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Fernando Pessoa au fil des Contes, fables et autres fictions
Publié dans Le Soir Echos le 30 - 08 - 2011

C'est une chose que savent quelques centaines de milliers de lecteurs à travers le monde : il y a Fernando Pessoa et tous les autres ; pas seulement ces hétéronymes dont il a conçu l'œuvre et nourri l'existence, mais tous les autres écrivains de tous les rayonnages de la bibliothèque universelle. Pessoa (1888-1935) est un écrivain qui défie l'imagination des lecteurs en leur imposant de pratiquer ce que José Gil a pu appeler «la métaphysique des sensations.»
Pour la quinzième fois, les éditions de la Différence dont le fondateur Joaquim Vital, tout portugais qu'il fût se révéla le meilleur ami parisien de la littérature marocaine, remettent le couvert pour que nous savourions l'œuvre protéiforme de Fernando Pessoa en publiant Contes, fables et autres fictions dans une traduction de Parcido Gonçalves.
La gloire posthume de Pessao dont le nom signifie « personne» est mieux établie que jamais. L'auteur du Livre de L'intranquillité (aux éditions Christian Bourgois) a conquis des esprits exigeants mais rêveurs qui le retrouveront avec émotion et amusement dans ces Contes, fables et autres fictions car Fernando Pessoa ressemble à une chorale en répétition permanente et d'où s'échappent, tels des perroquets vengeurs, de tendres ou narquoises mélodies.
Qu'on en juge avec les aphorismes que l'on peut découper dans le texte car – comme Teresa Rita Lopes l'indique en préface des Contes fables et autres fictions : l'indifférence de Pessoa aux genres littéraires, qui place côte à côte, dans un même volume, des poèmes et des contes dont le lien est d'être tous produits par le même «découpeur de paradoxes» – et ces aphorismes travaillent à déstabiliser le sophiste qui veille en chacun de nous : «L'âme des gens est une chose sale, écrit Pessoa, et heureusement que l'âme n'a pas d'odeur.» Le conte finira mal.
Sociologue, Pessoa ? Voyons quelques unes de ses allégations : «L'homme, parce qu'il est doté d'intelligence, est un animal auquel toute activité répugne.» Et le chômage, dans tout ça ? «Tout secours aux chômeurs, en tant que mouvement humanitaire, est, à l'instar de tant d'autres mouvements humanitaires, un crime social, parce qu'il représente une violation de la loi essentielle de la réduction à l'esclavage de ce qui est apte au travail.» Sous le drapé nerveux de la raillerie, la révolte le dispute à une immense mélancolie surmontée comme on se noierait : «J'ai décidé de tenter l'expérience par moi-même. J'ai constaté que le mendiant est le seul homme véritablement libre, puisqu'il dépend de la charité humaine et non de l'oppression humaine, de l'homme qui renonce et non de celui qui s'impose.»
S'adressant au Président d'un tribunal fantôme, l'accusé auquel Fernando Pessoa prête son éloquence déclame : «Je vais de porte en porte, accompagné de la vérité, et le mensonge me donne son pain et son vin. (…) Je souffre de la chaleur et du froid, mais ne subis pas, comme les bœufs humains, le poids du joug économique et politique. Je me suis dépouillé de la méchanceté et de la bonté, et mon cœur, libéré, chante.»
Une brochette d'assassins de l'illusion ou une kyrielle d'assassins illusoires ? On ne sait trop, au juste, qui sont les étranges forcenés de la lucidité revendiquée comme un renoncement à tout, sauf au chapardage. Certaines fables sont, cependant, d'apaisantes ressources pour le lecteur avide de sérénité : «Finalement, n'ayant pas d'autre solution, elle brode de mémoire la rose qu'on avait exigée d'elle. Après l'avoir brodée elle s'en alla la comparer aux roses qui existent réellement dans les roseraies. Et voilà que toutes les roses blanches ressemblaient exactement à la rose qu'elle avait brodée…»
Mais tous les livres ne ressemblent pas à ceux de Fernando Pessoa. En ces temps de crise, tant promise, on recommandera la lecture du Banquier anarchiste que Joaquim Vital traduisit en 1983 et qui en est à sa sixième édition.
La première des Lettres sans destinataires qui ferment ce volume de Contes, fables et autres fictions où l'âne agit comme le ferait un homme, s'ouvre sur cette phrase : «Ainsi puisses-tu comprendre ton devoir d'être le pur rêve d'un rêveur.» A peu près l'idée que je me fais de toi, benoit lecteur…


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