Chronique dédiée cette semaine au Mediator. La molécule active de ce médicament objet de scandale est le chlorhydrate de benfluorex. Formule chimique brute du benfluorex : C19H20F3NO2. C comme commerce, cupidité 500 à 1000 morts, 3500 hospitalisations, en 33 ans. Deux enquêtes : celle de l'Institut Général des Affaires Sociales (IGAS), qui remettra son rapport mi-janvier ; puis, une mission d'information parlementaire (« le Mediator et la pharmaco-vigilance ») qui débutera ses travaux en janvier. Toute l'attention est focalisée sur le rôle des pouvoirs publics. Cela frise la querelle de bureau d'ordre : Où est passée la mise en garde de 1998, adressée par trois professionnels de la santé à l'Agence du médicament, lettre de deux pages, dûment enregistrée le 21 septembre, sous le numéro 3470 ? Pas au courant, je n'ai rien vu, on ne m'a rien dit, se défendent les ministres de l'époque. Et les laboratoires dans tout ça ? Le moins qu'on puisse dire est que les voix qui osent s'élever contre Servier sont rares et plutôt fluettes. (Pour les exceptions, voir F et O.) Inventée en 1970 par deux chercheurs des laboratoires Servier, commercialisée à partir de 1976, la molécule du Mediator aurait généré, depuis, un chiffre d'affaires d'environ 1 milliard d'euros. Jacques Servier, 88 ans, détient 100% du capital des laboratoires éponymes qu'il a fondés et préside depuis 1948. Il est la neuvième fortune de France, avec environ 3,8 milliards d'euros. Présenté, autorisé et classé comme « adjuvant de la diététique du diabète », mais largement prescrit comme anorexigène (coupe-faim) pour personnes en surpoids, le Mediator appartient à la même famille que l'Isoméride, avec lequel il partage une même propriété toxique. L'Isoméride, fabriqué par Servier, est frappé par une interdiction mondiale, dès 1997. La firme retire le Mediator d'Espagne en 2003, pour des raisons, selon elle, de rentabilité commerciale. Pourtant, le retrait intervient juste après la révélation d'une étude médicale espagnole mettant en cause le médicament. Le ministère de la Santé espagnol retient d'ailleurs que le laboratoire a pris sa décision, « por su posible implicatión en valvulopatías cardicas » : « en raison de possibles implications dans des valvulopathies cardiaques ». En 2004, c'était au tour de l'Italie, et en 2006, l'Europe entière avait interdit le Mediator, sauf le Portugal, Chypre et la France. Qu'auriez-vous fait alors à la place des laboratoires Servier ? Tout récemment, les enseignes de jouets ont retiré de la vente, SPONTANEMENT, les tapis-puzzle, avant même que le ministère en charge de la consommation n'émette un peu plus tard sa décision de suspension. C'est « suite au retrait de la vente des tapis-puzzle en Belgique », explique La Grande Récré, par exemple, et « selon le principe de précaution », « dans l'attente d'informations plus rassurantes ». Les magasins de jouets seraient-ils devenus, en France, des lieux plus sûrs que les officines ? Quand certains ne badinent pas avec la santé de leurs concitoyens, d'autres jouent avec. C comme conflits d'intérêts Professionnels de la santé, agences publiques, enseignement, presse spécialisée, partis politiques (de touts bords) – les conflits d'intérêts de l'industrie pharmaceutique sont partout. Les grands laboratoires ont de longue date tissé la toile de leur « générosité », aujourd'hui proverbiale. L'industrie pharmaceutique finance 98% de la formation continue obligatoire, la quasi-totalité de la presse médicale, subventionne toutes sortes de salons et de congrès, paye les déplacements, assure quasi-seule l'information autour des nouveaux médicaments. Les praticiens reçoivent les visiteurs médicaux à longueur de semaine. Si une loi « anti-cadeaux » (article L.4113-6 du code de la santé publique) existe depuis 1993, l'industrie s'arrange tout de même pour dépenser 27 000 euros par médecin et par an. H comme Honneur (légion d') Mardi 7 juillet 2009, Nicolas Sarkozy remet les insignes de Grand'Croix de la Légion d'Honneur au Docteur Jacques Servier Président fondateur des Laboratoires Servier. Dans son allocution, le Président qualifie le docteur, industriel et homme d'affaires, entre autres aimables épithètes, de « visionnaire ». Jacques Servier a-t-il vu venir le scandale du Mediator ? F comme Frachon « J'ai été très entêté et très tenace », confiait Jacques Servier dans une interview de 2007, pour expliquer la grande réussite de son entreprise. Cette phrase aurait tout aussi bien pu être prononcée par Irène Frachon, pneumologue brestoise sans la détermination de qui les paquets bleus du Mediator guetteraient probablement encore la vie des Français dans les tiroirs et sur les étagères des pharmacies. Pendant deux ans, elle mène le combat, dans des conditions parfois donquichottesques. « Certains m'ont pris pour une nana un peu énervée, agitée. Une gentille provinciale qui s'imaginait avoir découvert le fil à couper le beurre… J'avais l'impression qu'il n'y avait que moi qui m'intéressais à ce truc », raconte-t-elle dans une interview. Son livre Mediator 150 mg est publié en juin 2009, chez editions-dialogues.fr ; le sous-titre (Combien de morts ?) a été censuré suite à un procès intenté par Servier. Délibération du jugement en appel le 25 janvier 2011. Irène/Erin… Certains comparent déjà Irène Frachon à Erin Brockovich, cette assistante dans un cabinet d'avocats ayant révélé l'affaire des eaux potables polluées par le chrome hexavalent issu des unités d'une société californienne de gaz et d'électricité. En 1993, elle fait dédommager les victimes à hauteur de 333 millions de dollars, grâce à un recours collectif (procédure inexistante en France). Julia Roberts, « seule contre tous », a obtenu l'Oscar 2001 de la meilleure actrice pour avoir interprété son rôle dans un film de Steven Soderbergh. N comme Nouasseur Commercialisant sous licence ses médicaments dans notre pays dès les années 1970, le laboratoire lance en mars 1996 sa filiale marocaine. Au début des années 2000, une nouvelle unité voit le jour à la Technopole de Nouasseur. Dirigée par Mathieu Fitoussi, la filiale Servier est aujourd'hui « leader » du « marché » marocain de l'hypertension. O comme Ours (de la revue Prescrire) L'ours d'une revue fait référence à la liste de ses collaborateurs. Celui de la revue Prescrire, publication mensuelle de l'Association Mieux Prescrire (AMP), a la particularité d'être « la seule équipe professionnelle française du domaine médicopharmaceutique à n'être financée que par ses abonnés ». C'est le souvenir d'un article de Prescrire qui a mis la puce à l'oreille d'Irène Frachon. En 1997 déjà, la revue trouvait « bizarre » le classement du Mediator. « Ni subvention, ni sponsor, ni publicité. Ici, il n'y a rien à acheter, ni à vendre » : c'est ainsi que Bruno Toussaint, directeur de la rédaction, résume la philosophie de Prescrire.