C'est un petit livre délicieux au titre prometteur pour tous ceux qui s'intéressent à la littérature. Le nom de l'auteur n'apparait qu'à l'intérieur du volume que Massin publie aux Typographies expressives en hommage au fondateur des éditions Gallimard, Gaston pour ses auteurs et ses employés. Un texte où le respect et une forme de tendresse se rencontrent comme cela arrive rarement. La vie de Gaston Gallimard, cet homme amoureux de littérature et passionné de peinture aura marqué la culture européenne et mondiale de telle manière que, depuis sa mort en 1975, on s'étonnait que le 5 de la rue Sébastien-Bottin, siège des éditions Gallimard, ne se changeait pas en 5 de la rue Gaston-Gallimard. Ce sera chose enfin faite le 15 juin. Une exposition à la Bibliothèque nationale de France retrace les cent ans de Gallimard et est visitée actuellement par des milliers de curieux. En cent ans, les éditions Gallimard ont remporté 35 fois le Prix Goncourt, mais s'il existait un Prix du souvenir affectueux, il couronnerait le savoureux témoignage de Massin Du côté de Gaston (Gallimard). Des photographies de l'éditeur visitant une exposition du peintre Pierre Bonnard ferment le petit volume concocté par Massin. C'est que Gaston était le fils d'un grand collectionneur, Paul Gallimard, dont Massin rappelle que «non seulement, il possédait des Greco et des Delacroix, mais ayant lié connaissance avec les impressionnistes, il leur achetait leurs tableaux dans le même temps qu'il leur tenait table ouverte ou les invitait en Normandie, (…), où Gaston, enfant, pouvait voir une domestique interdire à Renoir (qui voulait dessiner des fruits déposés sur la table) l'entrée de la cuisine, sous le prétexte qu'il avait de la boue à ses souliers». La pianiste Misia Sert que le père de l'écrivain Paul Morand (l'auteur d'Hécate et les chiens qui se passe à Tanger) décrivait comme «une belle panthère, impérieuse, sanguinaire et futile» avait offert à Gaston un tableau de Bonnard. « le lendemain, racontait-il à Massin, je l'avais revendu». Et l'auteur de Du côté de chez Gaston (Gallimard) nous fournit la clé de cet empressement étrange à se défaire d'un tableau qui le fascinait : «Mysoginie ?» se demande Massin. «Non. Mépris de la peinture ? Pas davantage. Mais toujours, avant tout, l'attraction des livres et de la littérature». Or éditer coûte avant d'éventuellement rapporter ! C'est la passion pour l'édition littéraire qui anima Gaston Gallimard. Massin n'en a pas été que le témoin ou le rapporteur ému et émouvant. Comme directeur artistique de «la grande Maison»,il s'attacha à “maintenir-restaurer-innover. Un exemple stupéfiant de cette capacité innovatrice ? Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau, ouvrage paru en 1961 et qui «permet à tout un chacun de composer à volonté cent mille milliards de sonnets». La poésie combinatoire était née ; Massin, graphiste toujours disposé à mettre la main à la pâte lorsqu'il s'agit de surprendre et de faire rêver n'a pas seulement contribué à l'expressivité maximale de l'ouvrage le plus improbable en apparence que l'on doive à Queneau, il a aussi donné de La Cantatrice chauve de Ionesco une interprétation typographique inoubliable. Car avec Massin, la lettre devient musique. Si l'on écrivait un Du côté de chez Massin, il faudrait aborder ses romans et son livre sur les commerces ambulants et les petits métiers, lui qui a fait de l'art du metteur en page un grand métier au service des poètes et des romanciers. On n'en aurait pas fini avec ce diable d'homme qui a publié en 2008 un Lexique du parler populaire parisien d'antan ! Au fond, nul que mieux que Massin ne pouvait rendre hommage au fondateur des éditions Gallimard, lui qui, comme il l'explique dans Du côté de chez Gaston (Gallimard), entreprit de «redresser» le monogramme nrf, blason des éditons issues de La Nouvelle Revue Française (aujourd'hui trimestrielle et où il arriva, il y a quelques années, qu'on puisse lire, ensemble, Abdelmajid Benjelloun, Mohammed Khair-Eddine et quelques autres poètes marocaines). On quitte (à regret) Du côté de chez Gaston (Gallimard), vraie pépite d'or enfouie au milieu des cent (mille milliards ?) d'hommages saluant le centième anniversaire de la fondation des éditions Gallimard. Massin nous laisse, pour cette fois, sur une anecdote que lui conta l'écrivain Roger Nimier. Gaston Gallimard ayant frappé à la porte du bureau de Nimier surprend celui-ci en conversation avec l'actrice Jeanne Moreau. Il s'excuse et part, «après avoir refermé la porte discrètement. – Savez-vous qui c'était ? demanda Roger ?» Vu l'heure tardive, Jeanne Moreau répondit : « le concierge, évidement. – Non, vous avez tout faux. C'était Gaston Gallimard». L'homme qui mit une sorte de génie à publier les écrivains majeurs de son siècle, Marcel Proust mais aussi James Joyce, quitte à gagner, quelquefois, plus d'argent en éditant quelques faiseurs et quelques faisans. Gaston Gallimard, lui, était du côté de la note juste. C'est sans doute pourquoi Massin et lui purent s'entendre.