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L'âme baroudeuse de Carolle Benitah
Publié dans Le Soir Echos le 06 - 10 - 2011

Venue de France exposer à Marrakech Art Fair 2011, Carolle Benitah, ex styliste originaire du Maroc, s'exprime par le vécu, l'intime et aborde la photographie d'un œil analytique et rétrospectif. Rencontre avec une femme qui se promène dans les dédales du passé.
Née au Maroc, Carolle Benitah se convertit du stylisme à la photographie à la suite d'une série de drames personnels. En prenant une année sabbatique, Carolle Benitah brouille les cartes et entreprend de repenser ses orientations. Se détachant de sa carrière de styliste, elle embrasse une vocation de capteuse d'images.
Ses photographies sont une ode au mental, aux vérités individuelles et aux âmes dénudées. Son vécu, elle le partage sans fioritures, s'exprimant par autoportraits et fragments du quotidien. En revisitant des bribes de sa vie, elle s'abandonne à la perception du moment et exorcise ses émotions, quelque part entre le passé et le présent, entre la mémoire et sa reconstruction.
Pour Marrakech Art Fair, elle s'est penchée sur le thème de l'enfance, réalisant des photographies autobiographiques et des objets méditatifs percés de fil rouge. Discussion avec une femme d'une transparence exceptionnelle.
Votre récent album s'articule autour de la mémoire et de l'enfance. Quel rapport avez-vous avec cette période de votre vie ?
Le passé n'est pas figé, et j'ai voulu traduire cette notion dans mes photographies. L'homme ne jette pas le même regard sur les photos tout au long de sa vie. Il les regarde avec le temps qui passe. J'ai vécu des choses difficiles, et j'ai senti le besoin d'interroger la mémoire de l'enfance. J'ai fouillé dans les boîtes à chaussures, et j'ai récupéré les photos de mon passé. Les images pour moi, c'est la matrice, et y toucher serait un acte de violence. Elles sont sacrées tout comme les négatifs que je ne sors jamais de chez moi.
Quelle est l'importance du fil rouge dans vos photographies et vos installations ?
Ce fil me conduit vers des émotions et vers ma propre vérité. Avec ce médium, je perce le papier jusqu'à chasser mes démons. Quand j'utilise ce fil, il se passe quelque chose qui connote une certaine violence. Quand je collecte les photos, je les numérise ; je les recadre parfois ; je les regarde, et je traduis mes émotions. C'est un travail de révélation.
C'est aussi une métaphore de construction de soi qui démontre un certain sens du travail, un rituel de guérison où le temps prend une proportion thérapeutique.
D'autre part, c'est mon rapport à mon pays ; je suis née au Maroc, où apprendre à broder est un signe de bonne éducation. Je me sers du fil quelque part pour dénoncer les travers de mon milieu, et je pervertis un peu le propos. Le fil représente aussi mon rapport à mon métier précédent, le stylisme.
Pourquoi ce fil a-t-il toujours une couleur rouge ?
C'est la couleur des émotions violentes, de la colère, de l'exacerbé.
Dans mon travail, j'attribue un code couleur à chaque période, dont le rouge pour l'enfance. Pour moi, l'enfance n'est pas Disneyland. Dans l'enfance, les petits évènements prennent de grandes proportions parce que l'enfant n'a pas de filtre pour recevoir la réalité et n'est pas apte à se défendre, d'où cette couleur intense.
L'adolescence est symbolisée par le noir et est étroitement liée à l'angoisse, tandis que le doré renvoie à l'âge adulte et aux liens affectifs, entre mariage et maternité.
«Quand j'utilise le fil rouge (ci-dessous), il se passe quelque chose qui connote une certaine violence». Photos Paola FRANGIEH
Vous vous êtes photographiée pendant votre maladie, tous les jours. Quel effet cela fait-il de partager l'intime ?
Je photographie plus l'expérience de vie que l'intimité, et je travaille sur ma propre histoire. Quand j'ai photographié mon corps fragmenté et flou pendant que j'avais cette maladie, c'était comme pour m'entraîner à disparaître, parce que la fin est inéluctable.
Je me photographiais tous les jours dans l'endroit où je dormais et je captais des moments du quotidien, comme dans un journal intime, comme une impression mentale. C'était une nécessité et une façon d'exister.
Pourquoi avoir opéré une mutation professionnelle ? Du stylisme à la photographie ?
Il y a quelques années, j'ai décidé de prendre une année sabbatique à la suite d'une remise en question personnelle très forte.
Je m'interrogeais sur mon métier, sur ma fonction de mère, ma séparation avec le père de mon fils. C'est à ce moment là que j'ai commencé à me documenter sur la vie que j'avais avec mon fils et sur le passage de l'enfance à l'adolescence. J'ai commencé à travailler par série, sur l'expérience de vie, la famille et le temps qui passe. Ce sont mes domaines de prédilection.
Vous résidez en France et vous exposez au Maroc dans le cadre de la Galerie 127, basée à Marrakech. Quelles sont vos prochaines activités ?
Après plusieurs collaborations avec Galerie 127, dont Paris photo, Photo Med, Marrakech Art Fair, nous préparons une exposition personnelle en 2012, où nous présenterons l'enfance en installations. Une exposition dont trois éléments ont été exposés à Marrakech Art Fair.


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