Pendant que les élections peinent à mobiliser, les acteurs qui s'inscrivent dans la durée continuent de travailler, parce que les échéances ne sont pas calées sur le calendrier électoral. L'Agence marocaine pour le développement des investissements (AMDI) s'est rendue en Turquie pour défendre l'attractivité du Maroc auprès des opérateurs d'un pays qui a le vent en poupe. La Turquie est un pays incontournable pour le Maroc, notamment dans la construction d'un espace Sud-Sud harmonieux. Avec une population de 75 millions de personnes, dont les deux tiers sont des citadins, un PNB qui a triplé entre 2000 et 2010 et une croissance économique de près de 8%, les atouts d'Ankara sont multiples. Grâce à l'accord de libre-échange signé en 2006, les échanges entre les deux pays ont certes progressé, mais davantage au profit des exportateurs turcs que des opérateurs marocains. Pour un dollar exporté, c'est presque 4 dollars que le Maroc importe en provenance de Turquie. C'est pour remédier à cela, entre autres, que l'AMDI a organisé son roadshow pour expliquer l'environnement des affaires local. Avec à peine une cinquantaine d'entreprises installées au Maroc, le défi était de présenter les atouts de notre pays dans une opération de séduction rondement menée. European free zone A une centaine de kilomètres à l'ouest d'Istanbul et à une centaine de kilomètres des frontières grecques et bulgares, la European Free Zone, construite en 1999, accueille plus de 200 entreprises, dont HP, Foxconn – pour la partie informatique – ou Polyplex, l'un des leaders indiens mondiaux du film polyester, Bekaert le géant mondial du textile. Le chiffre d'affaires de la zone pour 2010 est de 1,5 milliards de dollars. Avec une politique fiscale attractive (zero taxe sur le revenu et les salaires pour les entreprises qui exportent plus de 85% de leur production pour une durée de 15 à 45 ans renouvelable), ce projet privé, à l'image des 18 autres zones que compte le pays, fait preuve d'une agressivité commerciale unique pour attirer le maximum d'investisseurs travaillant avec l'Europe. Sijilmassi fathallah, la coordination d'abord Pour le directeur général de l'AMDI, la taille de son équipe est suffisante, parce que la vocation de l'Agence n'est pas de devenir une bureaucratie lourde mais de travailler en intelligence avec les autres instances de promotion du Maroc, en soulignant la perte d'efficacité qu'implique l'absence de synergies. Rappelant qu'un projet complet avait été proposé dans ce sens par Driss Guerraoui, sous le gouvernement Youssoufi, et qu'un autre avait failli voir le jour sous le gouvernement Jettou, Sijilmassi appelle au minimum à la création d'un comité de coordination pour optimiser les efforts. Tekfen, une success story discrète Le nom n'est pas connu du grand public, pourtant Tekfen emploie 1200 personnes au Maroc, dont plus de 80% de nationaux, contre 50% au démarrage et gère un flux d'environ 600 millions de dollars, à travers deux branches d'activité. Ayant abordé le Maroc par le volet agricole sous sa marque Toros, notamment avec une expérience qui s'est révélée positive, le groupe continue son expansion depuis plus de 25 ans. Etroitement associé à l'OCP, en tant que client dans un premier temps, Tekfen remporte le projet de construction du pipeline entre Benguerir et Jorf Lasfar. Pour Osman Birgili, son vice-président, le Maroc dispose de nombreux atouts aussi bien au niveau de la qualité de la force de travail que des chantiers lancés. En effet, avant le contrat avec l'OCP, Tekfen a réalisé l'autoroute de Tanger et travaille étroitement avec la SAMIR dont elle construit les extensions.La montée en charge progressive a permis a Tekfen de comprendre et de maîtriser le marché marocain. Pour Osman Birgili, le Maroc est aussi la porte idéale vers l'Afrique subsaharienne. Revenant sur quelques gros succès, comme le projet de Renault à Tanger ou le dernier contrat signé avec Bombardier, Sijilmassi souhaite promouvoir un nouvel indicateur pour compléter celui relatif aux investissements directs étrangers (IDE) calculés essentiellement selon les flux enregistrés par l'Office des changes. Soulignant que ces contrats très complexes, faisaient intervenir des acteurs institutionnels comme la CDG dans le cadre du projet Renault, sans que cette contribution soit visible selon les chiffres de l'Office des changes. S'inspirant de pratiques d'autres pays, Sijilmassi propose de bâtir un indicateur tenant compte du nombre de projets et du nombre d'emplois créés. Les devises n'étant qu'un indicateur parmi les autres. Souhaitant mettre à profit la perception du Maroc par ses partenaires internationaux et les atouts du pays, Sijilmassi désire également que les objectifs fixés soient à la hauteur des ambitions, fortes et réalistes. Une mentalité plus combattive Divisant les flux habituels en trois catégories : les pays qui attirent moins de 10 milliards de dollars d'IDE, parmi lesquels le Maroc, avec une enveloppe variant entre 3 et 4 milliards annuels ; les pays qui attirent des flux entre 10 et 30 milliards et, en dernier lieu, ceux qui attirent des montants supérieurs à 30 milliards, essentiellement des pays de l'OCDE ou des BRIC, il pense que l'objectif des promoteurs de la destination Maroc devrait être de changer de catégorie et de courtiser les investissements entre 10 et 30 milliards. Ce qui passe par des efforts de coordination, mais aussi par une mentalité plus combattive ! Parmi les freins soulevés par le directeur général de l'AMDI, l'urgence de simplifier les procédures et d'améliorer substantiellement l'environnement des affaires. L'INTERVIEW DE … Safae Sijilmasi Idrissi, chef du service de coopération de l'AMDI « Notre but premier est d'attirer des investisseurs au Maroc » Derrière cet acronyme, ce sont une centaine d'hommes et de femmes, et comme le souligne son directeur général Fathallah Sijilmassi, la parité est assurée. Avec 90 % de cadres, dont les deux tiers sont issus d'écoles ou d'universités marocaines, cinq bureaux de représentation à Paris, Francfort, Rome, New York et Madrid plus trois autres prévus, huit langues maîtrisées, une moyenne d'âge de 34 ans, l'AMDI est un exemple probant de l'attractivité du secteur public notamment pour des compétences à qui elle sert de tremplin. Le budget de l'AMDI, autour de 150 millions de dirhams, et sa taille en font un acteur respectable. A titre comparatif, son homologue turc ISPAT compte également une centaine de collaborateurs. Quel est l'objectif de cette mission ? Notre objectif est de développer la coopération avec nos partenaires turcs, notamment ISPAT (Invest in Turkey) et Deik, le Conseil des relations extérieures de la Turquie, une association d'hommes d'affaires turcs où siègent les conseils d'affaires. Cela s'est traduit par la signature d'une convention avec Ispat pour faciliter l'échange d'informations et le partage d'expériences. Nous cherchons, en premier lieu, à apprendre les best practices, en termes de promotion d'investissements. ISPAT qui n'a que deux ans de plus que l'AMDI fait partie des meilleures agences au niveau mondial, selon le dernier classement de la Banque mondiale. Pourquoi la Turquie ? La Turquie est aujourd'hui 15ème économie mondiale intégrée au groupe BRIC des économies émergentes avec un taux annuel de croissance de 8% en 2010. Selon, l'OCDE, la Turquie devrait ainsi rester dans le trio de tête des économies à plus forte croissance, au moins jusqu'en 2017. Les investisseurs turcs aujourd'hui se tournent vers les économies périphériques des pays voisins d'Afrique du Nord et du Proche Orient avec lesquels des accords de libre échange ont été signés (le Maroc en 2004, l'Egypte et la Syrie en 2007, la Jordanie et le Liban en 2010). D'après une étude de 2009 de DEIK, le Conseil des Relations Extérieures de la Turquie, auprès de 19 multinationales turques, ces dernières détenaient 31 milliards de dollars d'actifs à l'étranger et comptaient 396 filiales étrangères réparties entre 8 secteurs différents. Pour notre part, nous pouvons œuvrer avec nos partenaires turcs pour faire du Maroc la porte d'entrée vers l'Afrique subsaharienne et l'Europe de l'Ouest. A ce titre, l'accord de libre-échange avec la Turquie est un atout considérable tout comme le statut avancé auprès de l'Europe ou les autres ALE, dont le Maroc, est signataire. Qui forme la délégation marocaine ? Essentiellement des représentants institutionnels. Hakim Tazi de l'Agence de developpement agricole parlera du plan Maroc Vert et des opportunités qu'il offre, Mohamed Ouzif parlera du secteur automobile à travers l'expérience de Renault à Tanger et des équipementiers qui exportent déjà pour près d'un milliard d'euros et un bassin d'emploi d'environ 45 000 postes. TangerMed sera présentée par Omar Chaïb et, enfin, le secteur textile sera représenté par M. Mohamed Alaoui, au nom de l'AMITH. Le choix de ces secteurs a bien entendu été dicté par les attentes et des opportunités relevées du côté turc. Il existe plusieurs outils de promotion du Maroc, quelle est la spécificité de l'AMDI ? Notre but premier est d'attirer des investisseurs au Maroc, pour créer des emplois et assurer des transferts de technologie. Cette opération se situe dans un cadre plus global. Avec une soixantaine de missions organisées par an, la coopération est un outil en amont, qui aide à détecter les opportunités les plus intéressantes. Nous venons, par exemple, de signer une convention avec l'ITHA, notre alter ego hongrois en partenariat avec le conseil des affaires maroco-hongrois, une autre avec CIPA, l'agence chinoise de promotion des investissements. Par ailleurs, nous participons, avec le CNEA, à l'élaboration de la charte de l'investissement qui sera dévoilée d'ici la fin du mois de décembre. Enfin, nous organisons une grande conférence les 22 et 23 mars prochains à Rabat, la Moroccan Investment Conference.