L'année fiscale démarre sur les chapeaux de roues. Abdellatif Zaghnoun, le directeur des Impôts revient sur les nouvelles dispositions qui captent l'attention des opérateurs. Une disposition de la loi des finances 2011 accorde aux entreprises réalisant un chiffre d'affaires inférieur ou égal à 3 millions de DH la possibilité de bénéficier d'un taux d'IS réduit de 15%. Le droit de filialiser des activités étant élargi à toute entreprise quelle que soit sa taille, n'y a-t-il pas un risque que celles réalisant un chiffre d'affaires supérieur à ce seuil maximal, y recourent pour pouvoir bénéficier de la nouvelle mesure fiscale ? Le risque de fraude et de mauvaise foi existe et existera toujours. Je rappelle que cette disposition a été introduite par le législateur pour permettre notamment aux TPE de sortir de l'informel et de les accompagner dans la normalisation de leurs activités. Faut-il le dire : en échappant au contrôle des établissements étatiques, les activités informelles présentent un danger certain pour la santé et la sécurité de nos concitoyens. Elles faussent de surcroît le jeu économique et financier et déstructurent la finalité des stratégies sectorielles engagées par les pouvoirs publics en partenariat avec le patronat. Surtout que notre tissu économique est formé de plus de 90% de PME. Ceci dit, nous sommes conscients des risques qu'impliquent cette nouvelle disposition. Surtout celui d'assister dès cette année au détournement de cette faveur fiscale à des fins d'évasion fiscale. Mais nous nous sommes organisés en conséquence. Nos services vont suivre systématiquement, à l'aide de logiciels de risk management, l'évolution de l'ensemble des déclarations fiscales des entreprises réalisant plus de 3 millions de DH de chiffre d'affaires. Le suivi est fait dans une logique de prévention, pour pouvoir relever les éventuels dérapages. Notre souci est de s'assurer de la bonne foi des managers et entrepreneurs. Si toutefois nous remarquons que ce préalable à toute relation fisc/contribuable n'est pas respecté, nous serons dans notre rôle de vérifier les faits et les faits avancés. Certes, l'administration des impôts veille à ce que la loi soit respectée, mais aussi à ce que les droits du contribuable le soient davantage. Pour cela, nous veillerons à ce que ces suivis prouvent la fraude caractérisée et le détournement des dispositions réglementaires à des fins d'évasion fiscale. Le contrôle aboutira dans ce cas à des recadrages et des impositions suivant la législation en vigueur. Vous avez souligné que cette disposition est introduite pour encourager les entreprises à sortir de l'informel. A votre avis, cet avantage fiscal peut-il réellement peser dans la balance ? Non. Mais le mot d'ordre est qu'on ne peut pas rester aujourd'hui passifs devant cette situation. Il faut sévir contre l'informel. D'autant plus que ses formes sont devenues multiples et diverses, ne cessant de se développer. Pour notre part, nous estimons que même la situation actuelle des contributions fiscales du tissu économique est anormale. Elle s'apparente à une forme d'informel. Imaginez que 80% de l'impôt proviennent de 2% des entreprises nationales. Sur les 78% des entreprises réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 3 millions de DH, qui déclarent leurs impôts, 85% déclarent des déficits ! Ceci dit, la lutte contre l'informel est un projet global au niveau du pays, qui nécessite surtout l'adhésion, l'implication et l'action coordonnée de toutes les instances de contrôle de l'administration : les douanes, l'Office des changes, la direction des impôts, les délégations du ministère du Commerce, etc. Cela ne passe pas uniquement par la fiscalité, qui est un levier. Les avantages fiscaux accordés ici ou là représentent en effet des signaux d'encouragement forts à l'adresse des opérateurs. Mais qui doivent être accompagnés par des mesures d'accompagnement et de contrôle concrètes sur le terrain. C'est comme si l'Etat annonçait au monde économique national qu'il remplissait sa part de responsabilité vis-à-vis d'eux, en promulguant des législations adéquates, en accordant des avantages ciblés et en mettant en œuvre des stratégies sectorielles de développement cohérentes. Au-delà, il faut veiller à ce que les objectifs poursuivis à travers la mise en place de cet ensemble soient atteints. Les services de l'Etat œuvrent dans ce sens. A côté de l'ensemble des chantiers en cours, auxquels s'ajoute la complexité de la conduite de toutes les dispositions nouvellement introduites depuis quelques années, vous parlez de plusieurs projets structurants pour votre mission : adoption d'une démarche de risk management, mise en place de contrôles ponctuels et non plus globaux, catégorisation des contribuables, informatisation des process et des procédures, dématérialisation des déclarations, etc. Disposez-vous des moyens pour les déployer ? L'objectif de ces projets est justement de pouvoir rationaliser nos moyens et nos interventions. Au niveau des ressources humaines, nous avons demandé à l'Etat de pouvoir disposer annuellement de 400 recrutements d'ici fin 2014. Nous bénéficions déjà de 300 postes pour 2011. Au niveau des infrastructures, nous lançons des appels d'offres pour s'équiper en solutions informatiques, notamment de gestion des risques et de suivi des contrôles et de dématérialisation des déclarations. L'ensemble des projets nous conduira à renforcer notre rôle de responsabilité vis-à-vis du monde économique. L'administration des impôts est pleinement engagée aujourd'hui dans une logique d'amélioration de la relation avec les contribuables, à travers l'accompagnement et non plus les contrôles et la dissuasion. C'est au cas par cas que nos actions seront déployées. Nous réservons un traitement favorable aux opérateurs qui prouvent leur sérieux et leur bonne foi, que ce soit au niveau de nos remboursements ou du traitement de leurs demandes administratives. Nous les accompagnerons à résoudre leurs problèmes fiscaux et à normaliser leurs activités. Nous avons engagé dans ce cadre, à travers une commission multidisciplinaire qui regroupe des juristes, des économistes et des professionnels, une consultation nationale pour réinterpréter les textes du code général des impôts. Car nous avons pris conscience que la majorité des conflits en cours avec l'administration des impôts naissent tout simplement d'une interprétation imprécise ou incomplète des dispositions fiscales. Six à sept textes ont été déjà préparés, et nous souhaitons finaliser rapidement l'ensemble du code général des impôts. Et maintenant, la question qui fâche : Qu'en est-il de la lutte contre les cas de corruption que l'on dit sévir au sein de vos services ? La corruption est un phénomène mondial et un combat perpétuel des gouvernements. Il ne faut plus que ce soit un tabou et il faut qu'on en parle comme étant un danger pour la marche de toute l'économie, à différents niveaux. Nous suivons aujourd'hui les mécanismes introduits par l'Etat sur ce plan et nous invitons tout le monde à en user. Là aussi, c'est un projet structuré et une vision globale que les différentes instances étatiques déploient pour lutter efficacement contre ce phénomène. En premier lieu, je citerais le projet de dématérialisation des opérations avec l'administration. L'informatisation poussée des process et des procédures est de nature à limiter le contact humain et partant, toutes formes de connivence et d'entente de quelque nature soit-elle. Je signalerais également l'expérience conduite au sein de l'administration des douanes, qui est d'une grande utilité. Un comité réunit aussi bien les Douanes que les représentants de la Confédération générale des entreprises du Maroc et de Transparency Maroc pour solutionner collégialement les problèmes et introduire les meilleurs pratiques pour éviter les dérapages.