Eclore une société juste et pérenne avec des règles de jeu établies, acceptées et valables pour tous sans emprunter aux générations futures des ressources qu'elles soient naturelles ou financières. L'Etat ne s'oriente pas toujours vers l'intérêt général. Il favorise aussi des intérêts corporatistes défendus par les lobbys ainsi que certains intérêts personnels des gouvernants». C'était une leçon de réalisme sur la gestion des affaires publiques donnée par un camarade d'université à Tony Blair (Mémoires, 2010). La fin du vingtième siècle a vu l'une des dernières grandes utopies humaines s'effondrer face à l'individualisme. Le communisme avait pour idéal l'égalité pour tous, l'intérêt général effaçant tous les intérêts particuliers, et l'épanouissement de chacun en fonction de ses qualités et de ses aspirations. Le modèle de société préconisait une prise en main, par la collectivité, du capital et une contribution de chacun par le travail pour permettre le progrès de tous. A l'épreuve du réel, le « collectivisme » s'est heurté à une gestion interne exécrable dans les pays où il a été mis en œuvre et à la concurrence d'une société de consommation encourageant la création et les créateurs de richesse tout en préservant l'ordre établi par des couches sociales à perméabilité variable absorbant les tensions. Ce modèle de société ne pouvait, de toute manière, pas s'adapter à une société dominée par les échanges virtuels et dématérialisés. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain ? Si les rôles régaliens de l'Etat, comme la défense, la sécurité, les affaires extérieures et la régulation ne sont pratiquement plus contestés aujourd'hui, son rôle de contributeur actif à la création et à la préservation des richesses et des acquis sociaux n'est pas suffisamment mis en valeur dans notre société dominée par la pensée libérale. A la lumière de la dernière crise financière, les Etats sont apparus comme les seuls garants du modèle économique actuel. En moins de 6 mois, les plans de relance ont mobilisé l'équivalent de 200 fois plus de moyens que ceux nécessaires à l'éradication de la faim dans le monde. L'enjeu, il est vrai, était de taille ! Il s'agissait purement et simplement de garantir le système de vassalisation de toutes les économies mondiales aux imprimeurs effrayés d'un dollar agonisant. Mais que se serait-il passé si les Etats avaient laissé faire ? La circulation des liquidités serait totalement paralysée provoquant l'effondrement en cascade de l'ensemble des marchés financiers. Les Etats seraient intervenus pour garantir les échanges vitaux et l'équilibre de leur nation. Ensuite, ils auraient eu à démêler les problématiques liées à la défaillance des banques en particulier au niveau des emprunteurs et des épargnants en garantissant, par exemple, les épargnes jusqu'à un certain niveau permettant un rééquilibrage social. En contrepartie de cette garantie, l'ensemble des créances dues au système financier seraient nationalisées permettant de mieux maîtriser l'endettement des ménages et des entreprises. Les entreprises, à court de liquidités et débitrices, s'associeraient à ce nouvel Etat-providence pour relancer leurs activités. Les économies nationales et internationales ayant suivi naturellement ce cheminement auraient rebâti un système sain capable de relever les défis futurs notamment en matière de développement durable. Le monde aurait eu, en parallèle, à gérer l'exaspération éventuellement meurtrière de certaines puissances militaro-financières et probablement même calmer une éventuelle menace nucléaire, mais la facture socio-économique de toute cette politique aurait été moins lourde que celle des plans de relance ; 20 ans après la chute du Mur de Berlin, nous aurions assisté à la victoire par KO d'un modèle de société qu'on croyait déjà mort. Les politiques, n'étant plus paralysés par des enjeux financiers virtuels qui les dépassent, auraient une meilleure maîtrise des enjeux actuels et futurs et pourraient proposer et bâtir un avenir prometteur. Ainsi, le prix de l'énergie, du blé et de toute autre matière première ou action serait fixé sur la base d'une offre et d'une demande réelle et non d'un système virtuel complètement déconnecté des fondamentaux. Cette réalité des prix, des coûts et des valeurs permettrait d'envisager des actions impactant la vie quotidienne des habitants de notre planète au lieu de déléguer cette autorité à des gourous de la finance dont la seule responsabilité est d'avouer qu'ils se seraient peut-être trompés. Les dirigeants du monde ont renouvelé, par peur, par lâcheté ou pour d'autres raisons inavouables, leur confiance en un système qui est appelé, de par son essence même, à exploser. Les fondamentaux de la reconstruction d'une nouvelle vie en commun sont évidents et ne peuvent s'imaginer qu'à l'échelle planétaire. Il s'agit de faire éclore une société juste et pérenne avec des règles de jeu établies, acceptées et valables pour tous sans emprunter aux générations futures des ressources qu'elles soient naturelles ou financières. Le Maroc pourrait soumettre aux opinions publiques du monde entier un nouveau pacte à partir de cette base, car, comme disait Marguerite Yourcenar : «Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin».