On trouve en livre de poche, Nomade j'étais : les années africaines d'Isabelle Eberhardt par Edmonde Charles-Roux, laquelle publia Un désir d'orient, la jeunesse d'Isabelle Eberhardt 1877-1899 chez Grasset en 1988. Anthropologue de formation, Eglal Errera a donné en 1987, aux éditions Actes Sud, une présentation et des commentaires minutieux et fervents aux lettres et journaliers d'Isabelle Eberhardt. Les éditions Liana Levi avaient un an auparavant réédité le roman Yasmina. Dans cet ouvrage, celle qui se fit appeler Mahmoud racontait l'amour impossible d'un officier français et d'une jeune Arabe, longtemps avant que Montherlant n'en fasse le sujet de La Rose de sable. Isabelle Eberhardt fut inhumée le 27 octobre 1904 au cimetière musulman d'Aïn Sefra dans le sud oranais, région «pacifiée», comme ils disent, par Lyautey, lequel saluait en cette aventurière lettrée… «un réfractaire» ! Isabelle Eberhardt n'avait publié que des nouvelles et des reportages. Mes journaliers parut en 1923. Eglal Errera nous dit qu' «aujourd'hui, près d'un siècle après Aïn Sefra, les manuscrits d'Isabelle portent encore quelques traces de boue. Ils ont pour nous autant de prix qu'ils en ont eu pour d'autres. Ils demeurent aussi neufs que jadis. Ils disent sept années de la vie d'une femme, depuis son arrivée en Algérie en mai 1897, à l'âge de vingt ans, jusqu'à sa mort». Née à Genève en 1877, d'origine russe et juive, Isabelle Eberhardt se fera musulmane et, de fait, algérienne. Si elle écrivit en français les textes qu'on lit encore aujourd'hui, elle ne s'en livra pas moins à une étude presque gourmande de la langue arabe. Par des transformations vestimentaires et l'adoption de multiples patronymes, elle cherchait à pénétrer l'identité de l'autre, selon Victor Barrucand qui donna en 1906, chez Fasquelle, des Notes sur la vie et les œuvres d'Isabelle Eberhardt. Les textes recueillis sont d'une sensitive. Lorsqu'elle décrit un automne dans le Sahel tunisien et note que «Seyada est perdue au milieu des oliviers, coupés de haies de cactus, hérissés de dards, impénétrables, sauf pour les chacals et les rôdeurs bédouins», la voici aussitôt qui vante la réputation de beauté des filles en citant les jeunes hommes disant : «Celui qui, une fois, respire l'air salé de la mer à Seyada et le parfum capiteux de ses filles en oublie le sol natal». Isabelle se voulut participante d'une admiration valant appartenance. Cette passion pour la terre d'Islam, l'errante, sujette russe et musulmane, l'éprouvait avec une exaltation bien différente de l'attitude coloniale. Les textes publiés par Eglal Errera ont une valeur documentaire qui n'a pas faibli. Ainsi, par exemple, Visite à Lalla Zeyneb, la «maraboute». Les polémiques autour de la personnalité d'Isabelle Eberhardt ne manquèrent pas. Jusque dans La Petite Gironde dont l'envoyé spécial en Algérie accuse l'auteure des Journaliers d'activités anti-françaises. Ce que nous appelions conversion, voilà ce qu'en dit Isabelle Eberhardt dans une lettre rectificative à La Petite Gironde. «Fille de père sujet russe musulman et de mère russe chrétienne, je suis née musulmane et n'ai jamais changé de religion». Ainsi, le « cas » Eberhardt, successivement éclairé et obscurci, n'en finit-il pas de s'aggraver de mystère puisqu'Isabelle naquit «bâtarde» et semble avoir fait bon marché de toutes les précisions biographiques, comme si, parlant d'elle-même, elle donnait la parole à une troupe d'hétéronymes. Promeneuse avide de prodiges, elle nous fait pénétrer dans des lieux de culte musulman ou dans le mellah de Figuig. Il n'est pas si étonnant que cette observatrice passionnée ait trouvé un siècle plus tard, en une anthropologue d'origine juive égyptienne, une lectrice, comme une compagne de route, qui comprend elle aussi, sûrement, «qu'on puisse finir dans la paix et le silence de quelque zaouia du sud, finir en extase, sans regrets ni désirs, en face des horizons splendides».