Celles et ceux qui n'ont pas encore visité la tombe de Toutankhamon, dans la Vallée des rois, ont intérêt à se dépêcher. Les autorités archéologiques égyptiennes viennent d'annoncer leur décision de la fermer à la fin de l'année. En cause, l'« érosion touristique » : humidité, haleine, transpiration, lumière des flashs (interdits sur le papier mais toujours possibles moyennant bakchich). A la place, un fac-similé de très grande résolution est en cours de réalisation. Une société madrilène spécialisée dans les reproductions d'ouvrages d'art en danger y travaille depuis 2009 ; la conception du projet avait été confiée à des universitaires suisses. Les prochaines élections présidentielles égyptiennes devront avoir lieu en septembre prochain. Que compte faire l'octogénaire Hosni Moubarak, né quatre ans seulement après la découverte de la tombe de Toutankhamon ? Se croira-t-il, à 83 ans, suffisamment imperméable à l'érosion politique, ou tout simplement à l'érosion du temps, pour annoncer sa candidature et briguer un sixième mandat ? Ou, au contraire, se contentera-t-il d'offrir à son peuple un fac-similé haute définition de son régime, en la personne de son fils Jamal ? Et qui l'y aidera ? L'Europe ? les Etats-Unis ? L'Histoire retiendra que la première Révolution réussie du monde arabe a eu lieu dans le pays le moins hostile à la laïcité. Ce n'est sans doute pas un hasard. Depuis le « 14 janvier » tunisien, l'Egypte a connu cinq tentatives de suicide par le feu. Ahmed Hachem Al Sayyed n'a pas survécu à ses brûlures. Ce chômeur de 25 ans, mort le 18 janvier dans un hôpital d'Alexandrie, a été présenté par les services de sécurité comme « déficient mental ». Bien sûr. Comme s'il y avait là une excuse ! Comme si, d'ailleurs, il n'y avait pas de quoi devenir fou, pour plusieurs générations successives, dans un pays sous état quasi-continu d'urgence, depuis 1967 ! Pour l'instant, les 80 millions d'Egyptiens n'ont pas l'air de s'émouvoir outre mesure de ces immolations. Il est même à craindre que là où les Tunisiens ont perçu un geste de désespoir héroïque, les Egyptiens ne voient, au mieux, conformément au récit officiel, qu'un « cas isolé » de folie peu glorieux, et au pire, un acte « mécréant » inspiré par « Satan », « un grand péché qui condamne au feu de l'enfer ». Toujours fidèles aux régimes dictatoriaux qu'elles soutiennent, les « autorités religieuses » marquent le coup à leur manière. Communiqué de presse d'Al-Azhar, du 18 janvier : « L'islam interdit catégoriquement le suicide sous quelque raison que ce soit et ne permet pas de se séparer de son corps pour exprimer un malaise, une colère ou une protestation ». De son côté, le grand mufti d'Arabie Saoudite se sent également obligé d'ouvrir sa bouche : « Il ne faut pas que ce crime se propage, et le musulman ne doit pas avoir recours à un tel acte, qui est considéré comme un suicide et qui ternit l'image des musulmans ». Ternir l'image des musulmans ?! C'est tout ce qui vous préoccupe ? Et d'abord, monsieur, accueillir Ben Ali, ça ternit l'image de qui ? L'Histoire retiendra que la première Révolution réussie du monde arabe a eu lieu dans le pays le moins hostile à la laïcité. Ce n'est sans doute pas un hasard. L'espoir est-il permis ? Peut-on croire à un changement positif, avant même septembre 2011 ? L'haleine, le souffle, de 80 millions d'âmes, dont 32 millions vivant sous le seuil de la pauvreté, parviendront-ils à éroder les bases d'un régime en place depuis bientôt 30 ans ? Ou bien ces âmes-là sont-elles trop muselées, trop bâillonnées pour cela ? Ont-ils intérêt à se dépêcher, celles et ceux qui n'ont pas encore visité l'Egypte des Moubarak, ou bien auront-ils l'éternité pour le faire ?