Youssef El Amrani, ministre délégué aux Affaires étrangères, évoque dans cet entretien plusieurs sujets : l'accord agricole avec l'UE, les relations avec l'Espagne du très conservateur Mariono Rajoy, la place du royaume en Amérique du Sud, les problèmes avec le Parlement européen, ses relations avec Saâd-Eddine El Othmani et sa nouvelle casquette politique. Youssef Amrani est un homme de terrain, comme il aime à se qualifier. Son nom est lié à l'action de la diplomatie, durant la dernière décennie. Principal négociateur avec l'Union européenne et les Etats-Unis. Longtemps, il a travaillé dans l'ombre de l'ancien ministre des Affaires étrangères. Après un court passage au secrétariat général de l'Union pour la Méditerranée (UMP), il retrouve son ancien bureau au siège du département mais cette fois en tant que ministre délégué aux Affaires étrangères du gouvernement Benkirane. Une promotion accompagnée d'une re-adhésion au parti de l'Istiqlal, sa famille politique de toujours. Etes-vous confiant en l'avenir des relations maroco-espagnoles avec un parti conservateur au pouvoir à la Moncloa ? Entre l'Espagne et le Maroc c'est avant tout une politique d'Etat. C'est une relation spécifique entre deux partenaires ayant un enracinement historique fort. C'est également le résultat d'un maillage économique, humain et culturel de plus en plus dense. La relation entre les deux pays est tellement dense qu'elle intègre en plus des gouvernements, une série d'acteurs qui sont de plus en plus déterminants dans cette relation forte et confiante que nous sommes en train de construire tels que la société civile, les entreprises, les partis politiques et les régions autonomes qui jouent un rôle prépondérant dans la politique espagnole et font preuve d'un dynamisme exceptionnel. Nous sommes donc appelés plus que jamais à œuvrer ensemble pour que notre partenariat soit sans cesse renforcé en vue de permettre à nos deux pays de jouer un rôle de catalyseur dans une région qui vit au rythme de changements majeurs ouvrant la voie à une nouvelle étape synonyme d'opportunités.Justement, le 25 mars prochain, l'Andalousie a rendez-vous avec les élections autonomes, nous constatons que le Maroc est une carte électorale…S'il est vrai que le Maroc a toujours constitué un enjeu électoral important en Espagne, il n'en demeure pas moins que Rabat et Madrid se présentent aujourd'hui comme deux pays qui ont fait chacun à sa manière et selon son propre rythme le même choix d'ancrage démocratique, de consolidation de l'Etat de droit, de gouvernance territoriale et d'ouverture économique, ce qui les prédispose à inaugurer ensemble un nouveau modèle de coopération en Méditerranée. L'objectif escompté étant de fonder un partenariat rénové à la hauteur des orientations de SM le roi Mohammed VI, des atouts de nos deux pays et en phase avec cette nouvelle architecture qui se dessine en Méditerranée surtout que l'Europe est en train aujourd'hui de réfléchir à une nouvelle politique de voisinage qui soit davantage ambitieuse et que nous voulons davantage solidaire.Le 25 janvier, la Commission du commerce international au Parlement européen examinera l'accord agricole entre le Maroc et l'UE. Que compte entreprendre la diplomatie marocaine pour éviter la répétition du rejet par les eurodéputés, le 14 décembre 2011, du renouvellement de l'accord de pêche ? Le Maroc ambitionne d'inaugurer un nouveau dessein avec l'UE à travers un cadre relationnel dont les aspects contractuels et les ressorts opérationnels permettront de conférer davantage de teneur et de portée stratégique à nos relations avec l'Europe. D'ailleurs et comme vous le savez, le Maroc a toujours appréhendé sa relation avec l'UE dans un cadre global et complémentaire prenant en compte les intérêts bien compris des deux parties. Le royaume est le seul pays qui a adhéré à l'ensemble des offres de partenariat que l'Union européen lui a présentées. Des initiatives couronnées par l'octroi au Maroc du statut avancé. Nous sommes en droit d'attendre des Européens un renvoi de l'ascenseur. Un geste fort des 27 qui cristallise cet ancrage en vue de construire avec l'Europe un espace économique commun. Nous espérons que cet accord puisse aboutir. N'oublions pas que c'est un accord qui inclut la réciprocité. Au même titre que le Maroc bénéficie d'un relatif meilleur accès au marché européen pour ses produits agricoles, l'UE bénéficie également, d'un plus grand accès au marché marocain pour ses produits agricoles et agroalimentaires. C'est une ambition légitime du royaume d'avoir un accès au marché européen pour un secteur très important pour notre pays. Je reste confiant malgré le contexte de crise économique et malgré certaines pratiques protectionnistes qui ont le vent en poupe sur le Vieux continent. A cet égard, la diplomatie marocaine a toujours été mobilisée aussi bien sur le plan bilatéral que multilatéral en associant l'ensemble des acteurs concernés tels que les Départements techniques, le Parlement et les associations professionnelles. Avec le nouveau chef de la diplomatie espagnole, José Manuel García-Margallo le 11 janvier 2012 à Madrid et l'ancienne ministre des Affaires étrangères, Trinidad Jiménez, à Barcelone en juillet dernier. Pourquoi le Parlement européen résiste à la diplomatie marocaine ? Il n'y a pas de résistance particulière du PE à la diplomatie marocaine. Le traité de Lisbonne a renforcé les pouvoirs du PE et en a fait un co-décideur en matière de politique étrangère. Nous constations qu'il y a une lecture différenciée de la part du PE et de la Commission européenne des accords inter-institutionnels, sur les prérogatives du PE. Le résultat est que les divergences entre ces deux institutions engendrent des problèmes dont sont victimes en premier lieu les pays partenaires et malheureusement le Maroc en fait partie… Pour l'heure, le Maroc réitère son ambition de renforcer sa relation avec le PE et de réactiver la commission parlementaire mixte suite à la nouvelle configuration du Parlement marocain. Le Parlement européen devrait, sans instrumentalisation politique stérile, accompagner et soutenir le Maroc qui a fait le choix souverain d'un engagement stratégique et politique à l'endroit de l'UE. Vous revenez juste d'un séjour au Guatemala, au cours duquel vous avez rencontré les chefs de la diplomatie de certains pays d'Amérique latine et des Caraïbes, est-ce là le signe du retour du Maroc en force sur la scène politique au niveau de cette région ? Le royaume a toujours été présent en Amérique du Sud à travers ses ambassades et sa participation active à l'ensemble des initiatives bi-continentales notamment Amérique du Sud/pays arabes et Amérique du Sud/Afrique. Le rapprochement avec cette région est traditionnel. A titre d'exemple, avec le Guatemala, qui siège au même titre que notre pays au Conseil de sécurité en tant que membre non permanent, nous avons décidé de créer un mécanisme de dialogue politique en vue de coordonner nos positions à l'ONU. Cette offensive à destination des pays de l'Amérique du Sud, est-ce pour contrecarrer l'influence du Polisario ? En plus du dialogue politique avec les pays de la région et le rapprochement avec les peuples de la région avec lesquels nous partageons des valeurs communes et la langue espagnole, notre action a, également, des objectifs économiques afin de permettre aux opérateurs marocains d'explorer de nouvelles opportunités pour l'entreprise marocaine et de nouer des partenariats et des coopérations avec ces pays. Bien évidemment, la question nationale demeure notre priorité. Est-ce qu'il y a une répartition des tâches entre vous et Saâd-Eddine El Othmani ? Aucune répartition des rôles n'a eu lieu. Nous sommes tous les deux membres de la coalition gouvernementale qui sont au service de SM le roi et des intérêts suprêmes du pays. A ce titre, nous sommes convaincus et pleinement engagés dans la défense de la politique étrangère marocaine. Donc les relations entre vous sont au beau fixe ? Parfaitement. Youssef Amrani et l'Istiqlal, est-ce juste une relation pour les exigences du maroquin ou bien vous êtes un istiqlalien convaincu ? C'est plutôt la deuxième partie de votre question qui est juste. Je dirai même plus, je suis né, le 23 septembre 1953, au parti de l'Istiqlal. Mon père, inspecteur du parti et ma mère, membre fondatrice des Bounates Alistiqlal à Tanger. En 1974, j'étais membre du comité exécutif de l'Union générale des etudiants du Maroc, en 1977, membre du Bureau exécutif de la jeunesse du parti et membre à plusieurs reprises du Conseil national du parti. S'il est vrai qu'en raison de mes longs séjours à l'étranger en tant que consul et Ambassadeur de SM le Roi, je n'étais pas présent sur la scène politique nationale, il n'en demeure pas moins que je n'ai jamais renié ma famille politique. Avec ma nomination en tant que ministre délégué aux Affaires étrangères, je peux dire que j'ai renoué avec ma famille qui m'a appris des valeurs de patriotisme, de nationalisme, d'abnégation et du respect de l'autre.