'ai lu soigneusement le programme quinquennal et je ne peux que me réjouir en tout cas pour ce qui nous concerne. Car nous sommes parmi les rares institutions à y être citées et à titre nominatif. D'après ce que j'ai lu et entendu encore une fois, il est prévu que des actions sérieuses seront menées au niveau de la lutte contre les rentes indues et les pratiques anti- concurrentielles favorisant ainsi la régulation du marché. D'ailleurs, quelques personnalités officielles ayant pris part à notre dernière rencontre nous ont promis tout un dispositif d'accompagnement au titre de la mise en place du nouveau programme. En tout cas une chose est sûre : je ne peux que me réjouir au vu des perspectives d'avenir en ligne avec le nouveau contexte. Vous avez dit dans l'une de vos interventions précédentes que le Conseil de la concurrence ne sera jamais indépendant… Je n'ai jamais dit ça. Pour lever l'ambiguïté, je tiens tout d'abord à vous rappeler que le président et le collège des membres composant cette instance sont nommés par quelques milieux… Une telle mesure n'a pour objectif que de réserver plus d'efficacité et d'indépendance au Conseil, même à l'égard du gouvernement, afin qu'il puisse exercer son pouvoir de veiller au libre jeu de la concurrence. Par indépendance ,on entend bien sûr indépendance du personnel. Et c'est sur ce plan là que l'indépendance s'avère très difficile. Tous les membres ont été élus d'ailleurs pour leur compétence dans les domaines ayant trait à leur champ de compétence (droit , économie…), et aussi en raison de leur probité. Mais l'indépendance ne se réduit pas seulement aux personnes. Il s'agit aussi de l'indépendance morale, financière ou encore des textes de lois. Pourquoi alors on crée une institution comme celle-là si l'indépendance n'est pas garantie ? Justement. Votre institution, qui se contente jusqu'à présent d'émettre des avis, n' a pas encore acquis le statut d'instance décisionnelle. Alors de quelle autorité parle-t-on ? Il va falloir passer très vite à l'action avec l'installation du nouvel exécutif. L'indépendance est là mais il faut pour cela un décret d'application et la loi n'est pas encore là. Mais je reste très optimiste quant à l'approbation dudit décret d'application de la loi 06-99, concernant la liberté des prix et la concurrence, lors de la prochaine session parlementaire du printemps. Il paraîtrait que vous être encore une instance incompétente au vu de la marge de manœuvre dont vous disposez. Quid alors du plaidoyer ? Il figure parmi nous propositions. D'ailleurs nous avons longuement travaillé sur cette question avec le gouvernement sortant. Après notre constitutionnalisation , nous avons procédé à nombre de modifications dans le texte original. C'est alors qu'on parle d'amendement des amendements. Le document est alors soumis au Secrétait général du gouvernement. Pour vous montrer l'importance que revêt le plaidoyer dans notre stratégie de fonctionnement, toute une fonction a été dédiée à ce volet consacré essentiellement à la régulation du marché. C'est-à-dire mesurer le degré de concurrentiablité des activités économiques. Dans le cas par exemple de passation des marchés publics et s'il s'est avéré que les règles de concurrence n'ont pas été respectées, c'est à ce moment là que nous brandissons la carte du plaidoyer.