Le monde tourne mal. L'art fait l'objet d'intimidations par la voie du musèlement, de la condamnation, pis, de l'emprisonnement. Les esprits libres sont menacés, les mauvais, pervertis. L'Iran a joué son scénario catastrophe en châtiant gravement Jafar Panahi, l'un de ses meilleurs cinéastes, et l'onde de choc nous secoue encore. Le septième art, médium destiné à éclairer les esprits et l'inconscient collectif, à travers le regard de nombre de cinéastes, est considéré comme une dangereuse menace, une ombre infâme qu'il faut écraser, selon l'Iran, qui perçoit cette expression d'un mauvais œil. Mauvaise étoile, mauvaise condamnation, mauvais film ? La République islamique a condamné l'un de ses plus emblématiques réalisateurs, en l'occurrence Jafar Panahi -figure de la nouvelle école du cinéma iranien-, à six ans de prison et à vingt ans d'interdiction de travailler. On voudrait croire à un mauvais scénario, mais là, la machine infernale s'est furieusement emballée à l'encontre d'un homme et de son métier : « Panahi a été condamné à six ans de prison pour participation à des rassemblements et pour propagande contre le régime. Il est frappé d'interdiction de réaliser des films, d'écrire des scénarios, de voyager à l'étranger ou de donner des interviews à des médias locaux ou étrangers durant les vingt prochaines années », a déclaré son avocate Farideh Gheirat. Jafar Panahi a actuellement 50 ans, autant dire qu'il ne peut plus observer, respirer, transmettre ce qu'il a acquis au fil d'une vie et de ses films. On était déjà conscient de la « dangerosité » que représentent certains documentaires pour des régions du monde, genre qui tarde pourtant à s'imposer sur la scène cinématographique arabo-africaine, car il reflète le miroir de sociétés que l'on voudrait flouer… Doit-on rappeler qu'aux yeux de la planète, Jafar Panahi est un artiste de renommée internationale, qu'outre sa popularité en Iran, due à ses engagements jamais démentis, il est l'un des cinéastes iraniens les plus primés dans les grands festivals cinématographiques ? Parce qu'il est pétri de talent, parce que son premier long-métrage, « Le Ballon blanc », avait été récompensé par la Caméra d'or à Cannes en 1995 ; parce qu'en 2003, de retour sur La Croisette avec « Sang et Or », il obtenait le prix du jury de la sélection « Un certain regard ». Parce qu'en 2006, « Hors-jeu », autre opus de Panahi, était primé par l'Ours d'argent à la Berlinale. La mauvaise histoire se répète malheureusement pour les artistes iraniens. Souvenons-nous du caricaturiste iranien Hassan Karimzadeh, 34 ans, menacé de mort et emprisonné dans les années quatre-vingt-dix. Son crime : il avait dessiné un footballeur ressemblant à l'ayatollah Khomeyni. Il n'avait pu alors se rendre à Rome les 10 et 11 décembre 2008 aux côtés de ses homologues pour une étape de la Fondation Cartooning for Peace, à l'occasion des soixante ans de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Il est pourtant l'auteur du dessin de l'affiche de cet événement qui laisse apparaître un homme vêtu de vert, les mains attachées derrière le dos avec, pour toile de fond, le monument romain du Colisée, symbole de la lutte contre la peine de mort… Souviens-toi, ami lecteur, de l'avant-dernier film du réalisateur iranien Abbas Kiarostami, « Shirin ». Un opus au procédé inattendu mais utilisé à des fins louables. Kiarostami place dans une salle obscure 108 femmes, 108 Iraniennes voilées comme l'indique la République islamique. Sa caméra s'attarde sur leurs émotions, leurs regards, leur beauté éclatante. Elles sont réunies pour la projection d'un film, adapté d'un récit du poète perse du XIIe siècle, Nezami Ganjavi. On connaît le goût de Kiarostami pour la métaphore. Et ici, dans son procédé de détournement, contrairement au règlement iranien qui impose des espaces réservés aux hommes et aux femmes dans les lieux publics, le cinéaste a placé des hommes en arrière-plan dans la pénombre… La femme, objet principal de « Shirin », est à l'écran et hors champ, le personnage principal étant majoritaire dans la salle de cinéma…