Une étude, publiée la semaine dernière, met en avant l'intensification des pratiques religieuses des habitants des banlieues françaises. Six ans après les émeutes de 2005, et malgré des programmes de rénovation urbaine, les habitants se sentent toujours « relégués », dans une République française en perte de vitesse. La question des banlieues est quasi absente du discours des candidats à la présidentielle de 2012. Et pourtant, six ans après les émeutes de l'automne 2005, que sont devenues les « banlieues de la République » ? Pour tenter d'y répondre, une équipe de chercheurs s'est immergée pendant un an à Clichy- sous-Bois et Montfermeil, en Seine- Saint-Denis, épicentre de la crise de 2005. Menant des entretiens avec une centaine d'habitants de juillet 2010 à juillet 2011, ils les ont interrogés sur toutes les dimensions de leur vie quotidienne : éducation, emploi, logement, politique, sécurité, religion. Autant de nœuds qui mettent en lumière la perte de vitesse des idées laïques et républicaines dans ces quartiers, et le renforcement de l'Islam. Islam et relégation La religion est ce qui « fait société » aujourd'hui, note le rapport. Cela se traduit notamment par un développement du halal, dans l'alimentaire mais aussi dans la vie privée et sociale, ainsi que par une hausse de la fréquentation des mosquées. Autre signe du renforcement du référent religieux : la baisse des mariages mixtes au profit des mariages communautaires. « Se référer à un registre lié à l'Islam, c'est une façon pour eux de retrouver une identité positive, qui donne du sens à un monde où tout part un peu de travers », expliquait sur Europe 1 Leyla Arslan, une coordinatrice de l'enquête. Pour Gilles Kepel, politologue à la tête de cette enquête, l'Islam a surtout fourni « une compensation » au sentiment d'indignité sociale, politique et économique. L'intensification des pratiques religieuses a été favorisée par le sentiment de mise à l'écart. « Le sentiment dominant reste celui d'une relégation », estime Gilles Kepel. « Du béton à l'humain » Et pourtant, depuis les émeutes de 2005, les quartiers ont changé. Un plan de rénovation urbaine a bien eu lieu. En tout, ce sont 40 milliards d'euros qui ont été injectés, dont 600 millions pour les seules agglomérations de Clichy- sous -Bois et Montfermeil. Les habitants perçoivent un changement. Mais cela ne suffit pas. Les nouveaux bâtis ne suffisent pas à assurer la cohésion et le développement des quartiers. Les politiques publiques doivent « passer du béton à l'humain », estime Gilles Kepel. La logique d'enfermement et du communautarisme persiste, surfant sur un chômage des jeunes très important et un enclavement causé par la médiocre desserte des transports en commun. A Clichy -sous-Bois, le taux de chômage atteint les 22.7%, contre 11% en Ile-de-France. Selon le rapport, l'accent doit être mis sur l'éducation, et particulièrement sur la petite enfance, pour résoudre le cœur du problème : l'emploi. L'étude, réalisée par l'Institut Montaigne sur deux villes emblématiques, invite à la réflexion à un moment qui n'est pas anodin. A quelques mois de la présidentielle, l'Institut entend inciter ainsi à des politiques plus ambitieuses. C'est un « impératif moral, politique et économique », estime l'équipe de chercheurs. Selon le rapport, il est nécessaire de « rendre la parole à des individus dont la plupart sont des citoyens français, mais dont la voix porte peu, étouffée par le discours que tiennent sur les banlieues ceux qui se prévalent d'autorité ». Plus qu'en marge, la banlieue doit s'inscrire au centre du débat politique français. Les causes des émeutes de 2005 Les violences d'octobre 2005 ont éclaté suite à la mort de deux jeunes, poursuivis par la police, le 27 octobre 2005. Mais un deuxième événement, moins connu, a véritablement fait monter en puissance les émeutes, remarque le rapport. « Ce qui a tout fait dynamiter en 2005, c'est l'agression de la mosquée », raconte Nasser, 33 ans. Trois jours après la mort des deux jeunes, une grenade lacrymogène lancée par la police a asphyxié des adultes, venus prier en plein Ramadan dans la mosquée Bilal, de Clichy-sous-Bois.