Kais sellami est un patron citoyen. Membre de l'instance chargée de réaliser les objectifs de la révolution (instance Benachour), il a aussi cofondé le parti Afek Tounes, qui a raflé 4 sièges lors de l'élection de la Constituante. Pour Le Soir échos, il revient sur la situation économique en Tunisie et appelle à un retour de l'autorité de l'Etat. Kais sellami est ce qu'on peut appeler un patron citoyen. Multipliant les casquettes, puisqu'il a été membre de l'instance chargé de réaliser les objectifs de la révolution (instance Benachour), il a aussi co-fondé le parti Afek Tounes, qui a raflé 4 sièges lors de l'élection de la Constituante. Président de l'ISSII, l'équivalent de l'Apebi au Maroc, il est aussi membre du Comité national de transition de l'UTICA (le patronat tunisien). Lors de cet entretien, Sellami parle de ses craintes sur l'avenir de la Tunisie, mais aussi des réformes qui devraient être entreprises le « plus rapidement possible », car selon Sellami, la limite a déjà été dépassée. Vous étiez membre de l'instance Benachour, qui avait pour but de réaliser les objectifs de la révolution. Pensez-vous avoir atteint cet objectif ? Ce serait une prétention de dire que nous avons atteint les objectifs. En fait, nous avions trois objectifs majeurs : assurer les objectifs de la révolution, assurer la transition démocratique, et réussir les réformes. L'instance a joué un grand rôle dans la transition démocratique, c'est elle qui a mis en place le code électoral, elle a aussi mis en place la haute instance chargée de superviser les élections. Nous avons aussi mis en place un certain nombre de lois, concernant les médias, les partis politiques. L'instance a aussi eu un impact psychologique important durant la transition jusqu'aux élections, puisque pour la première fois en Tunisie, cohabitaient dans une même enceinte partis politiques, société civile, bref des personnes de différentes tendances et idéologies, qui sont arrivées à débattre ensemble, à voter, mais aussi le plus souvent, à trouver des consensus. Ce fut vraiment une première. Comment s'est passée la cohabitation avec le gouvernement Caid Sebsi ? C'est vrai que les premiers jours avaient été difficiles. Les gens n'avaient pas l'habitude de ce genre de cohabitation. Il faut dire que bien des assemblées avaient été houleuses, au niveau interne, mais aussi vis-à-vis du gouvernement. Béji Cais Essebsi nous a rendu visite à deux reprises au sein de l'instance, pour présenter son programme, mais aussi pour nous poser des questions. C'est vrai que parfois ça a été chaud, mais il faut prendre les choses du bon côté, les Tunisiens voyaient pour la première fois comment fonctionnait la démocratie. Votre instance est plutôt consultative ? Oui, officiellement c'était le cas. Mais bon, 95% de nos recommandations avaient été prises en compte par le gouvernement. Vous avez ensuite cofondé un parti politique (Afek Tounes), pourquoi avoir choisi de faire de la politique ? De nature, je suis quelqu'un qui souhaite toujours militer pour les bonnes causes. Bien avant, je militais pour le développement du secteur des technologies de l'information et de la communication, notamment au sein du patronat. Après le 14 janvier, comme beaucoup de Tunisiens, je pensais que je devais apporter ma contribution à créer cette nouvelle Tunisie. C'est ainsi que je suis intervenu au sein de l'Utica pour que l'ancien système du patronat change. Et puis depuis mon plus jeune âge, j'avais cette fibre politique, et lorsqu'il y a eu cette dynamique de création de partis, j'observais pour voir s'il y en avait un qui pouvait m'intéresser. Malheureusement, j'en ai pas trouvé, et c'est ainsi qu'aux côtés de quelques autres jeunes cadres, nous avons décidé de créer Afek Tounes, un parti centriste qui vise à donner une autre image de la politique tunisienne. Nous avons quand même réussi à obtenir quatre sièges à la Constituante. « L'Etat ne peut plus accepter des sit-in ou des manifestations aléatoires, désorganisées, et imprévues, sans demande d'autorisation ni quoi que ce soit d'autre ». Parlons économie, il y a 1 million de chômeurs en Tunisie. Que peut faire le patronat pour résorber ce fort taux de chômage ? La première chose à faire est de voir les choses par secteurs. L'Etat peut évidemment créer de l'emploi, mais les chefs d'entreprises sont tout à fait capables de créer de l'emploi, mais seulement avec des conditions et un environnement favorables. Si on arrive à retrouver la sérénité, la paix sociale, il n'y a pas de raisons pour que l'on échoue dans cette mission. Êtes-vous d'accord avec la proposition de Marzouki qui réclame six mois de trêve sociale ? Cette trêve nous la réclamons depuis six mois déjà. L'UGTT avait refusé, défendant le fait que chacun avait le droit de protester. Mais bon, il faut dire qu'on passe par une période très grave économiquement pour la Tunisie, il faut maintenant travailler main dans la main pour relancer la machine. Au niveau du patronat, nous avons présenté un programme économique. A-t-il été pris en compte par le nouveau gouvernement ? Il vient d'être présenté au nouveau gouvernement. Il faut savoir que les différentes Chambres et Fédérations sont continuellement en contact avec le gouvernement. À titre personnel, j'ai récemment été en contact avec le nouveau ministre des Nouvelles technologies de la communication, pour d'abord discuter des dossiers en cours, de la vision du secteur, mais surtout du comment on peut créer de l'emploi dans ce secteur. Et c'est pareil pour les autres fédérations. La Libye peut-elle constituer un débouché pour les entreprises tunisiennes ? Absolument. La Libye est un débouché très important aussi bien pour les entreprises que pour les chômeurs. On commence déjà à parler de 200 000 chômeurs que l'on pourrait employer en Libye. Il y a récemment eu des discussions avec le gouvernement libyen pour discuter de ces échanges. Pour les entreprises, des visites ont été faites. Au sein de l'Utica, nous allons organiser des visites par secteurs. Pour nous, la Libye constitue un marché très important. La Libye a besoin des compétences tunisiennes dans différents domaines, comme la Tunisie a besoin de la Libye en terme de marché et de potentialités d'emploi. Mais bon, encore une fois, là aussi il faut que la sécurité revienne. Je ne pense pas que ce soit encore le moment. Vous parlez de l'insécurité en Libye. Beaucoup de régions en Tunisie souffrent aussi de l'insécurité. Comment s'en sortir ? Maintenant que nous avons un gouvernement provisoire mais surtout légitime, il faut absolument qu'il réinstaure l'autorité de l'Etat. L' Etat doit évidemment rester démocratique mais il doit réinstaurer son autorité, sa dignité, il ne peut plus accepter des sit-in ou des manifestations aléatoires, désorganisées, et imprévues, sans demande d'autorisation ni quoi que ce soit d'autre. Il y a de grands groupes qui commencent à vouloir quitter le pays , à cause de ces sit-in quasi-quotidiens. La limite a malheureusement déjà été dépassée, il faudra immédiatement réinstaurer l'autorité de l'Etat, je n'ai pas encore vu ça concrètement sur le terrain.