A l'heure où notre pays retrouve une dynamique positive de développement et s'équipe au pas de charge pour redevenir une plaque tournante des échanges internationaux, nous sommes de plus en plus appelés à faire appel à nos réflexes séculaires de négociants. La négociation est le processus qui permet d'aboutir à une entente entre des intérêts et des objectifs divergents. A l'évocation de ce terme, on imagine les interminables marchandages, pour l'amour du jeu, dans les divers souks ou commerces non encore aseptisés de nos villes et de nos campagnes ; le Marocain se devant, naturellement, de faire «une bonne affaire», que celle-ci soit immobilière ou alimentaire, et ne saurait accepter d'avoir acheté quoi que ce fut au-dessus de sa valeur, se considérant alors avoir été la victime d'une «chemta» ; offense gravissime à son intelligence. Au fil du temps, la négociation s'est érigée en science. Les adversaires y évaluent scientifiquement leurs chances de succès en intégrant des paramètres endogènes et exogènes. Les aspects psychologiques sont étudiés avec minutie. Les positions affichées sont reléguées au second plan au profit des intérêts réels des parties et la recherche permanente de l'optimum est activée de part et d'autre avec le souci d'aboutir à des compromis mutuellement bénéfiques. Prenons l'exemple caricaturé de deux jeunes gens qui se rencontrent. Le premier évaluant le second l'aurait, d'ores et déjà, qualifié de partenaire de vie potentiel car de bonne éducation et jouissant d'une position sociale sécurisante. L'autre ressent un certain attrait mais estime, avant de s'engager formellement, devoir renouveler les expériences et obtenir des garanties de bonne vertu. Les négociations, si menées avec tact et finesse, aboutiraient à un Pareto-optimum suite à un long processus d'échange suivi par une relation qui serait formalisée par une alliance et consolidée par des enfants ; le tout ayant débuté dans un rapport de forces maîtrisé et aboutissant à une fusion d'intérêts individuels en projet collectif. A travers cette issue heureuse, le second a même abandonné une position qui devait le conduire à poursuivre ses expériences de conquêtes ,soit que celui-ci estime que son engagement n'entraverait en rien la poursuite de ces expérimentations, soit que cet objectif n'était pas central et cachait d'autres intérêts qui ont été satisfaits par la transaction. Ainsi, toute négociation se prépare en cinq phases distinctes. Dans un premier temps, tout négociateur se doit de définir avec précision ses objectifs. Secundo, il est impératif d'étudier la partie adverse ; ainsi ces objectifs pourront être priorisés et évalués en fonction de leurs chances d'aboutir. Il est aussi essentiel d'étudier les intérêts réels des parties adverses afin d'envisager des issues permettant de satisfaire les intérêts des uns et les objectifs des autres. Le rapport de force étant défini, les adversaires s'attèleront, dans une troisième étape, à placer la négociation dans un contexte. Les conditions matérielles, physiques et psychologiques des parties ainsi que les contraintes de chacun, l'environnement et le lieu de discussion sont des éléments clés de toute négociation. Le 4e étage de la fusée se focalise sur la nécessité d'arrêter une stratégie en définissant un style et une tactique. La palette de styles se décline à partir du rapport de force conflictuel jusqu'à la fraternisation partenariale en fonction du contexte, du vis-à-vis, de l'avancement et des objectifs. La tactique se focalisera sur le rythme et le calendrier en tentant, par exemple, de temporiser à travers l'attentisme ou la négation systématique ou d'accélérer en acceptant de lâcher du lest. La cinquième phase de préparation des négociations consiste à prévoir son déroulement avec une attribution des rôles, des plans d'attaque, de repli ou de remplacement. De toutes les qualités nécessaires aux négociateurs, la plus importante est l'anticipation : comprendre les intentions des autres et les déjouer ou au contraire, les laisser prendre racine car le développement de l'argumentaire pourra a posteriori servir l'intérêt défendu, est un atout majeur. La faculté de maîtriser ses nerfs et son langage corporel ainsi qu'une certaine agilité intellectuelle compléteront le profil type. La négociation est une science qui trouve ses racines dans la nuit des temps et qui se développe à travers des modèles mathématiques de plus en plus complexes, passionnant les économistes du monde entier. Nous avons une tradition et des us qui nous laissent (faussement) penser que la négociation est dans nos gènes alors que cette dernière demande non seulement des qualités intrinsèques, mais aussi des outils et une certaine expérience. Nos responsables gagneraient à se former et à s'exercer à toutes ces techniques afin de ne plus être victimes d'experts en la matière, surentraînés et capables de faire aboutir leurs objectifs malgré nos atouts évidents car comme le disait Aristote : «Pour devenir habile en quelque profession que ce soit, il faut le concours de la nature, de l'étude et de l'exercice».