Les autorités internationales de lutte contre la corruption sont unanimes sur la nécessité de coordonner les efforts entre Etats pour détecter, geler puis récupérer les avoirs acquis de manière illicite. Menacés, les corrompus ne dormiront plus à poings fermés. Le temps d'un week-end, le Palmeraie Golf Palace de Marrakech a pris les allures d'une vraie forteresse et ses abords étaient gardés par des dizaines d'agents des différents services de sécurité. Et pour cause : le lieu abritait, les 22 et 23 octobre, les travaux de la 5e conférence annuelle et l'Assemblée générale de l'association internationale des autorités de lutte contre la corruption (IAACA). Pas moins de 400 personnes représentant 90 pays ont fait le déplacement pour assister à cette rencontre d'envergure planétaire. Parmi eux, des procureurs généraux, des enquêteurs et des experts dans la lutte contre la corruption et la criminalité. La thématique principale de l'événement était consacrée aux mesures et mécanismes pour la récupération, à travers le monde, des avoirs acquis de manière illicite (Asset recovery), contenue dans le chapitre V de la Convention des Nations Unies de lutte contre la corruption (CNUCC) : « Si la CNUCC a pour premier objectif de renforcer la coopération entre Etats, les politiques de ces derniers en matière de lutte contre la corruption doivent être plus volontaristes », explique Abdeslam Aboudrar, président de l'Instance centrale de prévention de la corruption, érigée depuis la nouvelle Constitution en instance nationale de prévention et de lutte contre ce fléau. 40 milliards de dollars par an En effet, si les Etats ont ratifié la CNUCC, cette dernière resterait un document de bonne intention si des mécanismes de surveillance, de traque et de confiscation ne sont pas menés de concert dans le cadre d'une coopération transfrontalière, comme l'explique Dimitri Vlassis, représentant du secrétaire général de l'ONU et chef de la branche de lutte contre la corruption et la criminalité économique à l'ONUDC (Bureau des Nations Unies contre la drogue et la criminalité). «Il faut apporter une assistance aux Etats qui le demandent pour combattre la corruption transfrontalière et déloger les criminels là où ils se trouvent. Mais, dans le respect de la souveraineté de chaque Etat », a déclaré pour sa part, le Pr. Coo Jianming, procureur du Parquet populaire suprême de Chine, sur ce ton familier chez les magistrats de haut rang. Son compatriote, Dr. Timothy Tong Hin-ming, commissaire de la Commission indépendante contre la corruption dans la région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong, explique dans le détail que cette région a pu récupérer, entre 1996 et 2011, l'équivalent de 5 milliards de dollars en avoirs illicites. Une goutte dans un océan, comparés aux 40 milliards de dollars détournés chaque année par des agents et fonctionnaires publics dans les pays en développement. Pour remédier à la prolifération du fléau, certains pays ont été plus originaux que d'autres. Tar Sri Abdul Gani Patail, Procureur général en Malaisie apporte l'exemple d'une expérience qui aurait donné ses fruits : « Nous avons augmenté de 15 % les taxes douanières avec pour objectif d'enrichir l'Etat et d'appauvrir les criminels et les corrompus ». Plus soucieux, Dr. G. Hoseah, directeur général de la prévention et lutte contre la corruption en Tanzanie, n'hésite pas à soulever la problématique de la nature des fonds investis par des prometteurs étrangers. Un des experts présents samedi à un atelier sur l'Asset recovery, nous a confié que certains gouvernements ferment encore l'œil sur la provenance de fonds étrangers « suspects », destinés à des projets qui pourraient substantiellement mettre à profit le pays hôte. Alors, comment récupérer les avoirs acquis de manière illicite par des agents publics et transférés vers des pays tiers ? Théoriquement, la coopération entre Etats parties de la CNUCC permettrait certainement de dépasser l'énorme gap entre la fermeté des textes de la convention et leur application sur le terrain. Toutefois, comme l'explique Basile G. Elombat, vice-président de l'Association internationale des procureurs, « cette lutte serait vaine si les avoirs ne sont pas récupérés. Les recouvrements devraient également être opérés dans le cadre de procédures civiles, et non seulement à travers des procès pénaux ». StAR, le cauchemar des corrompus Reste le problème de la traçabilité des fonds, liée essentiellement aux jurisprudences et aux lois bancaires propres à chaque Etat. Sur ce volet et à la demande des Etats, c'est la Banque mondiale, Interpol et l'ONUDC qui interviennent à travers deux instruments qui ont montré ou qui montreront certainement leur efficacité. Le premier, l'Initiative pour le recouvrement des avoirs volés (StAR, ou Stolen asset recovery) est une force de frappe qui a notamment intervenu sur demande des démocraties en transition (Tunisie, Egypte et Libye), comme l'explique Lindy Muzili, représentant StAR. Grâce à cette initiative, des fonds de dirigeants en fuite ont été détectés puis gelés en un temps record . « Les comptes sécurisés dans des banques étrangères nous posent toujours problème : localisation difficile, comptes anonymes… La rue égyptienne appelle aujourd'hui au recouvrement des capitaux subtilisés par d'ancien dirigeants », a annoncé à ce propos Adel Fahmey, ministre adjoint de la Justice de la République égyptienne. Track, le deuxièmement outil, a été confectionné de bout en bout par la CNUCD et permet l'échange d'informations entre experts dans la lutte contre la corruption. Serait-ce suffisant ? Jean-Louis Nadal, procureur général près de la Cour de cassation en France donne un avis à la fois sobre et pragmatique découlant certainement des ses quarante-quatre années d'expérience. « Cette lutte contre la corruption doit d'abord se reposer sur la qualité des hommes qui la mènent. Qu'ils soient à l'abri de l'immixtion du pouvoir politique dans cette tâche ardue. Et puis, un juge seul n'est rien ».