Miloudi ne pouvait pas rater l'événement des élections. Il faut dire que, élevé dans l'idéal démocratique, il prend son rôle d'électeur très au sérieux. Ce vendredi est donc pour une lui un jour de fête solennel, où, muni de sa carte d'identité nouvelle formule, sa carte d'électeur et de la missive que lui a adressée personnellement le ministère de l'Intérieur lui rappelant l'adresse de son bureau de vote, il a décidé de s'acquitter de son devoir avant même d'aller travailler. De ce fait, le devoir accompli, il aurait l'esprit libre pour s'occuper des tâches de la vie quotidienne et pour, arborant son doigt maculé, afficher, avec fierté, son statut de contributeur à l'édification de la démocratie dans son pays. Toutefois, ne pouvant s'empêcher de râler pour un « oui » ou pour un «non », son œil captait à la vitesse de la lumière les innombrables raisons copieusement servies par les circonstances du moment. Ineptie des programmes, dialogues réducteurs, d'un côté, et dénigrement absolu de la part d'une majorité de ses concitoyens qui voient dans tous les candidats des gens malhonnêtes, sans parole et sans vision, d'autre part. Comme dirait l'hajja Milouda, son auguste mère, la vérité est certainement située entre les deux, dans cet immense espace de la diversité humaine où se côtoient les extrêmes et la banalité. Miloudi n'est pas bête. Il observe, avec une acuité particulière, les décalages entre les discours et les faits, ainsi que la position de ses compatriotes dont la contribution se réduit au dénigrement de n'importe quelle proposition. Parmi les milliards de choses qui ont fait râler notre Miloudi national, ces voitures qui sillonnent la ville en se délestant de paquets de feuillets à la couleur de leur parti. Outre le fait que pas un seul Marocain ne daignerait s'abaisser – au sens propre comme au sens figuré – pour ramasser ces papiers qui jonchent les rues, le côté intrusif, salissant, polluant, agressif de tels actes lui donnerait davantage envie de faire manger cette cellulose à ceux qui la gâchent qu'à leur accorder sa voix. Quant à la sienne, Miloudi a fait son choix en son âme et conscience, dans le secret de l'isoloir…