Le jeune réalisateur Hicham Lasri secoue actuellement le cinéma marocain en dégainant un film oppressant et stylisé à outrance. Dans The End, il dépeint un monde satirique où la loi du plus fort règne et où les démons ne s'exorcisent que par la violence. Rencontre. Prix spécial du jury au festival de Tanger et Coup de coeur au Festival international du film de Marrakech, The End, premier film de Hicham Lasri, est aujourd'hui en salles. Traversé par des personnages marginaux, il est dénué de musique et totalement désaturé, baignant dans une ambiance satirique et distordue. Jeune réalisateur d'une fraîcheur revigorante, et aux penchants philosophiques mordants, Hicham Lasri dégaine des images lourdes de sens, aussi anxiogènes qu'oppressantes, et décrit son cinéma comme « un cinéma de thérapie où on imprime sur pellicule les choses qu'on ne dit pas à nos mères ». Calme et souriant, Hicham Lasri est pourtant un contestataire-né. Féru de bandes dessinées et réalisateur bien pensant, il déverse ca colère et ses émotions dans son film. The End est un film d'atmosphère. Pourquoi cette ambiance inquiétante ? Parce qu'il y est question d'injustice et de violence historique, sociale et mythologique. Mon film est un film en colère. Il ne dépeint que des marginaux, des outsiders et des gens à la marge. J'y célèbre l'individu. Je veux raconter une fable qui découle de la société et du Maroc, mais qui donne l'impression de venir d'une autre planète, d'où le noir et le blanc. J'y transforme le monde en un village de westernet totalement dépeuplé. Je parle de Casablanca et pourtant personne n'y reconnaît Casablanca. Il faut inscrire l'œuvre dans l'absolu. « J'aime bien ce principe de subversion qui passe par la gratuité. Dans la violence, on ne parle pas, on agit ». Votre film est extrêmement stylisé, comme dans un comic. Pourquoi l'absence de musique et les multiples effets visuels ? Les effets visuels remplacent la musique, et les mouvements de la caméra traduisent le rythme du film. Comment rendre un film angoissant ? Un peu comme faire de la musique sans musique. Contrairement au cinéma marocain habituellement bavard, ma rigueur est celle d'un film peu parlant, où l'absence de musique renforce la distance. Je suis un fétichiste de l'image. Je ne suis pas dans le réalisme social et proche du documentaire, je suis dans le satirique lourd, et la violence désaturée. Les personnages sont étranges et morbides, surtout Mikhi, le héros taciturne. Pourquoi ce choix délibéré ? Pour servir l'histoire qui ne passe pas par le dialogue, il fallait des choix radicaux. Les personnages du film ne sont pas éduqués pour s'exprimer ou communiquer. Ils reçoivent et donnent des baffes et expriment leurs émotions en se frappant. Je parle d'un monde où il n'y a pas d'héroïsme. Dans la réalité, les gens retournent leurs vestes pour leurs propres intérêts. Le personnage de Mikhi ne parle pas, il se laisse faire comme si c'était la seule façon de survivre. Il se fait insulter, tabasser et n'a aucune dignité, c'est une serpillière. Pour gagner en dignité, il faut sacrifier les autres, et passe donc d'anti-héros à traître, de loser à personnage héroïque. C'est une victime et un martyre de la société, alors que les quatre frères sont violents par besoin d'adrénaline. C'est une meute de révolutionnaires sans idéologie. J'aime bien ce principe de subversion qui passe par la gratuité. Dans la violence, on ne parle pas, on agit. Pourquoi la présence récurrente de feu le roi Hassan II ? Dans le film, Hassan II est presque un personnage mythologique. On ne le voit nulle part, mais il est omniprésent, presque comme une divinité. Il représente aussi l'image du père, le père suprême, vu que les personnages sont liés par l'idée du père disparu : les frères dont le père a été assassiné et Mikhi dont le père s'est suicidé. Il y a aussi le partage d'une émotion et du souvenir de sa mort qui me revient souvent, ainsi que le sentiment de désarroi que j'ai observé quand j'étais petit. Il y a une infantilisation palpable dans le film, surtout à travers les personnages en costume ? C'est vrai, le film est peuplé d'enfants turbulents et méchants. Tout est décontestualisé et détourné, et tout réfère à un monde enfantin : les chaînes de Rita qui font constamment du bruit, les soldats par terre qu'il faut écraser, les références au Mac Do et les personnages en costumes de super-héros. Avez-vous réfléchi le thème ou l'habillage de vos futurs projets ? Je suis fluctuant, je ne sais pas quelle sera la prochaine démarche, il n'y a rien de prémédité. Je veux juste être honnête et proche de mes émotions. Je ne cherche pas à me battre, je ne suis pas un militant. Ma vraie guerre est créative. Mes films, je n'ai pas envie de les vendre. J'ai envie de les montrer.